«Pink is beautiful !» La voix de Max Guazzini semble plus chevrotante qu'avant, il lui est maintenant difficile de reprendre les refrains de sa Dalida chérie, mais l'ancien mécène du Stade français n'a rien perdu de son enthousiasme enfantin : «Mon poste de vice-président de la Ligue nationale de rugby m'impose un devoir de réserve, mais bon…» Comment peut-il contenir ses émotions alors que sa madeleine retrouve la finale du Top 14 ce samedi soir (21 heures), sept ans après une nuit de sacre à Saint-Denis, déjà face à Clermont ?
Le reniement s'avère impossible pour celui qui a installé son équipe à domicile sur la pelouse du Stade de France, avec «des filles un peu dénudées sur le bord». Guazzini, parti en catimini à l'intersaison 2011, emporté par une tornade financière, la faillite de sa régie publicitaire et des escrocs canadiens, revit : «Dans cette équipe, quand je vois des gens comme Antoine Burban, je me dis que le Stade français est toujours aussi formidable. Je le revois dans mon bureau, à l'âge de 18 ans, avec son père. Il venait du PUC, tout le monde me prévenait : "Il est ingérable, il n'est pas facile." Et on l'a pris.»
«Pain noir». Crâne dégarni, barbe fournie, Burban le troisième-ligne aile a plané sur la demi-finale face au RC Toulon, le 5 juin (33-16), proposant une mobilité déconcertante pour des avants varois bien plus épais que lui. «Il a failli se brûler les ailes, il est désormais plus discipliné», assure Thomas Lombard, ancien trois-quarts du Stade français et des Bleus, aujourd'hui consultant pour RMC. Régulièrement blessé, Burban a plus souvent plaqué les pintes de bière dans les pubs du VIe arrondissement de Paris que ses camarades à l'entraînement. A 28 ans, revenu aux portes de l'équipe de France, il s'est improvisé nounou des soldats roses, ces petits gars du coin qui ont assuré la continuité ces dernières années. «En 2011, le club est repris dans des conditions difficiles par Thomas Savare [directeur général d'Oberthur Fiduciaire, société d'impression de billets de banque, ndlr], l'équipe n'est pas très performante, rappelle Richard Pool-Jones, ex-joueur et directeur sportif du club, actuellement vice-président. La reconstruction est notamment passée par la jeune génération, des gamins repérés très tôt en Ile-de-France, formés au Stade par Pierre Arnald et ses entraîneurs. Ils sont très attachés au club, ils ont mangé du pain noir ces dernières saisons, mais ils ont fini par élever leur niveau d'exigence. Il faut les citer tous, ils me bluffent.»
Il y a le pilier Rabah Slimani, grand copain du Toulonnais Mathieu Bastareaud, le talonneur Rémi Bonfils, le deuxième-ligne Alexandre Flanquart, l'arrière Hugo Bonneval, qui traîne sa peine à l'infirmerie, le centre colossal Jonathan Danty, coupeur de têtes, et, bien sûr, le blondinet Jules Plisson, blessé fin avril et qui a entamé une course contre la montre pour être sélectionné pour la Coupe du monde. Plisson l'a avoué au Parisien cette semaine : «Dans le vestiaire, avant le match de barrage face au Racing [le 29 mai, 38-15], les larmes sont montées plusieurs fois. Je pense que pour la finale, avec la remise des maillots, tout ça, ça va être compliqué.» En demi-finale, les Toulonnais, des grognards qui ont refroidi la France, l'Irlande et tout le Royaume-Uni pendant près de deux ans, n'ont pas résisté à l'exaltation parisienne.
Touche glam. Un homme a canalisé cette ferveur : l'Argentin Gonzalo Quesada. «C'est un manager d'une intelligence remarquable», souligne auprès de Libération Christophe Dominici, quatre titres de champion de France à l'aile du Stade français. Méticuleux, courtois, capable de scanner le cerveau et les états d'âme de chacun de ses joueurs, Quesada, 41 ans, a fait ses débuts chez les rivaux du Racing avant d'être libéré au bout d'une petite saison, en 2013. Il suscite aujourd'hui l'unanimité, éteignant même la jalousie de tous les fans de sa femme, Isabelle Ithurburu, la présentatrice du rugby sur Canal +. Laquelle est peut-être la seule touche glam d'une équipe qui avait abandonné ses oriflammes bling-bling au fil des saisons dans le ventre mou du Top 14, alors que le luxueux Racing de Jacky Lorenzetti montait en flèche. Le président Savare, dont la famille est 53e fortune de France, a injecté près de 30 millions d'euros dans le Stade français, mais avec plus de discrétion qu'un évadé fiscal en Suisse : ses sœurs, pas vraiment amatrices de carrures ciselées et de muscles saillants, le trouvent déjà fort dispendieux. «Il y a eu beaucoup de bruits autour du Racing et son recrutement XXL, mais le vrai club de Paris, c'est bien le Stade français, clame Richard Pool-Jones. Le Racing joue d'ailleurs à Colombes ! J'ai l'impression que nos joueurs ont pris conscience de leur importance lorsqu'ils ont investi le nouveau stade Jean-Bouin, en 2013, après des saisons ternes à Charléty. On avait presque oublié la vraie nature du Stade français, je suis content de la retrouver.»
Toujours (petit) actionnaire du club, Dominici met un bémol : «Le sportif permettra de relancer le reste, l'affluence à Jean-Bouin, les sponsors, la marque Stade français. Pour cela, il faut gagner ce bouclier de Brennus. Qui se rappelle de Castres le vice-champion 2014 ? La victoire est un mensonge, car elle efface les circonstances, les erreurs, les doutes. Mais un mensonge indispensable pour grandir.»