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Libération
Interview

«Notre objectif : organiser un événement de MMA à Paris en 2016»

Le responsable de l'Ultimate Fighting Championship en Europe, David Allen, espère œuvrer, malgré l'opposition du ministère des Sports.
David Allen, à Berlin, samedi. (Photo Laurent Troude)
par Propos recueillis par Guillaume Gendron
publié le 22 juin 2015 à 15h10

En une dizaine d’années, les arts martiaux mixtes (Mixed Martial Arts, MMA) sont devenus un véritable phénomène de société, attirant un public toujours plus nombreux malgré une image encore controversée, notamment en Europe.

En mars 2015, les championnats d'Europe de judo à Glasgow avaient été annulés à la dernière minute à cause du sponsoring de l'événement par l'UFC, l'organisation américaine qui règne en maître sur la promotion des combats de MMA, et dont Forbes a estimé la valeur financière à 2,5 milliards de dollars (2,2 milliards d'euros). La tutelle de l'UFC sur une compétition internationale avait enragé la Fédération internationale de l'art martial japonais. Une énième polémique, alors que la France est l'un des derniers pays (avec la Thaïlande, la Norvège et l'Etat de New York aux Etats-Unis), à jouer les tartuffes au sujet du MMA, dont elle tolère la pratique mais interdit les manifestations sportives.

David Allen est le vice-président senior de l'Ultimate Fighting Championship (UFC). Débauché chez Nike, il est chargé du développement stratégique de l'UFC en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Libération l'a rencontré vendredi, en marge d'un événement UFC à Berlin, où combattait Taylor Lapilus, l'un des seuls Français sur le circuit.

Est-ce que l’Europe est la dernière étape clé avant la domination du MMA au niveau mondial ?

Ce n’est pas la dernière, mais la première, selon moi. Samedi, on a vu une Polonaise, Joanna Jedrzejczyk, première championne du monde européenne de l’UFC, défendre son titre. Dans trois semaines, Conor McGregor, un Irlandais, va tenter de devenir champion du monde à Las Vegas, la capitale des sports de combat, contre le Brésilien José Aldo. Et enfin, le Suédois Alexander Gustafsson est le nouveau prétendant des mi-lourds. Donc, d’ici la fin de l’année, on pourrait avoir trois champions du monde européens, du jamais vu. On est au début de quelque chose de nouveau et d’intéressant plutôt qu’à la fin d’un processus. Il y a 128 pays dans la région dont je m’occupe, et on a organisé des événements dans seulement 6 d’entre eux. La marge de progression est énorme, on est vraiment au tout début de quelque chose de spécial.

Aux Etats-Unis, le MMA, à travers l’UFC, est devenu un sport «mainstream», presque grand public, largement diffusé et commenté. Ce n’est pas encore le cas ici…

Vous savez, en Europe, de nombreux médias couvrent déjà largement l'UFC, du Sun en Angleterre à l'Equipe en France, en passant par Bild en Allemagne. La BBC donne les résultats de l'UFC sur son site web. Certaines personnes veulent encore croire que nous sommes un sport minoritaire, mais ce n'est plus le cas. Si vous prenez la France, vous pouvez voir que nous avons 600 000 abonnés sur Facebook qui sont localisés dans votre pays. On peut dire que nous sommes un sport grand public en France, c'est juste que nous n'avons toujours pas le droit d'y organiser des événements. Ce qui ne veut pas dire que ce que nous faisons est illégal : c'est juste une question d'autorisation.

Comment voyez-vous la situation évoluer en France ?

Nous avons trois objectifs pour la France. Le premier : organiser un événement UFC à Paris en 2016. C’est quelque chose auquel nous croyons beaucoup. Je rêve d’une chose : présenter nos combattants sous la tour Eiffel, ça serait un sacré symbole. Les fans pourront dire : «Enfin, l’UFC arrive en France.»

Le deuxième point, c'est d'être diffusé en France [le Conseil supérieur de l'audiovisuel interdit la diffusion du MMA, ndlr]. En vérité, les gens peuvent déjà regarder l'UFC [notamment via des chaînes basées au Luxembourg], mais je crois que si l'on arrive à défendre notre dossier auprès du CSA, nous serons bientôt diffusés par une chaîne française. L'autorité est d'ailleurs ouverte à ce que nous en faisions la demande.

Le troisième objectif est la reconnaissance du MMA comme sport à part entière par le ministère français des Sports. C’est un travail qui est fait par la Commission française de Mixed Martial Arts. Elle représente les pratiquants amateurs et nous la soutenons. Nous sommes la version professionnelle du sport, le promoteur, et donc sur ce point, nous les laissons travailler.

Pour le ministère des Sports, les combats de l’UFC ne peuvent pas être autorisés pour deux raisons : la cage et les frappes quand l’adversaire est au sol, le fameux «ground and pound». Comment allez-vous contourner cela ?

Nous n’allons rien contourner du tout, nous n’allons pas changer d’un iota. Nous croyons en notre sport. Ce qu’il faut, c’est éduquer le public, changer les idées préconçues. Ce que vous appelez la cage, nous l’appelons «l’octogone». Il protège et aide les athlètes. Les grilles les empêchent de tomber hors de la zone de combat. La santé et la sécurité de nos combattants sont toujours notre priorité. Ensuite, il faut comprendre que le «ground and pound», ce n’est pas frapper quelqu’un sans défense à terre. Dans le MMA, on sait se défendre au sol, on peut même gagner avec son dos au sol ! Ce n’est pas une position de faiblesse, les coups reçus sont moins puissants que lorsque l’on combat debout. Mais la vérité, c’est que le ministère des Sports n’est pas fondamentalement contre le MMA. Seulement une personne l’est.

Qui est cette personne ?

Rougé ! [Jean-Luc Rougé préside la Fédération française de judo et est le numéro 2 de la Fédération internationale de judo]

Vous pensez qu’à lui seul, il a le pouvoir de bloquer le développement de votre sport en France ?

Non, je ne pense pas qu’il ait ce pouvoir, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est l’homme qui a le plus de préjugés. Je suis prêt à le rencontrer, à en débattre avec lui. Les gens du judo doivent arrêter de nous voir comme une menace. Il faut que l’on travaille ensemble. L’UFC se développe partout, et peut aider à importer le judo là où il n’est pas populaire. Au final, le MMA et tous les autres arts martiaux peuvent se pratiquer dans les mêmes clubs. La popularité de l’UFC ne peut être que bénéfique pour tous.

Si l’on regarde ce qui se passe dans le judo récemment, plusieurs champions ont délaissé leur sport pour se tourner entièrement vers le MMA, plus lucratif. On pense à Ronda Rousey devenu superstar de l’UFC.

On ne cherche pas à voler au judo tous ses pratiquants ! Ronda Rousey est évidemment une grande championne de judo, la première américaine à être médaillé olympique de sa discipline [à Pékin, en 2008]. Aujourd'hui, elle est une superstar mondiale, 100% MMA et 100% identifiée à l'UFC. Mais ça n'est qu'une personne, un cas unique. Surtout, les combattants de MMA continuent toujours à s'entraîner au judo, à fréquenter leurs clubs. Je ne vois pas le problème.

Rousey est aussi emblématique du récent changement de stratégie de l’UFC qui, pendant longtemps, n’a pas du tout développé les compétitions féminines…

Nous n’avons que deux catégories de poids pour les femmes, et celle des poids pailles n’a été créée qu’il y a un an, c’est vrai. Nous espérons développer d’autres catégories dans le temps, recruter plus de combattantes. Ces dernières vont apporter beaucoup à l’UFC. Pourquoi le MMA devrait-il être un sport uniquement masculin ? Une femme contre une femme ou un homme contre un homme, c’est la même chose.

Vous venez du monde du football. Voyez-vous des parallèles entre les deux sports ?

Clairement, le développement actuel de l'UFC reproduit celui du football à ses débuts. Le football est un sport global. Où que vous alliez dans le monde, les gens tapent dans un ballon. C'est la même chose avec le MMA. Quel que soit le pays, il y existe une forme de combat traditionnelle. Ce sont les deux seules disciplines dans ce cas-là. On ne peut pas en dire autant du rugby, du tennis ou de bien d'autres ! Lorenzo Fertitta, le propriétaire de l'UFC, répète souvent une phrase que je trouve très juste : «Bien avant que quelqu'un ne frappe un ballon en direction d'un filet, bien avant que quelqu'un ne lance une balle dans un panier ou frappe une balle avec une batte, un homme a frappé un autre homme, et tout le monde s'est retourné pour regarder.» C'est pour cela que nous sommes un sport planétaire.