Elle court, Elodie Thomis, elle court, elle ne s’arrête jamais de courir. Elle court sur le côté droit de l’équipe de France, qui affronte la colossale Allemagne ce vendredi, en quart de finale de la Coupe du monde de foot féminin. A 28 ans, après 120 sélections et 32 buts, elle court derrière sa réputation de sprinteuse accolée à ses débuts, et son surnom de «Christine Arron du foot» incapable de saisir la règle du hors-jeu.
«C'est la joueuse la plus rapide du monde, dit Patrice Lair, son ancien entraîneur à Montpellier et Lyon. Son pouvoir d'accélération est une des armes favorites du sélectionneur, Philippe Bergeroo. Quand je l'ai eue toute jeune, à sa sortie de Clairefontaine, elle m'a reboosté l'équipe. On avait des qualités, mais le jeu était plutôt lent.» Une tornade est passée. Patrice Lair l'a canalisée : «On a fait et refait mille fois des choses simples. Elle est imprenable en un contre un, même avec 10 mètres de retard.» Patrice Lair s'emballe, parle de sa Thomis à n'en plus finir : «Mais vous l'avez vue aujourd'hui ? Elle est plus lucide devant le but, techniquement, elle crochète, frappe du pied gauche, dévie même des ballons de la tête ! Et son but face à la Corée du Sud en huitième, dimanche, après ce une-deux avec Eugénie Le Sommer, il était incroyable !»
Tatouage. Patrice Lair se souvient de cette jeune Martiniquaise qui venait, avec sa mère, manger chez lui à Montpellier. «Elle avait un petit salaire fixe, mais ne gagnait pas le Smic, loin de là. Elle a trouvé un travail à sa maman, s'est accrochée, jusqu'à ce que l'offre de Lyon arrive en 2007, avec la voiture, le logement, les primes. Je lui ai dit qu'elle méritait ce statut. Elle me manque vraiment. Elle m'a toujours touché, par son sourire et même par ses absences, ses moments de détachement où on a l'impression qu'elle n'est plus là.»
Elle court derrière des ombres, Elodie Thomis, elle court. Après son but, dimanche, elle a embrassé un tatouage sur son poignet. Une inscription «Calixte Etxilac», le prénom de son père, à l'endroit et à l'envers, mais surtout le blaze de rappeur de son frère, Sébastien. Le 23 août 2014, en début de soirée, au cœur du quartier Lemasson, dans le centre de Montpellier, Sébastien Thomis s'est embrouillé avec deux hommes, pour un mauvais regard, un mot de trop. L'un a sorti une arme, Sébastien l'a retourné contre lui, l'a tué. Avant de se faire abattre par le second. Il avait 24 ans. Il était arrivé à Montpellier avec sa mère, dans le sillage d'Elodie. Il avait eu une petite amie, puis une petite fille, s'était séparé, avait fini dans la rue, trop fier pour demander de l'aide à sa famille et à sa grande sœur.«Il avait essayé de la voir à Lyon, mais ça n'avait pas marché, il était ombrageux. Il dormait dans une voiture, dans des caves, à l'hôtel quand il avait un peu de sous, confie son ami et entraîneur de boxe, Loïc «Lucho» Lopez. Quand je commandais une pizza, je lui en gardais toujours quelques parts, parce qu'il ne mangeait pas assez. Il commençait à s'en sortir. Deux jours après la nuit du drame, il devait récupérer les clés d'un logement.»Lopez et les potes de Lemasson ont tagué le visage de Sébastien sur un mur bordant le terrain de foot de l'école Garibaldi.
Orgueil. Et Elodie Thomis ? Elle court, elle court. «Tu as vu comme elle est forte depuis des mois, comment elle se bat, cette lionne ?» nous demande Jérémy, son grand frère. Il a dessiné le tatouage, l'a également gravé sur sa peau. «Je sais que c'est dur pour elle, dit-il. Et moi-même je crains la journée du 23 août 2015. Mais notre mot d'ordre, après la disparition de Sébastien, c'était d'être fort, de ne pas se laisser aller. Pleurer sur son sort, ce n'était pas le tempérament de Sébastien, ce n'est pas celui de notre famille. J'ai été aussi SDF en arrivant de la Martinique, à 18 ans, la dernière chose que je voulais faire était de réclamer le soutien de mes proches. Elodie, elle a toujours fait les meilleurs choix pour elle. On la surnommait "l'homme de la maison", au milieu de quatre frères, elle a appris à ne pas se laisser marcher dessus. Ado, elle pouvait mettre une raclée à des garçons.»
A force de non-dits, de déménagements intempestifs, d'orgueil et de pudeur mal placés, la famille Thomis avait fini par se briser en mille morceaux, avant de se retrouver au complet, le 30 décembre, pour la première fois depuis une éternité. «Sébastien était fier de sa sœur, de son évolution. Il ne voulait pas en parler avec ses potes, il affichait juste un petit sourire énigmatique. Mais il regardait les matchs en cachette, souffle Jérémy. Il est mort en pensant qu'Elodie n'en avait rien à cirer de lui. C'était tout le contraire. L'éloignement a créé de l'incompréhension. Ils s'aimaient tous les deux. Mais ils n'arrivaient pas à se le dire.» Elodie Thomis ne court pas seule.
(1) A 22 heures en direct sur W9 et Eurosport.