Bête comme chou ? Peut-être. Pourtant on vous le demande : que serait un joueur de tennis sans sa raquette ? Il suffit de poser la question à la cantonade dans les allées du prestigieux All England Lawn Tennis and Croquet Club de Wimbledon, où se déroule actuellement la quinzaine la plus verte du tennis mondial, pour constater que la question fait mouche. Et la réponse tombe invariablement : rien. D'abord parce qu'elle est l'outil indispensable pour renvoyer la balle de l'autre côté du filet. Soit. Mais aussi parce qu'elle est en fait bien plus que cela. «Notre raquette, c'est un peu le prolongement de notre main, explique Jo-Wilfried Tsonga, donc c'est super important pour nous.» Joueuses et joueurs entretiennent avec leur outil de travail un rapport tellement organique que celui-ci peut s'apparenter à une relation de couple.
C’est quoi, au juste ?
Pour le béotien, franchement, elles se ressemblent toutes. Et c'est normal : les raquettes doivent sans exception répondre à une série de critères définis par «les Règles du tennis», un règlement établi conjointement par la Fédération internationale de tennis (ITF), la WTA et l'ATP, les trois instances dirigeantes du sport à l'échelle mondiale. Un esprit des lois tennistiques qui prévaut de Honolulu à Kuala Lumpur. Qui dit notamment que «le cadre de la raquette ne pourra dépasser 29 pouces (73,7 cm) de longueur totale», manche compris, que sa largeur totale «ne pourra dépasser 12,5 pouces (31,7 cm)» et que le tamis, la partie cordée, « ne pourra dépasser 15,5 pouces (39,4 cm) de longueur totale et 11,5 pouces (29,2 cm) de largeur totale». Pour le reste : tout ce qui n'est pas formellement prohibé est autorisé.
Ainsi, en 1977, un ingénieur allemand avait fait parler de lui en créant une raquette à double cordage : la raquette «spaghetti», restée depuis comme la plus grande controverse liée au matériel dans l'histoire du jeu. Le but affiché par le dénommé Werner Fischer était clair : «Permettre au joueur moyen de donner sans forcer le même lift qu'un joueur exceptionnel.» Avec elle, le Français Georges Goven, 56e mondial à son meilleur, a par exemple battu Ilie Nastase, alors 7e, et Vitas Gerulaitis, 5e. Dès l'année suivante, la raquette a été interdite, et la Fédération internationale de tennis a ajouté à ses règles l'annexe suivante : «La surface de frappe de la raquette doit être plate et consiste en un montage de cordes entrelacées (montants et travers) et connectées au cadre de la raquette.» Les spaghetti, c'est donc fini.
Influe-t-elle vraiment sur le jeu ?
C'est bien beau tout ça, mais toutes les raquettes ne se valent pas. Et de même que tel ou tel type de violoncelle ne réagira pas avec la même souplesse sous les doigts de n'importe quel concertiste, une raquette de tennis doit être adaptée à son propriétaire et à sa façon de jouer. Offensif, crocodile du fond de court, puissant, petit gabarit… «Il y en a certains, confirme Richard Gasquet, qui, quand ils touchent ma raquette, se demandent comment je peux jouer avec. Chacun ses petites manies !» Et c'est pour cette raison que changer de raquette n'est pas une décision aisée à prendre pour un joueur. «Quand on a l'habitude de jouer avec une raquette, c'est compliqué d'en changer, témoigne Jo-Wilfried Tsonga. Pas seulement pour les sensations, mais aussi pour des soucis physiques, parce que ça peut engendrer des petits problèmes en fonction de ce qu'on change sur la raquette. Mais, bon, il y en a qui y arrivent très bien.» Pas lui, en l'occurrence. Ni Rafael Nadal, qui a tenté l'expérience juste avant le tournoi de Monte-Carlo avec un prototype censé «permettre à la balle de repartir plus facilement de sa raquette», dixit le fabricant. Résultat : après deux semaines, «Rafa» est repassé à son modèle d'avant. Ce qui ne veut pas pour autant dire que l'Espagnol le gardera ad vitam æternam : simplement, il lui faudra davantage de temps pour se faire la main.
On se souvient encore du Russe Marat Safin qui avait, à coups de gros dollars, accepté de quitter Head, son équipementier de toujours, pour Dunlop. Sauf que, pas fou, il n’avait pas vraiment changé de raquette, préférant maquiller son ancien modèle pour continuer à jouer avec. Avant, quelques mois plus tard, de mettre fin à la supercherie et de revenir officiellement à ses premières amours.
Grips, cordes… comment la tuner ?
L'ovni télévisuel Pimp My Ride, où une équipe de garagistes lookés Hells Angels menée par le rappeur Xzibit customisait les voitures de particuliers, pourrait tout à fait avoir sa version tennis. Car, oui, le tuning de raquette existe ! Il s'agit même d'une pratique très répandue parmi le gratin mondial.
Au risque d'apprendre brutalement à certains que le père Noël n'existe pas : la raquette des stars ne s'achète pas en grande surface. Même lorsqu'elle est vendue avec la photo d'un joueur sur l'étiquette. «Ce ne sont pas les mêmes, très clairement, concède une infiltrée. Pour faire très schématique, ce sont des moules particuliers, avec des compositions spéciales et, après, il y a un énorme travail de préparation de ces cadres. Donc, à la base, le produit est différent et la façon de le faire évoluer aussi.» Depuis quelques années, les fabricants ont d'ailleurs l'obligation de faire figurer une mention signalant que la star en photo sur le paquet «peut jouer avec un modèle différent de celui présenté», ou toute autre mouture du même tonneau. Les «top players» ont, eux, leurs adresses secrètes où des alchimistes de la raquette s'affèrent dans des labos pour mettre au point des moulages très réalistes de leurs mains permettant de customiser le manche ou se pencher sur les milligrammes de plomb ajoutés en tête des cadres pour gagner en puissance, ou enlevés pour au contraire gagner en contrôle.
Certains ont réglé la question en emmenant dans leurs valises une nounou à raquettes. Ainsi la Russe Maria Sharapova, qui fait confiance au Français Benoît Mauguin. Lequel, cordeur de formation, décrit sa fonction comme celle d'«un accompagnateur au quotidien» qui veille à tous les détails, «permettant de mettre la joueuse ou le joueur dans les meilleures conditions, que sa raquette ne soit plus un souci et qu'ils se dégagent du temps pour vraiment se concentrer sur leur tennis». Ce qui passe par la pose des cordages bien sûr - synthétiques ou boyau naturel -, mais aussi par celle des grips (la bande qui recouvre le manche), des joncs de plastique qui permettent de tendre les cordes et plein d'autres choses qui garantissent à chaque fois au technicien un excédent bagage.
«Faire voyager les machines à corder, c'est un gros souci, sourit le Français Benoît Mauguin. Donc j'en trouve souvent sur place. Et en Europe, eh bien, je prends la voiture et j'enchaîne les kilomètres. Et puis j'ai toujours avec moi de la colle, du silicone, du plomb pour éventuellement travailler les caractéristiques de la raquette, plus beaucoup d'outils.»
Et la version 2.0 ?
Aune époque où l’humain mesure même son sommeil d’un coup de poignet, pourquoi le monde du tennis y échapperait-il ? L’avenir de la raquette passe lui aussi par le quantified self. Ainsi, Babolat, la marque lyonnaise qui équipe notamment Rafael Nadal, a décidé de lancer son premier modèle connecté. Avec comme VRP de luxe le Majorquin, forcément. Grâce à des capteurs intégrés, le joueur peut visualiser sur son smartphone ou sa tablette un certain nombre de données, comme le nombre de coups droits, revers, services, smashs ou encore accéder à l’analyse de ses zones d’impact, des effets, à la longueur des échanges…
«Prenons un exemple, explique Rafael Nadal, pour sortir un gros match, je sais que je dois jouer 70 % en coup droit et 30 % en revers. Si je ne le fais pas, je sais que je n'exécute pas le bon plan de jeu, que ce que je fais sur le court n'est pas bon. La raquette permet de vérifier ce genre de choses.» Mais pas encore de jouer les coups à sa place.