Admettons qu’il existe deux sortes de héros : les inaccessibles, stars du cinéma ou du football, qui font d’autant plus rêver qu’ils sont éloignés, mystérieux ; et, au contraire, les «comme nous», proches par les mots ou les attitudes, sans double barrière de protection. Les coureurs du Tour de France appartenaient depuis 1903 à cette seconde catégorie. Aujourd’hui, hélas, ils s’en écartent. Car que voyons-nous depuis dix jours sur cette épreuve «populaire» ? Au départ des étapes : les bus avec vitres teintées ont succédé aux voitures simples, sur les capots desquelles les coureurs pouvaient converser avec leurs admirateurs. Et lorsque le public a enfin la chance d’apercevoir son champion, la panoplie casques et lunettes s’impose sur le podium du matin, au lieu de la casquette de toile ou du nu-tête qui permettaient, voilà dix ans encore, d’identifier les visages. Sur ce point, Amaury sport organisation (ASO) exige que les participants se découvrent, mais elle ne peut même pas faire appliquer ses règlements à une bande d’automates.
Pour justifier la mise à distance de leurs athlètes, les équipes invoquent le confort ou la sécurité… alors que le nombre de spectateurs diminue, conséquence de ces départs d’étapes aux allures de bunker ! Il n’est pas à exclure que, pour des patrons d’équipes de plus en plus riches, un certain mépris du petit peuple fasse son œuvre. Surtout que celui-ci ne paie pas pour voir, au grand regret du boss milliardaire de la formation Tinkoff-Saxo, Oleg Tinkov. Comme tous les nantis, les mécènes du vélo se sont payé des attachés de presse (jusqu’à trois chez Sky ou BMC). Ces intermédiaires proposent une communication brouillée et embrouillée.
Cet été, nous les avons trouvés bien agressifs. Chez Cofidis, madame presse fait la tête parce que nous n’avons pas assisté à une conférence avec Nacer Bouhanni. Barrant la route vers un autre coureur, elle offre en compensation un communiqué de deux phrases. Chez AG2R La Mondiale, il a fallu batailler pour obtenir trente minutes avec Alexis Vuillermoz, quelques jours avant sa victoire d’étape. La responsable com des Allemands de Bora nous a grondés parce que nous avions osé poser une question «déplacée» à l’Irlandais Sam Bennett : ce qu’il aurait fait comme métier s’il n’avait été cycliste. Rencontrer un coureur au massage, après l’étape, relève d’une douce illusion.
Le rêve de ces pros de la com : une conférence de presse lors des deux journées de repos, des interventions calibrées, et basta. Les coureurs en font les frais puisqu’on ne parle plus d’eux, ou pas assez. Il ne s’agit pas de regretter un pseudo-âge d’or du Tour de France, quand il se courait à huis clos, entre initiés. Mais, tant qu’à être modernes après vingt ans «d’affaires», les équipes devraient miser sur la vraie modernité : proximité, transparence.