Les corps sont ruisselants, les visages creusés. Tejay Van Garderen, le leader de la BMC, tente de récupérer au fond d'un siège en toile posé à l'ombre du bus. Une voiture d'Astana passe. Elle transporte Giuseppe Martinelli, regard vide. Le directeur sportif de Vincenzo Nibali a vu son leader exploser dans la montée de la Pierre-Saint-Martin, terminant l'étape à 4'25" de Christopher Froome, maillot jaune intouchable ce mardi. «Cette montée a donné la classification de l'état de forme de tous les coureurs aujourd'hui», explique Martinelli. Il estime que Nibali a pris «un coup dans le moteur» en chutant lors de l'étape du Havre jeudi dernier, et qu'il lui faut reprendre du «moral». L'intéressé est plus pessimiste : «Je suis le petit frère du Nibali de l'année dernière.»
Alberto Contador, qui rêvait d'un doublé Giro-Tour désormais bien éloigné, ne vaut guère mieux: «Je n'arrivais pas à respirer, à tourner les jambes assez vite. J'ai passé une mauvaise journée.» Tous constatent froidement la suprématie de Froome : «Il a été plus fort» (Quintana), «Il a frappé un grand coup» (Nibali), «Chris a montré toute son autorité» (Contador). Tony Gallopin, a priori pas le meilleur grimpeur côté français mais neuvième de l'étape, voit Froome sur «une autre planète». Mais laquelle ? Personne ne se risque à parler de dopage.
Marc Sergeant, manageur de la Lotto-Soudal, dresse le bilan, impavide : «Leur performance a été très surprenante. Ils placent trois coureurs dans les six premiers (Porte deuxième, Thomas sixième). Cela va être dur pour les autres.» Philippe Mauduit, directeur sportif chez Lampre, semble presque souhaiter bon courage à ses collègues qui jouent le général (ou les places d'honneur) : «A partir de maintenant, il ne va pas falloir avoir peur d'attaquer», commente-t-il, l'air à demi-convaincu. «On a vu depuis trois ans que la Sky pouvait parfois montrer des signes de faiblesse.»
«Une étape comme on en voit tous les cinq ou six ans»
Du côté de l'équipe britannique, on s'avoue quasi surpris par la démonstration du jour. «On savait que ce genre d'arrivée [au terme d'une montée sèche et exigeante] pouvait créer beaucoup d'écart, explique Nicolas Portal. Mais là, c'est une étape comme on en voit tous les cinq ou six ans.» L'instant d'après, le directeur sportif se rappelle de celle du Ventoux, il y a deux ans, où son «Froomey» avait maté l'adversité.
Déjà bien distancée au général ce mardi matin, sa composante française a pris un nouvel éclat. Jean-Christophe Peraud, deuxième l'an passé, boucle l'étape à 5'38" de Froome. Thibaut Pinot (3e en 2014) lâche dix minutes, et Romain Bardet (6e) près de neuf. «Nos coureurs ont perdu leurs illusions aujourd'hui, regrette Vincent Lavenu, manageur d'AG2R. Je m'attendais à ce scénario, celui d'une Sky surpuissante. Maintenant, il y aura des accessits à aller chercher.» Outre Gallopin, les meilleures perf' du jour, côté tricolore, sont à mettre au crédit de Pierre Rolland (Europcar) et Warren Barguil (Giant), respectivement huitième et quinzième.
Le classement général
1. Chris Froome (GBR/SKY) 35h56'09"
2. Tejay Van Garderen (USA/BMC) à 2'52"
3. Nairo Quintana (COL/MOV) 3'09"
4. Alejandro Valverde (ESP/MOV) 4'01"
5. Geraint Thomas (GBR/SKY) 4'03"
6. Alberto Contador (ESP/TIN) 4'04"
7. Tony Gallopin (FRA/LOT) 4'33"
8. Robert Gesink (PBS/LNL) 4'35"
9. Warren Barguil (FRA/GIA) 6'12"
10. Vincenzo Nibali (ITA/AST) 6'57"