Nique ta Grande Boucle. Voici le nouveau rappeur du peloton, Sam Bennett, alias «Sammmy Be» (avec trois M). A partir d’aujourd’hui, il faudra écouter comment le sprinter irlandais rugit dans le micro, pendant l’enfer des cols pyrénéens. S’il est remis du virus qui ces derniers temps l’a pompé à sec, Sammmy Be nous régalera avec l’un de ses tubes, sans tabou, chantant la dérive d’un gamin aux grosses cuisses, lancé pour la première fois sur le Tour de France.
Son album de juillet contient tous les gros mots d'usage. «Au départ, j'étais en train de me faire dessus, dit-il après le contre-la-montre inaugural, à Utrecht. C'est passé à une putain de vitesse !» Il adore les punchlines, Bennett. Presque autant que MC «Cav», son gourou, son adversaire préféré, le Britannique Mark Cavendish. Reste à voir comment le Tour de France va traiter sa petite star de 25 ans – le même âge que Thibaut Pinot, Peter Sagan et autres valeurs montantes chez le disquaire. Sur le Tour de Grande-Bretagne 2013, c'était passé moyen. Quand il a remporté son étape de prestige, le commentateur télé a dû s'excuser à la place de Bennett : beaucoup trop de «fucking» dans l'interview.
Spots éteints, Sammmy Be redevient cet enfant de porcelaine, voix fluette, dents minuscules et alignées comme une haie à la française. «Mon pseudo vient de Twitter, mais je ne l'ai même pas choisi moi-même ! jure-t-il à Libération. La proposition s'est faite automatiquement quand j'ai rentré mon prénom et mon nom.» Il éclate de rire : «Jésus! Bien sûr que je ne suis pas un rappeur !». Mais nous ne sommes pas tout à fait obligés de le croire.
Accent rustique
Le truc louche, c’est Monaco. Sam a choisi de vivre sur le rocher du stuc et du carton-pâte, loin de son background classe moyenne. Il est né à Wervicq, en Belgique, tellement près de la frontière française que la ville se coupe en deux. Comme il a grandi dans la partie flamande, jusqu’à ses 4 ans, il a d’abord parlé l’idiome de Freddy Maertens. Son père Michael jouait pour le club de foot local. Il n’a découvert la langue du rap que lorsque la famille est revenue sur ses terres d’origine, en Irlande, du côté de Carrick-on-Suir. Une petite ville tout sauf Monaco.
«En bien ou en mal, on n'entend jamais parler de Carrick à la télé ou la radio», explique Sean Downey, ex-coéquipier, l'ami de Sam. La localité reste toutefois célèbre pour son héros cycliste, le papa de tous les rappeurs, disque d'or sur Paris-Roubaix et auteur de tournées fracassantes dans les années 70 et 80 : Sean Kelly. Le petit Sammmy Be a appris aux côtés du maître : «L'hiver, il roule souvent sans gants. Il est encore très dur. J'ai froid plus vite que lui !» Carrick produit des hommes en tracteur, éventuellement quelques fonctionnaires, plus rarement des champions cyclistes et encore moins des exilés monégasques.
Mais Bennett s'est chauffé la voix sur les bords de la Méditerranée dès ses 19 ans. Il rejoint ainsi le VC La Pomme Marseille, sur les traces de ses compatriotes Dan Martin et Nicolas Roche (engagés dans le Tour 2015, respectivement chez Cannondale-Garmin et au Team Sky). Son accent rustique complique ses rapports. En course, quand il dit «I want a bottle !», c'est-à-dire un bidon d'eau, ses équipiers entendent «I want a ball». Mathieu Delarozière se souvient : «On ne comprenait pas pourquoi ce mec voulait un ballon en pleine étape…»
Malheurs
Alors, Bennett déprime. Il s’enferme des après-midi entières dans la pénombre, à plat ventre sur son lit, les jambes repliées sur les fesses, dans une étrange posture de yoga. Il est réputé fragile, de mental et d’intestin, puisqu’il n’ingère les légumes que pressés en jus, vidés de leurs fibres. Entre autres malheurs, l’Irlandais a failli se faire amputer par les chirurgiens après un accident de vélo, ou se faire engager par la Française des Jeux, qui l’a essayé comme stagiaire.
Puis vient la délivrance, en 2011 : le retour en Belgique, dans les Flandres, dans une équipe de troisième division parrainée par Sean Kelly. Sammmy B se place alors sous la protection des Irlandais, les patrons de la rue vélo. L'immense Sean a un beau carnet d'adresses et il tente même d'envoyer Sammmy Be à la Team Sky, sans succès. La fédération internationale, l'UCI, est le quartier d'un autre Irish, Pat McQuaid. Dont le fils Andrew exerce le job d'agent, avec un gros penchant pour les coureurs installés à Monaco. Transféré sur la Riviera, coaché par Neal Henderson, le très select entraîneur américain, Sammmy met un coup de laque sur sa carrière. Mais, au grand regret de ses fans, il prévient : «Je ne vais jamais à la plage, ceux qui croient qu'on fait toujours la fête à Monaco se trompent. J'habite là pour la météo et les routes d'entraînement. Je travaille beaucoup, vous savez.»
Cette année, pour son premier Tour de France, Bennett est élu «co-leader» chez Bora-Argon 18, une équipe allemande insignifiante. Classé 10e vendredi à Fougères, sur le seul «vrai» sprint massif depuis le départ (sans bordures ni pavés au préalable), il espère devenir une référence de la discipline. Transformer en grosse chaîne sa trop discrète boucle d'oreille. «Sam aime tout ce qui est gros, se marre son copain Sean Downey. Grosses montres, gros écrans plats, grosses voitures.» La bagnole attendra. Sammmy Be soupire : «Le parking coûte trop cher à Monaco.»