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Pinot et Bardet, trop rivaux pour gagner ?

Les deux grimpeurs français se sont neutralisés sur les hauteurs de Mende, laissant la victoire au Britannique Cummings. De quoi entretenir la théorie, en partie inexacte, d’une rivalité destructrice.
Le Français Romain Bardet encouragé par des supporters. (AFP)
publié le 18 juillet 2015 à 20h59
Même âge (25 ans), même registre d’expression (la montagne), mêmes projecteurs braqués sur eux en tant que «relève du cyclisme français». Inévitablement, les relations entre Thibaut Pinot (FDJ) et Romain Bardet (AG2R La Mondiale) sont compliquées. Et, inévitablement, elles sont apparues au grand jour ce samedi, dans le final de la 14e étape du Tour de France, à Mende (Lozère), où les deux coureurs, échappés pour la victoire d’étape, se sont trop observés dans les derniers mètres, ouvrant la porte au retour du Britannique Steve Cummings (Team MTN-Qhubeka).

«C'est du gâchis!», admettait Pinot, qui prend la deuxième place. Bardet, troisième, secouait la tête : «Ce n'est pas possible !» La mésentente était-elle purement de circonstance ? Julien Jurdie, directeur sportif d'AG2R La Mondiale voulait le croire. «Ces deux coureurs ont une explosivité équivalente pour ce genre d'arrivée, dit-il. J'aurais bien aimé que Thibaut gagne, même si j'aurais préféré que ce soit Romain. En tout cas, il n'y a pas de guerre franco-française!»

Passé à l'offensive le premier dans l'ascension finale de la Croix-Neuve, Bardet avait été rejoint par Pinot à 2 km de l'arrivée, puis tous deux ont été contrés par Cummings dans les 500 derniers mètres. «Nous ne l'avons pas entendu ou vu revenir», disent les deux coureurs, qui se rejettent la responsabilité de cet échec.

Une rivalité accrue depuis 2014

«Pourquoi Thibaut a-t-il laissé cinq mètres d'avance à Cummings?» interroge Bardet, qui ne connaissait pas l'ascension, en particulier le dernier kilomètre en descente. «Romain n'a pas voulu passer (prendre les relais)», regrette Pinot, qui ajoute : «Mais bon, c'est tactique de sa part, c'est normal.» Chacun était par ailleurs certain de battre l'autre au sprint.

Reste que ce marquage de près confirme une vive opposition entre les deux coureurs, d’origine naturelle puisqu’ils n’ont jamais évolué dans la même équipe depuis leurs 17 ans. Leur adversité a franchi un cran en 2014 lorsqu’ils ont été qualifiés de tenants de la nouvelle vague après une excellente prestation dans le Tour de France (Pinot termine 3e, Bardet 6e). Cette année-là, ils s’étaient livrés des sprints rageurs pour des places d’honneur aux arrivées d’étape, voire pour la conquête du maillot blanc de meilleur jeune. Dans la descente du col d’Izoard, Romain Bardet, accompagné de son coleader Jean-Christophe Péraud, avait tenté de piéger Thibaut Pinot, mais sans succès.

Relations courtoises et quasi amicales

La saison dernière, les deux coureurs avaient abandonné toute chance de remporter le Grand Prix d'ouverture La Marseillaise, le 2 février 2014, lorsqu'ils se sont retrouvés ensemble dans une échappée. «Ils se sont neutralisés et c'est ce qui a condamné nos chances», raconte un autre concurrent à Libération. De la même manière, Bardet menait un groupe de poursuivants derrière Pinot lorsque celui-ci portait une attaque dans la montagne sur le Tour de Romandie. Comme il aurait pu le faire derrière n'importe quel adversaire… Mais il n'en fallait pas plus pour exacerber leur opposition.

Pinot et Bardet continuent cependant d’affirmer qu’ils sont «copains», ce qui n’est pas totalement inexact. Dans les rangs Juniors, le premier a dormi chez le second après une épreuve disputée en Ardèche et, plus récemment, lorsque Pinot remportait une étape du Tour de l’Ain, il offrait le bouquet de fleurs au père de Bardet. De même, lorsqu’ils se croisent à l’aéroport ou lors d’une épreuve sous le maillot commun de l’équipe de France, les deux grimpeurs témoignent des relations courtoises et quasi amicales.

Pinot le terrien et Bardet l’intello ?

«Mais, depuis très jeunes, ils sont obsédés l'un par l'autre», confie un coureur qui les a vus évoluer dans les rangs amateurs. La manière dont la presse les qualifie est, en soi, de nature à raviver les tensions. Côté athlète : Pinot l'enfant prodige serait un dilettante à l'entraînement, au contraire de Bardet le besogneux qui compense un manque de grand talent. Côté personnalité : Bardet l'intellectuel (il est encore étudiant à l'école de management de Grenoble) serait l'antithèse de Pinot le terrien adepte de la pêche (il serait devenu paysagiste ou pompier s'il n'avait pas embrassé une carrière cycliste).

Les deux coureurs dénoncent cette présentation en forme de cliché. Par souci de nuance, rappelons que Bardet revendique des attaches rurales et une pratique de la chasse dans sa jeunesse, tandis que Pinot s’astreint à une préparation de pointe sur la diététique ou l’entraînement…

Une saine émulation ?

La relation entre les deux «copains» pourrait trouver un aboutissement positif, comme le pense Bernard Bourreau, le sélectionneur de l'équipe de France : «Pinot et Bardet se tirent vers le haut, il s'agit d'une saine émulation !»

Leur refus de voir l'autre prendre l'avantage rappelle de nombreux exemples de relations délicates, y compris les cohabitations de sprinters au sein d'une même équipe. Ce fut le cas en 2014 à la FDJ entre Nacer Bouhanni ou Arnaud Démare, ou en 1995 entre Frédéric Moncassin et Djamolidine Abdoujaparov chez Novell. «C'est simple : quand Abdou devait faire le travail pour moi, il ne me trouvait jamais dans le peloton ou bien il se plaçait très mal et je ne pouvais pas gagner, raconte Moncassin. L'inverse était vrai aussi. Nous nous appréciions mais, inconsciemment, nous ne voulions pas que l'autre gagne.» C'est aussi un peu ce qui s'est passé samedi sur les hauteurs de Mende.