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Marc Madiot, les jeux sont faits

Marc Madiot Fils d’agriculteur et râleur de bon cœur, le manageur de la FDJ et de Pinot croit en la grandeur de la France dont il fait le Tour chaque été.
Portrait de Marc Madiot, manageur de l'équipe cycliste "FDJ", réalisé à Lescar le 15 juillet 2015.
publié le 20 juillet 2015 à 19h26

Un homme promène son spleen sur les routes du Tour de France. Son meilleur élément, le grimpeur Thibaut Pinot, est passé au travers des deux premières semaines de course, mais ce n'est pas ce qui le tracasse le plus. Marc Madiot, manager de l'équipe de la Française des jeux (FDJ), est en colère. Contre le monde anglo-saxon, Bruxelles, les écolos, Christiane Taubira cette «purge», «l'assistanat». Marc, 56 ans, est un râleur, tendance gaulois ronchon plus que vieux con. Il pousse ses coups de gueule depuis le pied du bus de son équipe jusqu'aux studios radios et plateaux télé.

Les plus âgés se souviennent du Madiot coureur : un vrai bon, double vainqueur de Paris-Roubaix, 8e du Tour 1983. Les jeunes adultes ont grandi avec ses équipes de losers à la française, martyrisés lors du règne de Lance Armstrong (RIP Sandy Casar). Les ados se souviennent peut-être de l'hurluberlu fracassant la portière de sa bagnole lors de la victoire de Pinot à Porrentruy en 2012. Comme coureur ou manager, Madiot est un condensé du vélo bleu-blanc-rouge des trois dernières décennies : insouciance sous amphés des années 80, dérive sous EPO des années 90, déprime impuissante du début du siècle. La décennie en cours pourrait être plus joyeuse : il a récupéré sous son aile une partie des Français les plus prometteurs du peloton (Pinot, Démare, Vichot). Reste à les faire gagner, alors que les mauvais génies planent toujours autour du vélo.

S'il n'y avait que le dopage, l'affaire serait simple. Mais l'époque a changé : elle a vu débarquer de nouveaux acteurs, plus fortunés, comme l'équipe britannique Sky, ou celle du milliardaire russe Oleg Tinkov. Marc Madiot se voit comme un «petit» au milieu des «gros», peu importe que la FDJ lui apporte tous les ans plus de 10 millions d'euros de budget. En ce moment, le résistant mayennais en a après les mobil-homes de luxe auxquels ces multinationales voudraient recourir pour loger leurs coureurs pendant le Tour, en lieu et place des traditionnels hôtels dégotés par l'organisation. Lancé sur le sujet, il s'agite, s'énerve, et, on ne sait par quel lien de cause à effet, balance à l'adresse de Dave Brailsford, son homologue de Sky : «Qu'il retourne en Angleterre avec ses camping-cars !» La seconde d'après, le voilà qui défend l'hôtel haut-normand de Gonfreville-l'Orcher où son équipe a été hébergée il y a deux semaines : «Ce n'était qu'un Campanile, pas luxueux, mais on a été merveilleusement accueillis. En France, on sait manger, on sait recevoir.»

Certes, il milite pour «l'équité», mais il n'est assurément pas «communiste», comme l'en a accusé Tinkov. La référence, dans l'histoire familiale, s'appelle De Gaulle. Un homme dont «on aurait bien besoin aujourd'hui». «Et, c'est pas une histoire de droite ou de gauche, car les politiques, ils sont tous pareils !» Lui, qui a voté Mitterrand, Chirac ou Sarkozy, a quand même du respect pour quelques-uns. «Sarko»,mais aussi Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense et patron de l'équipe cycliste de l'armée de terre, ou Bruno Le Roux, député PS.

Mais ce qui le fait surtout vibrer, c'est la France. Dans son bouquin (1), le mot revient toutes les trois lignes. Il l'aime, ce pays qui, espère-t-il, «a eu et a encore un rôle moteur dans l'évolution de ce monde, et notamment dans le sport et le cyclisme». Quand d'autres ont des gestes élémentaires pour l'environnement, il en a pour ne pas se «laisser bouffer par les Anglo-Saxons» : il bataille pour que le français, langue originelle de l'Union cycliste internationale, reste usité. Certains 14 Juillet, avant le départ de l'étape, le Chant des partisans ou la Marseillaise retentissent dans le bus de la FDJ. «C'est entraînant, ça peut être porteur.» Madiot a même développé une typologie des publics sur le bord de la route. Ces deux dernières années, le Tour est parti d'Angleterre et des Pays-Bas : des gens «débordants, exubérants, qui viennent assister à une fête», tranche le manageur. Il n'est pas fâché quand le parcours rentre à la maison, où l'on retrouverait une «certaine sérénité». Là, «les gens sont respectueux, habitués au Tour».

Ses premiers souvenirs de la Grande Boucle remontent aux années 60, époque Anquetil. A la radio, il écoute les exploits des gars du coin, Foucher et Groussard. La famille Madiot, installée dans l'Ouest depuis la Révolution, n'est pas très vélo. A la ferme, on élève des vaches, des porcs, de la volaille, on fait pousser un peu de blé. L'arrière-grand-père est mort en 1914, sur le chemin de la maison, après avoir été blessé au front. Papi, lui, a été prisonnier quatre années en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Le père, Marcel, est un dur au mal. «Il était sept jours sur sept au boulot, tôt le matin, tard le soir, se souvient Madiot. On n'avait jamais de vacances en famille. L'été, c'était la moisson.» Quand le gamin se met au cyclisme, il le fait «à fond», avec une consigne en tête : «Tu as le droit d'être battu, mais pas d'être mauvais, de renoncer.» «Mon père se levait à 4 heures du matin pour traire ses vaches, puis m'emmener sur une course à 200 bornes, raconte-t-il. Ce n'était pas pour faire deuxième ou être naze.» Le vélo comme ascenseur social : «Sinon, je serais probablement comptable en Mayenne.»

Devenu professionnel, il garde le même respect envers le paternel. En 1987, le départ du Tour est donné à Berlin. L'organisation a placé, sur les dossards, à côté du numéro d'engagement, un drapeau européen. Tous les matins, il le découpe méticuleusement. On lui demande pourquoi. Il tape du poing sur la table, hausse le ton, presque menaçant. «Pour mon père, c'est tout ! Et tant pis si ça fait pas joli aujourd'hui, mais je recommencerais.» On insiste. D'un coup, la voix s'étrangle, les larmes coulent, il se tasse au fond de sa chaise. «Oui ! Oui ! J'ai vu mon père ramer à la fin du mois pour qu'on ait tous à bouffer. A la maison, on n'avait même pas de quoi acheter une machine à laver.» Sa femme, Jennifer, avec laquelle il a un garçon de bientôt 5 ans, lui souffle de se calmer, de ne pas se mettre «dans des états pareils». «Il faut que ça sorte», répond-il.

Il veut de l'Europe, «bien sûr», mais «pas n'importe comment». Il la perçoit comme une intrusion dans la vie des «petites gens». De là à se laisser séduire par le FN, «jamais !». Face à cette mondialisation qui «attaque», il prévient : «Quand le monde paysan bouge, c'est que ça va mal.» L'époque a changé, l'agriculture n'est plus prépondérante dans l'économie française, mais le gamin de Renazé s'en fiche : «Si on vire tous les paysans, la France va devenir un dépotoir, il va y avoir des broussailles partout.» Le panthéon de ce «franco-franchouillard», en politique comme en vélo : des clochers et de l'épopée. Mais il le sait, «pour survivre», il lui faut se «fondre dans un monde aseptisé».

(1) Parlons vélo, Talent Sport.

1959 Naissance à Renazé (Mayenne).

1980 Professionnel chez Renault.

1985 Première victoire sur le Paris-Roubaix.

1997 Création de l’équipe de la Française des jeux (FDJ).

2015 Dix-neuvième Tour de France comme manager.