L'annonce est venue de la bouche de Frédéric Thiriez, le président de la LFP, ce jeudi matin : le principe de deux montées, deux descentes entre Ligue 1 et Ligue 2 (au lieu de trois), adopté par la Ligue de football professionnel pour la saison 2015-2016, a été rejeté par sa tutelle, la Fédération française de football. Frédéric Thiriez a dans la foulée annoncé que la LFP saisirait en référé le conseil d'Etat pour tenter d'infirmer cette décision. A neuf jours du début de la saison de Ligue 1 s'engage ainsi une crise ouverte entre les deux principales institutions du football français. Et qui pourrait se terminer en révolution.
Qui veut la révolution du foot français ?
La déclaration à Libération de Vincent Labrune, le président de l'OM, ne laisse pas de place au doute : en jeu, plus qu'une guéguerre des montées-descentes, il y a la mainmise sur le foot pro français. S'il assure «regarder ces débats de loin», le boss de l'OM a ainsi un avis tranché : «la Ligue est la maison des pros, qui sont des sociétés commerciales qui doivent lutter pour survivre dans une concurrence européenne exacerbée.» En clair, à la FFF les équipes nationales et le foot amateur, à la LFP le foot pro et ses revenus.
«Le football européen est en train de vivre sa révolution en terme de revenus et de business suite à l'explosion des droits télés en Angleterre entre autres, qui a suivi celle des droits UEFA de la Champions League. Il faut que chacun reste à sa place et qu'on laisse le monde professionnel s'organiser, se structurer et réussir sa mutation structurelle et économique.» Et de poursuivre : «Posons nous les bonnes questions: dans le grand «train» du football français, qui est la locomotive et le poumon économique? Bien évidemment les clubs professionnels de l'élite.»
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Et qui pour conduire la locomotive ? Les présidents de clubs. En affirmant qu'il n'est que le «modeste héritier d'une institution» et le «garant des décisions du Conseil d'administration», Frédéric Thiriez semble vouloir dire que ce combat n'est pas vraiment le sien. Derrière la LFP, les dirigeants de Lyon, Bordeaux, Rennes ou le Paris-Saint-Germain, qui lorgnent avec envie sur le modèle de la Premier League : une société commerciale qui gère les profits générés par les ligues pro. Jean-Michel Aulas ne s'en cachait pas en février dernier dans une interview à News Tank relayée par le site officiel de l'Olympique lyonnais: «L'Angleterre a un modèle de gouvernance qui n'est pas si mal que ça : le régalien est dans une seule structure (la FA), c'est l'équivalent de la Fédération, et ce qui est commercial est du domaine d'une société commerciale de clubs (Premier League, Football League).» Et d'affirmer un peu plus loin que le football français était dans «une étape obligatoire de restructuration et d'évolution.»
Ce dont ont envie les présidents de clubs, c’est d’en finir avec la gouvernance «à la papa» de la FFF : fini les réunions des grandes «familles» du football français, arbitres, joueurs, présidents etc… La réforme des montées-descentes y participait aussi : passer à deux descentes pour réduire le risque sportif de descente inopinée d’un club majeur, renforcer la compétitivité de la Ligue 1, attirer les investisseurs. Mais il s’agissait aussi d’une certaine manière pour la LFP de marquer son territoire, de tordre gentiment le bras de la FFF. Le clash qui a résulté de ce ballon d’essai devrait accélérer la crise institutionnelle qui hante depuis quelques temps la gouvernance du football français.
Pourquoi la FFF a-t-elle choisi d’aller au clash ?
Dans ses premières réactions, le président de la FFF Noël Le Graët a opté pour un ton modéré face à la volonté d'aller au conflit de la LFP. Il a d'abord assuré que son instance «souhaitait la paix» et qu'elle «a pris une décision sage, (...) juste, et importante au nom de l'intérêt supérieur du football». Tout en essayant gentiment de remettre la LFP à sa place : «Nous souhaitons vivement que la Ligue redevienne la maison de tous les professionnels. La Ligue doit retrouver son calme et doit respecter ceux qui ne sont pas en L1. L'unité du foot, c'est aussi de respecter ceux qui ne partagent pas vos convictions.»
Obsédé par l’Euro 2016, le président de la FFF n’a aucune envie de réinventer le fonctionnement du football français à peine un an avant d’accueillir ces championnats d’Europe. Il aurait préféré la paix. C’est son «comex», le comité exécutif de la FFF, composé de divers noms du football français, de présidents de clubs ou de Ligue régionales qui a préféré, lui, imposer une ligne dure à la LFP. Histoire de garder la main.
Ligue 1 contre Ligue 2, faux débat ?
«On considère que séparer la Ligue 1 de la Ligue 2 et du National n'est pas une bonne chose.» Noël Le Graët, pour justifier la décision du comité exécutif de la FFF, a invoqué l'intérêt supérieur du football français. Comme l'expliquait Libération avant la décision, il n'y a cependant pas une mobilisation farouche des clubs de Ligue 2 contre le projet. Tout juste Guy Cotret, le président d'Auxerre, sur Eurosport.fr a réagi en fustigeant un «comportement indigne» de la part de Frédéric Thiriez qui «se comporte comme le président des clubs de Ligue 1» et «enfonce un peu plus les 20 clubs de Ligue 2 et les 4 clubs pro de National.»
On ne peut pas lui donner tort quand on voit la mise en place de cette réforme. Pour rappel, le 21 mai, le conseil d’administration de la LFP avait voté le principe de deux montées/deux descentes pour la saison 2015-2016. Pour L2/National, il fallait l’aval en assemblée de la Fédération française de football (FFF), qui gère le National. Mais celle-ci avait décidé de repousser sa décision au mois de décembre.
Malgré tout, le 9 juillet, la LFP, lors d’un nouveau conseil d’administration, avait décidé de maintenir le passage à deux descentes et montées entre L1 et L2 dès la saison à venir. Provoquant ainsi un manque d’uniformisation entre les trois divisions. La décision prise par la FFF ce jeudi matin vise à reprendre la main sur le débat. Mais allume aussi la mèche.