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Libération
Portrait

De Nancy à Nyon, Platini meneur du jeu

Petites anecdotes qui en disent long sur le numéro 10, qui a presque tout réussi, des terrains jusqu’à la plus grande instance du foot européen.
Michel Platini pendant le match France-Islande, pendant le Championnat européen de football de 1987, sa dernière sélection en bleu. (Photo Joël Robine. AFP)
publié le 29 juillet 2015 à 20h36

Un jour de 2006 qu'il battait la campagne en Moldavie avant de se faire élire président de l'Union européenne de football (UEFA), Michel Platini se vit présenter Pavel Cebanu, illustre inconnu, comme «le Platini moldave». L'ancien numéro 10 des Bleus eut alors ce mot sans réplique : «Non, c'est moi qui étais le Cebanu français.» Trois ans plus tard, le même se retrouve à un pince-fesse en présence d'un édile fasciné par Yoann Gourcuff, alors en pleine ascension. Le natif de Joeuf (Meurthe-et-Moselle) se voit ainsi demander si Gourcuff est «le nouveau Platini». La réponse est extraordinaire : «Ben avant ça, il faudrait déjà qu'il devienne le nouveau Zidane.»

Tous ceux qui rencontrent Michel Platini font la même expérience : l'homme installe l'idée d'une supériorité double, celle du grand joueur qu'il fut - seuls Kopa ou Zidane peuvent lui disputer le titre de meilleur joueur français de l'histoire, d'où la vanne liée à Gourcuff - et celle de l'homme d'esprit qu'il demeure. L'instant peut être délicieux. Un soir de janvier, on s'est retrouvé face à un Platini qui, en préambule à une interview, s'étonnait d'une déclaration du président de Lyon, Jean-Michel Aulas, regrettant le fait que ses joueurs aient évolué sur un terrain enneigé. «Ah, la neige… Je me rappelle quand elle recouvrait le terrain d'entraînement de l'AS Nancy-Lorraine [où il a signé son premier contrat professionnel en 1972, à 17 ans, ndlr] où je m'entraînais à tirer les coups francs grâce à des mannequins figurant le mur adverse. J'allais les chercher dans un débarras avant de les tirer jusque devant un but : j'ai encore dans l'oreille le crissement des mannequins sur la neige fraîche.» Un coup à oublier toute objectivité journalistique : Platini éteint la lumière, dégaine de chandelier et allume les bougies, ressuscitant comme par magie le meneur de jeu à bouclettes qui tira derrière lui (un peu comme les mannequins) une génération de footballeurs français pour les sortir de l'ornière de la défaite par la grâce d'un Euro 1984 à 9 buts, c'est-à-dire 1,8 par match.

Mariole. Ce jour-là, on a brusquement compris que ça n'avait pas été tout seul. Platini s'était lancé dans une diatribe contre le déracinement précoce des joueurs intégrant dès 11 ans les centres de formation et on avait senti qu'il n'y mettait pas le côté amusé et mariole qui le caractérise. On lui avait demandé si, adolescent, il avait eu peur de se perdre. Il avait répondu par l'affirmative. «Mais quand même, vous étiez costaud…» «Non. Moi, en tout cas, non.» Son père, Aldo, à Libération en 2007, le jour où Platini a été élu à la tête de l'UEFA : «Tu sais, on ne l'a jamais beaucoup emmerdé, notre Michel. Je lui ai toujours donné sa liberté d'être un joueur. Quand tu laisses un gamin faire ça, il ne te fait pas chier. Les petits écarts, ce n'est jamais à cause du foot. Tu n'es pas emmerdé par le foot. Et Michel, même aujourd'hui, ça reste un joueur. Oh, il a beaucoup changé ! Il a travaillé pour s'améliorer. Quand même, débarquer un mec qui dirige l'UEFA depuis dix-sept ans [le Suédois Lennart Johansson, ndlr], c'est fort. Michel n'a jamais choisi la voie facile. Dans sa vie de footballeur, il a tout fait. Dirigeant, ce n'est pas vraiment du foot. Mais à la limite, je me rends encore plus compte de tout ce qu'il a accompli.»

«Romantisme». Michel Platini, toujours dans Libération, lors du fameux entretien avec Marguerite Duras en 1987 : «Je suis devenu meneur d'hommes parce que les gens avaient besoin de moi. Je leur redonnais la confiance. Je n'ai jamais été aussi bon que quand j'étais projeté en avant. Le jour où j'ai commencé à me mettre devant tout le monde, j'ai fait un saut de qualité exceptionnel.» Ses coéquipiers l'ont souvent senti passer. En équipe de France, il avait développé un concept : la «Platini Airways», compagnie aérienne imaginaire servant à rallier les lieux abritant les phases finales de Mondial - c'est toujours un but du joueur qui expédia les Bleus en Argentine (1978), en Espagne (1982) et au Mexique (1986).

A la tête de l'UEFA, Platini fit aussi grincer des dents : il avait été élu sur un programme visant à rendre le pouvoir au monde du foot aux dépens de l'administration de l'instance, capable pourtant d'engranger les dollars des droits télé avec une efficacité que personne ne contestait, pas même ceux qui ont préféré «le romantisme social à la française» (Theo Zwanziger, président de la fédé allemande, qui finira par lui manger dans la main) au pragmatisme de Johansson. Pour l'essentiel, Platini a fait deux choses depuis 2007. Ouvrir (un peu) la Ligue des champions aux petits pays, comme l'a montré la présence de l'Apoel Nicosie en quart de finale en 2012 - de la science-fiction au regard des réalités économiques du foot. Et le fair-play financier : entre 400 et 500 millions de déficit pour le foot européen aujourd'hui, contre 1,7 milliard il y a un an. Quand il a remis le trophée symbolisant la Ligue des champions le 6 juin, certains joueurs lui sont tombés dans les bras : les plus anciens, Pirlo, Buffon. Neymar, en revanche, n'a pas moufté. Le Brésilien a 23 ans, Platini, 60 : le premier n'a jamais vu jouer le second. L'heure est peut-être venue de s'attaquer à la Fifa et à la politique pure.