Souhaitons bonne chance à Platini. L’institution qu’il entreprend de conquérir est aujourd’hui plus décriée que la Ndrangheta, la mafia calabraise. Le FBI la traque, ses dirigeants sont interpellés au petit matin dans des palaces suisses, et il y a même un repenti dans le lot, Chuck Blazer, un rustaud à la tête de père Noël ayant plaidé coupable et balançant à la justice américaine tous les petits secrets qu’il a dans sa hotte.
Le 2 décembre 2010, Blazer est l’un des 22 votants à la Fifa qui ont refilé le Mondial 2018 à la Russie et l’édition 2022 au Qatar. Pas moins de 10 membres du comité exécutif de la Fifa (Comex) de l’époque ont été mis en examen pour corruption ou invités à démissionner après des soupçons de malversation. Trois d’entre eux sont encore visés par des enquêtes du comité éthique de la Fifa, dont le vénérable Franz Beckenbauer. Le boss, Sepp Blatter, 79 ans, a fini par rendre les armes le 2 juin. A Zurich, il erre dans les couloirs d’une organisation de plus de 400 administratifs totalement paralysée.
Sulfateuse. Le 10 juin 2014, à Rio de Janeiro, Michael van Praag, le président de la Fédération néerlandaise, avait prévenu Blatter devant des représentants de la Confédération européenne remontés comme des coucous. Intro tout en tendresse : «Sepp, je vous aime beaucoup, vous connaissez ma femme.» Suite à la sulfateuse : «N'y voyez rien de personnel, mais la réputation de la Fifa est aujourd'hui indissociable de la corruption.»
Le football, la Fifa l'a dissous dans les combines depuis longtemps. La réputation de Platini ne suffira pas à inverser la tendance. Un Eric Cantona blasé nous confiait avant le Mondial brésilien, en mai 2014 : «Platini a été un grand joueur, c'est un grand monsieur du football. Mais aujourd'hui, c'est un politicien comme les autres.» Le King, philosophe : «Mais pourquoi pas ? Ce serait une bonne chose, finalement, puisque ce sont tous des politiciens, qu'un ancien joueur soit élu à la tête de la Fifa. Entre la peste et le choléra, qu'on hérite d'un médecin.» Quelles ordonnances pourrait prescrire le docteur Platini, vu d'un bon œil par certains sponsors, tel Adidas ?
Rendre public le salaire du président, pour commencer, ce qui n'est le cas ni à la Fifa ni à l'UEFA. Limiter la durée des mandats : «Depuis près d'un demi-siècle, la Fifa a compté seulement deux présidents. Cette stabilité extrême est paradoxale», écrit Platini dans sa déclaration. Un consensus se dégage autour d'un maximum de 3 mandats de quatre ans. Pour le président, comme le souhaitait Platini en 2013, mais aussi pour les membres du Comex ? Le patron de l'UEFA, qui y siège depuis treize ans, devra prendre une position claire.
«Déboires». «En 2013, la Fifa a concrétisé quelques réformes majeures, détaille Jérôme Champagne, ex-directeur des relations internationales de l'institution, proche de Blatter. L'élection d'une femme au comité, la création d'une commission d'éthique ou encore la décision de rendre la désignation du pays hôte du Mondial au Congrès [qui rassemble les 209 fédérations nationales, ndlr]. Mais depuis deux ans, tout est gelé. Le Comex reste contrôlé par les six confédérations, qui s'en servent comme une bourse d'échanges de votes. Elles ne sont même pas membres de la Fifa, mais elles sont à l'origine de tous ses déboires, comme le démontre le dossier américain, qui cible deux d'entre elles, la Concacaf [Amérique centrale, du Nord et Caraïbes] et la Conmebol [Amérique du Sud].»
Domenico Scala, en charge des réformes et de l'organisation de l'élection de février, a insisté sur la transparence au sein du Comex, à la manœuvre sur les contrats commerciaux et de droits télé. L'Italien a évoqué la possibilité de réattribuer les Mondiaux 2018 et 2022 si des irrégularités graves étaient prouvées. Ce n'est toujours pas le cas, mais le boulet qatari risque d'empêcher Platini de proposer un jeu aussi délié qu'autrefois.