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Relais : les Bleus tiendront-ils leur ligne?

Souvent victorieux au 4 x 100 mètres, les nageurs tricolores abordent avec concentration et sérénité l’épreuve de dimanche, aux championnats du monde de Russie.
Fabien Gilot et Florent Manaudou après le titre européen en août 2014. (Photo John MacDougall. AFP)
publié le 31 juillet 2015 à 19h46

Il y a quelques jours, pendant leur stage à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), les nageurs français se sont réunis autour d’une table. Ils ont fermé les yeux et pensé à cette épreuve démente qui lancera, dimanche, les festivités de la natation, lors des Mondiaux de Kazan (Russie) : le 4 x 100 mètres libre, où les Bleus squattent tous les podiums depuis 2006, avec le statut, aujourd’hui, de champions olympiques, du monde et d’Europe en titre.

Aucun chaman ne peut expliquer la réussite du 4 x 100 mètres français. Il s’avance dans une vapeur diffuse, sans crier gare. Dimanche, il pourrait même se passer, pour la finale, de Florent Manaudou, champion d’Europe du 100 mètres l’été dernier, ou de Jérémy Stravius, champion de France sur l’épreuve reine en avril. La composition ne sera même pas indexée sur les chronos du matin en séries.

Entité mouvante, le 4 x 100 mètres est modelé par l'humeur du moment. «Je fonctionne à l'instinct, assume Romain Barnier, entraîneur en chef de l'équipe masculine à Kazan et cartomancien du crawl. Le choix du relais victorieux aux JO de Londres, en 2012, il n'était pas cartésien. Aux Mondiaux de 2013, à Barcelone, on change trois athlètes entre les séries et la finale, c'est encore moins logique. Les Anglo-Saxons se concentrent uniquement sur un point : "Qui a nagé le plus vite le matin ?" Ça leur a coûté des médailles d'or. Et nos gars, ils ne veulent pas seulement gagner, ils savent gagner. Avant, on était les meilleurs, on avait le niveau, mais on ne savait pas gagner.»

Savoir-faire. Aux armadas australiennes, américaines ou russes, la France oppose son savoir-faire. Fabien Gilot, le capitaine, le pionnier, déjà médaillé sur le relais aux Mondiaux de 2003 : «Je ne vais pas vous donner les secrets [rires]. Allez, ce que je peux vous dire, c'est qu'en relais, on a longtemps considéré qu'il fallait un super-partant et un gros finisseur. Nous sommes complètement sortis de ce schéma-là. Tout dépend de l'adversaire et de ce qu'il a pris l'habitude de faire.»

La bonne combine française tient-elle dans les passages de relais ? «Non, ça, tous les jeunes nageurs savent faire, d'où qu'ils viennent, balaie Jacques Favre, directeur technique national. Le choix de l'ordre est le point essentiel. Dès les séries, car cela détermine la ligne d'eau en finale.» Qui peut permettre de se cacher (ou non) aux yeux embués de l'adversaire.

En août 2008, dans le «cube» d’eau de Pékin, la France a perdu pour huit centièmes un 4 x 100 mètres dantesque, et aucune victoire ne vaudra ce climax d’émotions. Bien calé dans la vague d’Alain Bernard, comme d’autres sucent la roue dans le peloton du Tour de France, l’Américain Jason Lezak l’a sautée dans les derniers mètres. Certains nageurs ont fait le reproche historique au finisseur battu de ne penser qu’à sa pomme. Mais le relais est relatif. Un échec peut avoir différents visages. Mieux utilisé, Bernard aurait pu faire gagner les tricolores.

Se surpasser. En 2011, aux Mondiaux de Shanghai, alors qu'il était un administrateur du Cercle des nageurs de Marseille (CNM), Favre a vu l'esprit du relais s'emparer de Fabien Gilot sur un 4 x 200 mètres : «On débriefe la médaille d'argent, une performance incroyable, et là il me dit: "Aux 700 mètres, j'ai voulu mettre une mine à Lochte, mais j'ai senti que j'allais partir en vrille." C'est mon plus beau souvenir de dirigeant : Fabien voulait attaquer Lochte…»

L'USS Lochte est trois fois champion olympique et cinq fois champion du monde du 4 x 200 mètres avec les Etats-Unis. Mais sur 4 x 100 mètres, il contemple à chaque course les pieds palmés des Français. «Cette dynamique de groupe t'oblige à te surpasser, confie Clément Lefert, troisième relayeur aux Jeux de Londres. Je me suis mis vraiment au 100 mètres fin 2011, dans la perspective des Jeux, car en rentrant dans ce relais, tu sais que l'objectif de médaille devient palpable. Et puis, j'ai pris la mesure de cet honneur. Sur le plot, je sentais que je ne nageais pas pour moi, mais pour eux.» Quelques heures avant la finale, le stress est tombé sur Lefert et l'a rongé dans la file de la cantine. Fabien Gilot l'a vu et l'a pris à part : «Il m'a dit: "Ecoute, on peut faire premiers comme cinquièmes. A Pékin, on était attendu. Cette fois, nous sommes des outsiders." Sa sérénité m'a contaminé. Il avait connu les années d'échec. En relativisant la course à venir et le verdict sportif, il m'a donné un petit plus dans le bassin.»

«ADN français». Lors du dernier stage de préparation, chaque relayeur de 2015 a dévoilé ce que cette course lui évoquait. Fabien Gilot : «J'ai insisté sur l'ADN français et je leur ai dit que, pour rien au monde, je n'échangerais ma place dans cette équipe.» Florent Manaudou, lui, a expliqué qu'il voyait «la natation, à la base, comme un sport individuel. Je ne me pensais pas homme de relais. Mais, en fait, j'ai trouvé ça cool».Médaillé ou non dimanche, le 4 x 100 mètres français a des accents gaulliens et une attitude nonchalante.