Après un grondement continu de trois minutes, dix secondes, et des poussières, la Kazan Arena s’est subitement éteinte, à 18h10, heure des Tatars. Mehdy Metella, Florent Manaudou, Fabien Gilot et Jérémy Stravius, les colosses du relais 4 x 100 m, ont fracassé l’équipe russe, deuxième, mais aussi le rêve de la dizaine de milliers de supporteurs locaux, qui se sont vite dirigés, par grappes, vers les portes de sortie. Honnêtement, on n’avait pas vu une telle douche s’abattre sur un public adverse depuis la victoire de l’équipe de France de handball au Mondial 2009 à Zagreb, face à sept joueurs et 15 000 ultras croates.
Les Bleus ont souri, sans effervescence, avec l’air détaché de mecs qui ont juste fait le taf. Avec un temps de 3’10’’74, ils conservent leur titre de champion du monde acquis à Barcelone, en 2013, ils sont invaincus dans les compétitions majeures depuis 2012, et ils auront l’occasion de poursuivre cette incroyable série à Rio, l’été prochain.
Dès l'aube, ils ont appliqué un plan simple, à la lettre. «Il fallait viser un couloir extérieur, et ne pas être à côté des Russes, qui se seraient collés à notre ligne sur le premier 50 m avant de nous bouffer tranquillement sur le deuxième», confie Lorys Bourelly, le deuxième relayeur du matin.
Le tour de chauffe avait déjà dégrossi le travail des Bleus, en débouchant sur une finale de relais 4 x 100 m sans l'Australie, ni les Etats-Unis. Ce qui équivaudrait à une Coupe du monde sans le Brésil et l'Allemagne, ou une piscine avec seulement deux bords sur quatre. Ce séisme secoue le bassin de Kazan vers 11h30, alors qu'on écoute justement Bourelly en zone mixte. Le gamin du club des Dauphins de Toulouse a les larmes aux yeux: «Je n'ai pas fait un super chrono, je pensais quand même que je passerais sous les 49 secondes, c'est raté.»
«Testostérone sur les murs»
Le relais français du matin, hétérogène, a terminé troisième de sa série derrière le Brésil et l'Italie, et avant le passage de nombreux cadors, l'idée d'une élimination sans gloire traverse l'esprit de Bourelly. D'une voix tremblante, il dit : «Je suis en équipe de France depuis quatre ans, j'ai été quatrième aux Mondiaux de Barcelone avec le relais 4 x 200m. Mais le relais 4 x 100, c'est spécial, j'avais une telle pression en rentrant dans cette institution… Ce matin, Fabien Gilot, notre papa, m'a dit que ce n'était que du kiff. Mais, mais…»
Le DTN Jacques Favre n'est pas surpris par ce déferlement d'émotions : «Pfff, avant une course de 4 x 100m, il y a de la testostérone sur les murs. Cette course n'offre pas le moindre moment de répit, on est dans la surexcitation permanente. Traditionnellement, le 4 x 200m est le relais qui montre la puissance des nations, mais le 4 x 100 raconte l'histoire moderne.»
Sur les écrans, elle défile, l'Australie puis les Etats-Unis coulent. «Ouf, soupire Bourelly, on n'a pas si mal nagé !» Clément Mignon, l'autre nouveau de Kazan, explique que la suite se jouera entre adultes : «Vu mon temps, aucune chance que je sois en finale. Florent Manaudou va prendre ma place. Et il va nager vite.» Effectivement.