Menu
Libération
Portrait

Natation : Lacourt qui rit, Stravius qui pleure

En 2011, les deux nageurs montaient ensemble sur la première marche du podium. Aux Mondiaux de Kazan, leurs trajectoires se séparent : le premier sera en finale du 100 m dos, le second a pataugé.
Camille Lacourt avant sa demi-finale du 100 m dos, aux Mondiaux, le 3 août 2015 à Kazan (Photo Christophe Simon. AFP)
publié le 3 août 2015 à 19h56

Lacourt des miracles. Cinq ans après son irruption aussi soudaine que fracassante dans le concert international, Camille Lacourt flambe à nouveau. Dans l’élément qui sied le mieux à sa plastique : un bassin. Lundi, lors des Mondiaux de Kazan (Russie), celui qui n’a jamais été oublié du public a eu la belle idée de se rappeler au bon souvenir des puristes et de la concurrence en claquant le troisième temps de sa carrière en demi-finale du 100 m dos. Son chrono (52"70), le deuxième des huit finalistes qui s’étriperont mardi, a claqué comme un coup de fouet.

En 2011, lors de son titre mondial à Shanghai partagé avec Jérémy Stravius, il avait nagé moins vite (52"76). Il faut remonter à Budapest, à l'Euro 2010, pour retrouver une telle aisance. Il avait alors signé ce qui reste le troisième temps de l'histoire sur la distance (52"11), histoire de s'offrir un titre et la tournée des grands ducs pendant un an et demi. L'exploit hongrois semblait, depuis, appartenir à ces clichés sépia qu'on range dans un album photos et qu'on consulte au soir de sa carrière. A l'heure de commenter sa prestation lundi, Lacourt avoue tout net : «Ce type de chrono, j'ai même arrêté d'y penser. Ça fait tellement longtemps. J'espère nager plus vite encore et aller chercher une médaille. Mais la bagarre, ce sera contre moi, d'abord, et si dans les 15 derniers mètres, je vois qu'on est encore dans le tas, ce sera cool. Mais il faudra essayer d'être très concentré dans le premier 50 mètres, avant de se lâcher.»

Pilote automatique. Les nageurs offrent une relecture moderne du mythe de Sisyphe. Chaque année, après un grand championnat plus ou moins réussi, il faut repartir à zéro, reprendre son maudit rocher, le ramener du fond de la piscine jusqu'en haut du podium.

Certains n’en font pas tout un plat. Il existe des Sisyphe heureux comme Florent Manaudou, champion du monde du 50 m papillon lundi en passant (il vise surtout le titre sur 50 m libre samedi), qui peut tout envoyer bouler demain et vit au présent.

Et il y a tous les autres, tel Camille Lacourt, qui navigue entre ses états d'âme, rêve la nuit de ce qu'il a été, et contemple, au réveil, l'ampleur de la tâche qui l'attend avec désenchantement. A l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance, à Paris, dix jours avant son entrée en lice, Lacourt donne le change : «Je ne le sens pas mal, il y a des signes encourageants, mais ma position dans les bilans mondiaux sur 100 m dos ne me permet pas d'arriver en favori à Kazan. Je n'ai pas fait un chrono de valeur depuis deux ans.» Une semaine plus tard, en pilote automatique devant la presse, il badine avec les suiveurs sur les prostituées russes, et ironise : «Allez, je vous laisse, j'ai réservé les filles jusqu'à 14 heures.»

Regard flou. Ce lundi matin, au sortir du bassin de Kazan après son douzième temps en série, l'envie d'illusionner son monde a disparu : «Ben cette série, elle s'est passée… L'objectif, c'était de rentrer en demie, c'est fait. Je me suis fait surprendre par le froid, j'étais un peu gelé en rentrant sur le bassin, ça m'a gêné pendant le premier 50 m, et la course ne s'est pas déroulée comme j'en avais envie. Il y aura de la place ce soir, ça nage vite, mais c'est ça qui est excitant.» Entre sa voix monocorde et son regard flou, on n'avait alors pas trop situé l'excitation. Lacourt a 30 ans, il dispute ses quatrièmes championnats du monde, il arrive congelé sur le plot comme un pied tendre. L'entraîneur en chef Romain Barnier, qui l'a accueilli en 2008 au Cercle des nageurs de Marseille, essaie sans arrêt de résoudre une équation à mille inconnues. Il confie : «Après l'échec des JO de Londres [Lacourt est favori du 100 m dos, il termine 4e, ndlr], j'ai appris à mieux lire les signaux. Avec Camille, on a enlevé une partie des œillères de 2012, qui l'avaient conduit dans le mur. Les objectifs sont tellement élevés… Mais a-t-on choisi la bonne option ? Rio, c'est la dernière chance de Camille.»

Barnier souffle : «Cela fait quatre ans qu'il repart chaque année avec un nouveau coach. Moi en 2012, Julien Jacquier en 2013, puis Ian Pope en Australie en 2014, et enfin Mathieu Burban en 2015. Il a dû intégrer quatre méthodes différentes.»

Rocher. Pas étonnant que Lacourt avoue avoir «l'impression d'être un nouveau nageur» à Kazan. Il change de peau avant chaque compétition, mais se retrouve souvent nu au final. Avec son talent en bandoulière.

Jérémy Stravius est un garçon «aquatique», dixit son entraîneur, mais aussi un laborieux qui s'envoie à l'entraînement. Depuis un Mondial de Barcelone lourd en métaux (quatre médailles, dont deux titres sur les relais) en 2013, il plafonne. Le duo a envisagé de se séparer l'an dernier. En demi-finale du 100 m dos lundi, l'Amiénois s'est écroulé. «C'est dur de terminer dans un temps de merde (54''54), soupire-t-il. Deux ans que je galère à l'entraînement, mais on espère toujours que ça va revenir, comme Camille aujourd'hui.» Mardi, Stravius retournera chercher son rocher au fond de la piscine. Mercredi, il brillera sur les séries du 100 m nage libre s'il s'en est délesté.