«Camille Lacourt, le surfeur d'argent.» Jacques Favre, le directeur technique national de la natation française jamais avare d'un bon mot, a trouvé l'expression pour qualifier la performance à fleur de l'eau du revenant Lacourt, vice-champion du monde du 100 m dos ce mardi à Kazan en 52''48, un temps sublime. «Cette course, c'est 90% de sourire et 10% de frustration, s'il n'y avait pas eu ce virage moyen, cela aurait pu changer le résultat», confie le nageur aux traits parfaits une fois sorti de l'eau. Comme beaucoup de ses collègues (Gilot, Bousquet, Agnel), Lacourt aime polir ses formules pour ravir le public, et il fera d'ailleurs un très bon consultant télé une fois l'heure de la retraite arrivée. Mais il n'est pas le plus bosseur du lot et ce garçon ultra-talentueux a failli passer à côté de la fin de sa carrière.
Vu ce qu'il a démontré à Kazan, il peut désormais viser l'or à Rio l'été prochain. Troisième de la course, l'Américain Matt Grevers est épaté. «Franchement, revenir comme Camille l'a fait après son opération [de la hanche, ndlr] l'an dernier, puis sa convalescence, c'est vraiment extraordinaire. Cela rend le challenge encore plus excitant. Aujourd'hui, pour gagner, il fallait faire la course parfaite. Et moi, je ne l'ai pas fait», confie le champion olympique de Londres qu'on croirait tout droit sorti d'un teen movie. L'entraîneur en chef de l'équipe de France masculine, Romain Barnier, barbe soigné, resplendit : «La demi-finale, lundi, ce fut un pur moment de bonheur, j'ai ressenti des émotions que je n'avais plus ressenties depuis longtemps. C'était beaucoup plus fort que le titre de Florent (Manaudou) sur 50m papillon, largement. Revoir Camille dans la course sur 100 m dos, ça me permet de savoir qu'il y a un nouveau potentiel olympique, on a un nouveau projet olympique médaillable. C'est génial.»
Le Marseillais Barnier connaît le loustic par cœur : «J'étais le plus optimiste des trois personnes travaillant avec lui. Je crois intimement en l'être humain, il peut toujours revenir à son meilleur niveau. Fabien (Gilot) m'a trop montré qu'on pouvait repousser le temps, au moins de deux, trois ans de plus dans le cas de Camille. Fabien est revenu après son opération de l'épaule, Camille, lui, a déjà nagé 52"10. Bon, honnêtement, cette saison, ça n'en prenait pas le chemin. Mais c'est lui qui a raison à la fin.»
Dans un sourire briqué au fluor, Lacourt batifole : «J'ai déjà travaillé aussi dur, avec Philippe Lucas, mais quand j'avais 20 ans. Aujourd'hui, j'en ai dix de plus. Certains disent : "30 ans, ce n'est pas vieux." Mais je vous jure que dans une piscine, ça commence à compter.» Il ajoute, facile : «Je suis plus serein que les autres, qui sont plus tendus, ont peur de l'échec. Moi, j'ai déjà connu ça. Je m'en fous en fait, j'ai ma fille Jazz (bientôt 3 ans) qui saute devant la télé.»
Son coach à Marseille, Julien Jacquier, livre une version un peu différente, et le môme n'est pas toujours celui qu'on croit : «Quand je l'ai récupéré fin 2014, après son opération, il était comme un enfant qui découvrait une piscine, il était euphorique pendant trois ou quatre mois. Il se rend compte que c'est quelque chose qu'il aime faire, dès qu'on l'écarte des bassins, rapidement, ça lui manque. Ensuite, on est repassé dans une phase de travail plus délicate. Disons qu'à 30 ans, il n'a plus forcément cette capacité à travailler très longtemps, plus l'envie aussi, mais que c'est un ultrasprinteur très instinctif, qui se surpasse dans la compétition, transforme ses acquis, et le plomb en or. C'est l'attitude d'un grand champion. Pour être franc, il y a quelques semaines, on ne se voyait pas faire ça.»
Lacourt abonde: «Il y a cinq semaines, j'étais encore à deux ou trois secondes de ce que je fais aujourd'hui. Je suis ravi pour Julien Jacquier, qui se casse la tête pour trouver des solutions quand je râle. J'espérais revenir à ce niveau-là plus que je ne l'imaginais. Je reviens de loin, j'ai vécu beaucoup de sentiments contrastés ces derniers mois, mais je suis content de finir à ce niveau-là le 100m dos de mes derniers Mondiaux. C'est pas mal.»
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