La raquette qui claque, la balle qui attrape le carré et le bruit du rebond sur le mur de fond de court. Ce moment, le tennisman Ivo Karlovic l’a littéralement vécu 10 000 fois dans sa carrière. Dans la nuit de mardi à mercredi, le géant croate, doyen du Top 200 de l’ATP avec ses 36 ans, a en effet réussi son dix-millième ace en tournoi pro lors de sa victoire contre le Canadien Milos Raonic (7-6 [1], 7-6 [1]).
Au total, avec ses 22 aces, il atteint les 10 004 aces. Ce qui le place non loin du record du nombre d'aces en carrière, 10 183, détenu par son compatriote Goran Ivanisevic. Celui-ci l'avait réalisé durant ses seize ans de carrière entre 1988 et 2004. Au rythme où va Karlovic, on devrait y assister avant la fin de l'année. «Evidemment, c'est mon objectif. J'aimerais que ce soit cette année. Sinon, ce sera bien aussi si c'est l'an prochain. J'espère y arriver, tenir physiquement», a déclaré après l'exploit Ivo Karlovic, interrogé par l'ATP. Il en a encore 179 à mettre dans le carré.
10,000 career aces for Ivo Karlovic http://t.co/Jk6qgzvMLS
— Tennis TV (@TennisTV) August 12, 2015
Le Croate a maîtrisé l’arme fatale du tennisman qu’est l’ace, au point d’en réussir en moyenne 19 par match. Sa taille record (2 m 11, plus grand joueur du circuit) conjuguée à une puissance inégalable en ont forcément fait un des meilleurs serveurs du classement ATP. Croisé, décroisé, le service d’Ivo Karlovic n’a pas de préférence, tant qu’il est fort et hors de portée de son adversaire. Le 19 juin, sur le gazon de Halle (Allemagne), on pouvait encore en faire l’expérience lors des 45 fois où Karlovic a violemment privé d’échange son adversaire et établit le record du nombre d’aces dans un match en deux sets gagnants. C’était face au Tchèque Tomas Berdych.
Car le n°23 du classement ATP est plutôt un homme de records qu’un homme de trophées. Six petites victoires lors de tournois mineurs du circuit, dont deux sur gazon à Nottingham en 2007 et 2008. Pire, en tournoi du Grand Chelem, Karlovic ne peut se féliciter que d’un quart de finale à Wimbledon en 2009. Sinon, il n’a jamais dépassé le quatrième tour.
Pourtant, le Croate est incontournable au vu des records qu’il accumule : en plus d’être le plus grand et le plus vieux joueur des 200 premiers de l’ATP, il a également planté le service le plus rapide du circuit principal avec ses 251 km/h lors d’un match de double en Coupe Davis en 2011. Et il était, jusqu’au mythique match à rallonge entre l'Américain John Isner et le Français Nicolas Mahut à Wimbledon en 2010, le détenteur du record du nombre d’aces en un match : 78 services non retournés lors d’un match de Coupe Davis contre le Tchèque Radek Stepanek en 2009. Mais il ne peut que s’incliner face au 113 et 103 aces plantés respectivement par Isner et Mahut, qui ont eu tout de même onze heures pour les aligner.
Un joueur atypique, formé sur le tard
Lors d'un portrait dans Libération en 2011, Karlovic confiait sur son record de vitesse : «Quand j'ai servi à 251 km/h lors de ce match de double de Coupe Davis, j'ai regardé mon partenaire [Ivan Dodig, ndlr] : waouh… Lui me sort : "Ecoute vieux, on est content mais on a aussi un match à gagner." Bah, on l'a perdu.» Un bon résumé de la carrière de Karlovic, qui se révélait en interview plus réservé qu'on pourrait le penser en observant son pedigree. Le Croate n'est pas une brutasse dans la vie comme il l'est sur le court, mais plutôt un type anxieux et mélancolique.
Sur son compte Twitter, Karlovic poste de tout et de rien. A l'époque du portrait, on relevait ainsi des tweets comme «Je pense donc je suis. Je suis donc je vis. Je vis donc je vais mourir. Penser à la mort me déprime. Donc, que faut-il en conclure ?» ou «Il n'y a pas d'amour dans la mort.» Des interrogations existentielles qui sont monnaie courante sur son étrange compte Twitter, où l'on peut aussi percevoir pas mal de second degré et beaucoup de retweets de fans relayant ses exploits.
Ce que l’on apprenait surtout à l’époque, c’est qu’Ivo Karlovic est un tennisman qui s’est forgé sur le tard. Là où les futurs membres du Top 10 sont couvés et polis avant même leurs premiers boutons d’acné, Karlovic a, lui, connu son premier entraîneur à 21 ans. Avant, pas aidé par la fédération croate, le jeune Karlovic se débrouillait pour participer aux tournois Challenger (hors du circuit principal) ou Futur (pour les jeunes) à ses frais, jusqu’à parfois aller dormir dans des toilettes publiques, après s’être fait lourder par ses sponsors.
Et surtout, le futur meilleur serveur du tennis mondial s'entraînait seul : le club de tennis à côté de chez lui étant trop cher, le Croate faisait le mur et aller taper des balles, la nuit, sur les terrains vides. C'est peut-être cela qui lui a permis de se forger un service parfait. A l'époque, il expliquait : «Tout ce que je pouvais faire, c'était taper des services. Pendant des heures. J'adorais ça.»