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Libération
Duel

Coe-Bubka: deux stars pour la tête des athlètes

L’ex-perchiste ukrainien Sergueï Bubka affronte mercredi l’ancien coureur de demi-fond britannique Sebastian Coe pour la présidence de la fédération internationale.
Sergei Bubka en mars 2011 à Paris et Sebastian Coe en février 2015 à Marseille. (Photos Bertrand Guay et Anne-Christine Poujoulat. AFP)
publié le 17 août 2015 à 19h06

Hasard ou tendance ? A l’heure où Michel Platini prend rendez-vous avec son tailleur pour un costume de futur président de la Fifa, deux autres ex-gloires du sport se disputent les clés de l’IAAF, la Fédération internationale d’athlétisme. Sergueï Bubka l’Ukrainien, légende vivante du saut à la perche, et Sebastian Coe le Britannique, ex-premier de la classe du demi-fond. Les deux rivaux lorgnent le fauteuil laissé vacant par le Sénégalais Lamine Diack, en poste depuis 1999, atteint par la limite d’âge (il a dépassé les 82 ans) et, de son propre aveu, par la lassitude de courir le monde, serrer des mains et répondre aux questions des médias.

Entre les deux candidats, le vote de mercredi, organisé quelques jours avant les championnats du monde d’athlétisme qui débutent samedi à Pékin (jusqu’au 30 août), s’apparente à un choc des titans. En jeu, la gouvernance du premier sport olympique, plombé depuis quelques semaines par des soupçons de dopage dans le demi-fond, mais toujours très actif devant la planche à billets.

Depuis le début de l'ère Lamine Diack, l'IAAF a engrangé plus d'un milliard de dollars de recettes en marketing et droits de télévision. Ses réserves financières dépasseraient 65 millions de dollars (près de 59 millions d'euros). Le Sénégalais avait promis d'exprimer publiquement son choix, le moment venu, entre les deux postulants. Il s'est ravisé. «Dans tous les cas, nous aurons un très bon président», prédit-il. Un élu charismatique et médiatique, à coup sûr. Pour le reste, attendons de voir.

Bubka : démago et roublard

Sa personnalité. «En compétition, il était un tueur. Il l'est resté, en affaires comme en politique», suggère en off un proche de l'actuel président de la fédé, Lamine Diack. Né au temps de l'Union soviétique, élevé près des mines de Donetsk, Sergueï Bubka a compris très jeune qu'il lui faudrait se bâtir seul, à la force de ses bras, un avenir moins sombre que les façades de son Ukraine natale. Sa carrière de perchiste, marquée par 6 titres mondiaux et 35 records planétaires, l'a distingué très jeune du commun des athlètes. Il aurait pu s'en contenter. «Mais j'ai toujours voulu aller voir un peu plus loin», suggère-t-il en résumé de son insatiable appétit de conquête et de pouvoir.

Dès 1996, encore perchiste, il intègre la commission des athlètes du Comité international olympique (CIO). Six ans plus tard, il en prend la présidence. Dans l'intervalle, il a gagné ses galons de membre de l'institution olympique, puis forcé la porte de sa commission exécutive. Charmeur, un rien roublard, fidèle en amitié et infatigable bosseur, il a siégé quatre ans au Parlement ukrainien. Président de son comité national olympique depuis une dizaine d'années, il avance avec une adresse comparable en politique et dans le business. Capitaliste averti, il a investi les recettes de ses multiples records mondiaux dans des affaires d'import-export. Il préside aussi la Rodovid, une banque d'Etat en Ukraine. A 51 ans, Bubka assure ne plus avoir touché une perche depuis son dernier concours, aux JO de Sydney en 2000. Mais il raconte parfois, le regard embué par l'émotion, avoir payé de sa poche le matériel et les sautoirs du club de ses débuts, à Donetsk. Et glisse comme une évidence : «Si je ne l'avais pas fait, qui s'en serait chargé ?»

Son programme. Son cuisant échec dans la course à la présidence du CIO, en 2013, où il avait ramassé les miettes avec quatre malheureuses voix, a convaincu Sergueï Bubka qu'une campagne se gagnait plus par les mots que par les actes. Son programme en est le reflet. L'Ukrainien promet beaucoup, nettement plus qu'il ne pourrait donner le moment venu. Surtout, il a pris soin de délivrer aux fédérations nationales un discours prompt à les faire baver d'impatience. «Je propose de doubler l'aide financière que l'IAAF leur accorde tous les ans», avance-t-il. Séduisant mais démago, dans une élection où les 214 Etats membres de la Fédération internationale d'athlétisme possèdent tous une voix. Au passage, Bubka suggère que les fédérations nationales puissent toutes devenir propriétaire de leurs locaux, que leurs coachs bénéficient de sessions de formation et que les femmes soient mieux représentées dans les instances. Il préconise de sortir l'athlé du stade, pour aller à la rencontre du grand public, les jeunes surtout, par des épreuves dans les rues, les centres commerciaux ou même les plages. Il veut muscler le calendrier, en remplaçant le circuit de la Ligue de diamant par une Coupe du monde copiée sur le modèle du ski. Le dopage ? «Tolérance zéro», assène-t-il.

Sa campagne. L'Ukrainien s'est déclaré le second, en janvier, mais il préparait son affaire depuis l'an passé. En avril, il a choisi d'innover en présentant son programme, «Vision 2025», par une conférence accessible en direct sur YouTube. En juillet, il a surpris son monde en publiant un livre illustré pour enfants, Flying Bubka, disponible en sept langues. Il y raconte par le texte et le dessin sa carrière de perchiste. Un rien naïf mais sympa. Depuis le début de sa campagne, il court la planète à la façon d'un missionnaire, un jour dans un pays, le lendemain dans un autre. «Je paye tout de ma poche, sans compter mes dépenses, jure-t-il. L'argent n'est pas un problème, je vis ma passion. Mes collaborateurs me demandent souvent comment je réussis à survivre avec un tel rythme. Je dois avouer que mon existence était plus reposante lorsque j'étais athlète.»

Flanqué en toutes circonstances d’un seul assistant, Bubka aurait refait patiemment son retard sur Sebastian Coe, faisant le plein de voix en Europe de l’Est, en Asie centrale, en Afrique et dans les Caraïbes. Début août, il assurait sur le ton de la confidence pouvoir compter sur «60 % des votants».

Coe : politique et convenu

Sa personnalité. C'est l'anti-Bubka. Son allure sur la piste, l'élégance de sa poignée de main et son aisance à porter le blazer à écusson en sont autant de signes : Sebastian Coe n'a pas connu les privations et les sorties d'usine. Un fils de bonne famille, entraîné au demi-fond par son propre père, entré sans avoir à sonner deux fois dans une prestigieuse université des Midlands. «Jamais, sans doute, le titre de lord n'a mieux correspondu à un sportif», écrivait l'Equipe en avril 2012. Double champion olympique du 1 500 m (1980 et 1984), le Britannique a poussé la porte de la politique dans les rangs des conservateurs, jusqu'à gagner en 1992 un siège à la Chambre des communes. En 2000, il est anobli par la reine pour devenir lord Coe de Ranmore. Trois ans plus tard, son sourire, ses bonnes manières, son flair diplomatique (et un sérieux coup de main de Tony Blair) permettent à Londres de coiffer Paris sur le fil dans la course aux JO d'été de 2012. Depuis, le Royaume-Uni lui en est éternellement reconnaissant. Président du Locog, le comité d'organisation des JO de Londres, il ne s'interdit pas de prendre parfois une pose délicatement gênée, le rose aux joues, face aux torrents d'éloges que le monde entier verse sur lui pour la qualité de l'événement. «En réalité, «Seb» a été l'image des Jeux de 2012 plus que leur patron, mais il a su en tirer l'essentiel du crédit», explique l'un de ses ex-collaborateurs. Une bête politique, en somme.

Son programme. Sérieux, pragmatique mais, avouons-le, un tantinet conventionnel. Coe, 58 ans, veut redonner à l'athlétisme un nouveau souffle. Qui voudrait le contraire ? Il suggère de pousser la porte des stades pour investir la cité. Déjà fait. Il promet, s'il est élu, de se montrer suffisamment «excitant» pour convaincre les grandes chaînes publiques de signer des deux mains un bail à long terme avec l'IAAF. Il invite les fédérations nationales à innover pour attirer les plus jeunes. Il propose de fournir aux entraîneurs et au personnel des fédérations les plus démunies des formations pour se remettre à la page. Il recommande de réduire la durée des Mondiaux, actuellement étalés sur neuf jours, «trop long pour les jeunes» (Bubka milite, lui, pour un passage à onze jours…). Surtout, le Britannique veut retrouver le goût piquant des grands duels, ces mano a mano qui ont tant fait pour la promotion de l'athlé des années 80. En clair, dénicher une version moderne des légendaires face-à-face entre Steve Ovett et… lui-même, sur 800 et 1 500 m. «Notre premier défi est de faire en sorte qu'il y ait des oppositions directes, dit-il. Un gamin se lèvera plus facilement le dimanche matin pour suivre un Nadal-Federer qu'une série du 3 000 m steeple.» Pas faux. Le dopage ? «Une organisation indépendante pour réaliser les contrôles et des sanctions de quatre ans au lieu de deux», propose Coe.

Sa campagne. Le Britannique est parti le premier. Il a officialisé en novembre sa candidature dans l'Equipe. Elle n'était alors déjà plus qu'un secret de polichinelle. Depuis, il a déployé l'artillerie lourde : un site internet en plusieurs langues, Sebcoe2015.org, une succession ininterrompue de voyages sur tous les continents, la réalisation d'une vidéo où quelques-uns des grands noms de l'athlétisme (David Rudisha, Valerie Adams, Yelena Isinbayeva, Jessica Ennis…) lui assurent leur soutien. Coe a surtout enrôlé l'un des maîtres du lobbying sportif, son compatriote Mike Lee, patron de l'agence Vero Communications. A son actif, la victoire de Londres pour les JO de 2012, celles de Rio 2016 et Pyeongchang 2018 (Corée du Sud). Plus trouble, son rôle auprès du Qatar dans la campagne pour le Mondial de foot 2022. Avec Mike Lee, également recruté par l'équipe de Paris 2024, Coe a musclé ses méthodes, s'appuyant sur les médias et la diplomatie britanniques. En début d'été, le site Insidethegames l'annonçait largement favori pour s'être assuré les voix d'une poignée de pays européens, dont l'Espagne et la France, oubliant que le scrutin impliquait plus de 200 votants. Au même moment, une fédération africaine anglophone, passée dans le camp de Bubka, recevait un appel de l'ambassade du Royaume-Uni l'exhortant à retourner sa veste. «Pas question», aurait répondu son président.