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Libération
Compte rendu

Lavillenie: maudits mondiaux

Une nouvelle fois, le recordman du monde du saut à la perche à échoué dans sa tentative de conquérir le titre de champion du monde.
Après avoir franchi 5,80 m à son premier essai, Renaud Lavilleniea échoué trois fois à 5,90. (Photo Pedro Ugarte. AFP)
publié le 24 août 2015 à 18h56

Caramba, encore raté. Renaud Lavillenie a une nouvelle fois laissé échapper son stylo au moment de compléter son curriculum vitae du seul titre encore manquant. Pour la troisième fois de suite, il a trébuché en finale des championnats du monde. Troisième en 2011, deuxième en 2013, il a hérité ce lundi soir d'une médaille de bronze dont il avoue n'apprécier ni la couleur ni l'intérêt. Lui, le recordman du monde (6,16 m), champion olympique en titre, désigné athlète de l'année 2014 par les pontes de la Fédération internationale d'athlétisme, ne sera peut-être jamais champion du monde. Rageant. «Mais la perche est ainsi, glisse-t-il comme une excuse à cette étrange malédiction. Dans cette discipline, on ne peut pas tout expliquer.»

Difficile, en effet, de trouver un bout d'explication logique à un concours sans queue ni tête. Confiant dans sa condition par un échauffement «très bon», selon son propre aveu, le Français se permet de laisser ses rivaux batailler sans lui sur la première barre, posée à 5,65 m. Il attend la suivante, 5,80 m. Et passe au premier essai, avec une aisance de maître des lieux. «Ça me met en confiance pour la suite», racontera-t-il à sa sortie du stade. Seul ennui : la suite en question s'amuse à le prendre par surprise. A 5,90 m, il manque sa première tentative, puis la deuxième.

Interloqué, il cherche du regard son entraîneur Philippe d'Encausse, assis dans la tribune. Mais le coach ne comprend pas beaucoup mieux le pourquoi du comment de ces deux essais hasardeux et imparfaits. Au troisième essai, même sentence. Echec. «La perche n'avançait pas comme elle l'aurait dû, suggère le sauteur. Pourtant, je l'utilise sans problème à l'entraînement. Je n'étais pas sur la retenue. Mais ça ne voulait pas déclencher.» Le coach, de son côté, bafouille avec peine une explication guère moins vaseuse : «J'ai du mal à analyser. Des Mondiaux, ce n'est pas un concours de Ligue de diamant, alors la pression n'est pas la même.»

«Pas imbattable»

Sa tête aurait-elle flanché ? Une malédiction, en quelque sorte. Le syndrome des championnats du monde, peut-être. Sûrement pas, tranche-t-il. «J'étais bien dans ma tête. Je n'ai jamais ressenti de petit coup de stress. Pas la moindre pression, non plus. Mais aujourd'hui, je n'étais pas imbattable.» La mine est triste, le ton grisâtre. Sa déception se découpe au couteau, mais le jeune homme possède ce talent rare de dénicher dans les chiffres un semblant de consolation. «Je me dis que je termine 3e comme en 2011, une année avant ma médaille d'or aux Jeux de Londres. Dans la perspective des JO de Rio l'an prochain, c'est peut-être un bon présage. Une autre satisfaction, assez maigre, est que je décroche une médaille aux championnats du monde sur un seul saut.»

Le résultat de la compétition, lui, ne peut qu’ajouter à son profond dépit. Médaille d’or avec une barre à 5,90 m, un Canadien de 21 ans, Shawn Barber, une tignasse de rouquin posé sur un corps aux rondeurs encore juvéniles. L’avenir de la discipline, jugent les experts. Un prodige de la perche que Renaud Lavillenie voyait arriver à la vitesse d’un TGV, depuis la saison dernière, mais qu’il espérait bien conserver encore quelque temps dans son rétroviseur. Originaire du Canada, mais étudiant dans une université américaine, à Akron, Ohio, Shawn Barber raconte avec un air enjoué avoir appris à sauter avec son père George, lui-même ancien perchiste. L’histoire de Lavillenie, en somme, mais en version nord-américaine.

Classé avec la même performance, mais battu pour le titre mondial par le jeu des essais, l’Allemand Raphael Holdzeppe. Un revenant. En 2013, ce perchiste à peine plus haut sous la toise que le Français, avait battu Renaud Lavillenie aux Mondiaux de Moscou. Il en a remis une couche lundi soir à Pékin. A 26 ans, lui aussi est plus jeune. Et lui aussi peut se vanter de posséder, dans sa villa de Deux-Ponts, en Rhénanie, une médaille d’or de champion du monde. Sans pitié, le saut à la perche.