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Libération
Éditorial

Renaud Lavillenie : l’exigence plutôt que l’arrogance

publié le 25 août 2015 à 18h46

Papier important dans l'Equipe magazine de samedi sur le perchiste Renaud Lavillenie, médaillé de bronze aux Mondiaux de Pékin lundi et plus grand athlète masculin en activité - ses 6,16 mètres l'ont installé parmi les immortels du sport, au-delà de la perche ou de l'athlétisme - derrière Usain Bolt : le Clermontois y apparaît distant, froid, arrogant - «quand tu es le meilleur, tu es le meilleur, point barre» - et porteur d'une vision exclusivement utilitariste de ceux qui accompagnent son destin hors-norme. Ces choses-là se savaient : des journalistes ayant travaillé sur son cas en amont du titre olympique de 2012 s'étaient étonnés du côté lunatique du bonhomme, charmant un jour, les reconnaissant à peine le lendemain.

Personne ne se pressait cependant pour formaliser noir sur blanc ces traits de personnalité avant l’article de samedi, sorte de coming out (toutes proportions gardées) totalement maîtrisé par l’athlète et son entourage puisque tout le monde y parle à visage découvert, sans dissimulation - ça nous change du foot - ni révérence outrancière envers le prodige. Mais alors, pourquoi ne connaît-on Lavillenie qu’aujourd’hui ? On voit deux raisons. La première, c’est que Lavillenie est un type important et qui le restera : à l’aune d’un sport mondialisé qui laisse de moins en moins de place aux tricolores, le perchiste français est incontournable pour longtemps.

La deuxième raison est, nous semble-t-il, passionnante : le fond constitutif des sportifs de très, très haut niveau est la principale ligne de fracture entre les «sachants» (les sportifs eux-mêmes, leur encadrement, une partie de la presse) et le grand public. En gros, les premiers ont renoncé à expliquer au second à quoi ressemblaient un champion et les contingences qui s’attachent à la domination d’une élite internationale. Le public vit avec l’image d’un sportif que l’on prend par la main pour l’emmener vers le succès, ou que son entraîneur sélectionne (dans le cas des sports collectifs) ou écarte. Rien n’est plus faux, les meilleurs d’entre eux se sélectionnant tout seuls par la grâce de leur talent - une équipe de France sans Karim Benzema serait une provocation aux yeux de ceux dont le foot est le métier - et qui ont la haute main sur leur destinée.

Récemment, un proche de Florent Manaudou nous expliquait que le nageur aurait traversé l’Atlantique pour tenter l’aventure américaine s’il avait raté ses Mondiaux de Kazan. Les dirigeants du Cercle des nageurs de Marseille, où Manaudou s’est construit, auraient admis la démarche sans barguigner puisque la remise en question et la responsabilisation du premier concerné - 17 bornes quotidiennes à l’entraînement, ça donne le droit de l’ouvrir - sont des piliers de la performance. Dit autrement, les sportifs seraient les premiers ravis de pouvoir faire du sentiment.

On confesse s’être interrogé en juin sur les conférences de presse de Roger Federer, où le Suisse disait la messe : bons points, mauvais points, recadrage serré à la suite d’une question jugée inopportune, bouffée égotique, manipulations diverses. Au fond, il parle comme un type dont le sport est le référent et qui a remporté 17 titres du Grand Chelem : à ce niveau, la modestie, c’est forcément la fausse modestie. Par ailleurs, Federer est ici-bas pour marcher sur la gueule d’un type (son adversaire sur le court) chaque jour qui passe. Aucun risque de voir dans le fond de l’œil du Suisse l’altruisme de Joseph le charpentier.