A la longue, la lassitude pourrait finir par nous gagner. Mardi 25 août, le drapeau du Kenya avait flotté par deux fois dans le Nid d'oiseau de Pékin. Avec Nicholas Bett, un coureur de 400 m haies à peine connu de ses partenaires d'entraînement, puis grâce à David Rudisha, sacré sans surprise au 800 m. Ce mercredi, les Mondiaux se sont offerts un remake. Deux nouveaux titres mondiaux pour le Kenya. Avec, comme la veille, une pointe d'inattendu venue s'ajouter à un résultat plus prévisible. Au rayon logique, la victoire de la frêle Hyvin Kiyeng Jepkemoi au 3000 m steeple (9'19"11), avec un poil d'avance sur la Tunisienne Habiba Ghribi et l'Allemande Gesa Felicitas Krause. L'inattendu ? Un lanceur de javelot au prénom d'empereur romain, Julius Yego, titré au javelot avec tout un monde d'écart (92,72 m). Au classement des médailles, le Kenya caracole en tête, avec 11 médailles dont 6 en or. A peine croyable.
Les kényans sont partout, dans les courses comme dans les concours, en sprint long et en demi-fond. Au train où vont les choses, on ne s'étonnerait plus d'en voir débarquer un en tête, hilare, à la sortie du tunnel emprunté par les marcheurs du 50 km à leur entrée dans le stade. Ils sont partout, y compris où le bon goût inviterait plutôt à ne pas se montrer. Comprenez à la rubrique dopage. En début d'après-midi, à Pékin, un communiqué de la Fédération internationale d'athlétisme révélait que deux athlètes de l'équipe, Koki Manunga et Joyce Zakary, engagées respectivement sur 400 m et 400 m haies, ont été «suspendues provisoirement à la suite de contrôles positifs durant les Mondiaux». Selon une information d'une agence africaine, elles auraient été prises à un produit masquant pour une substance inconnue, sans doute de la nandrolone.
L'information a jeté un froid. Et renforcé les doutes sur la valeur du festival de performances des athlètes kényans depuis le début de la compétition. Interrogé sur la suspension de ses deux coéquipières, Julius Yego a pris un air gêné. Normal. Puis il a lâché quelques phrases : «C'est une honte. Moi, je continue à croire qu'on peut être performant en restant propre. Je n'ai pas vraiment de commentaire à faire sur cette affaire. Mais honte sur elles.»
Rondouillard, plutôt râblé mais solidement charpenté (1,75 m pour 85 kg), Julius Yego s'est offert à Pékin une tranche d'histoire. Epaisse et éternelle. Avec sa médaille d'or, il est devenu le premier champion du monde kényan dans une autre discipline que la course à pied. On s'en étonne. Il répond par quelques souvenirs d'enfance : «On ne m'a pas orienté vers le javelot, je l'ai choisi tout seul. J'ai toujours aimé, depuis très jeune. Enfant, je lançais des bâtons et des cailloux. Bien sûr, j'ai couru un peu, comme tous les Kényans. Mais je n'étais pas très rapide.» Il raconte aussi avoir suivi à la télévision la finale du javelot des Jeux d'Athènes, en 2004, et reçu ce soir-là, assis face à l'écran, comme un appel des cieux. «Je me suis mis à rêver gagner à mon tour dans une grande compétition.»
Athlète YouTube
Entraîné par un coach finlandais, le colosse se partage entre l’Europe, l’Afrique du Sud et sa ville de Nairobi. Cette saison, le pays lui a mis un entraîneur local à disposition, pour l’assister dans ses séances et l’accompagner au quotidien. Un privilège. Persuadé que ses progrès viendront par une meilleure technique, il peut passer des heures face à son ordinateur à étudier la gestuelle des plus illustres lanceurs de l’histoire. Une habitude qui a fini par lui valoir le surnom d’athlète YouTube.
Symbole du nouvel athlétisme kényan, Julius Yego ? Pourquoi pas. Le lanceur veut croire que les générations futures ne se feront pas seulement remarquer en demi-fond ou sur la route. «Nous possédons au pays énormément de talents, des jeunes vraiment incroyables, explique-t-il. Si nous parvenons à mieux les identifier, nous pourrons poursuivre dans la voie tracée depuis ces derniers jours à Pékin.» Quant à la réussite exceptionnelle de son équipe aux Mondiaux, le nouveau maître du javelot y voit un signe de l'histoire. «Avant de rejoindre la Chine, nous avons été rassemblés pour un stage dans un camp à Nairobi, raconte-t-il. Nous nous sommes dit que le stade de Pékin était un endroit très spécial pour l'équipe du Kenya. En 2008, nous y avions réussi les meilleurs Jeux de notre histoire (14 médailles, dont 6 en or). Pour nous, kényans, cette enceinte est unique.» Tout s'explique.