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Libération
Le couple du jour

Bolt et Felix, noces d'or sur la piste de Pékin

Vainqueurs sur 200 m et 400 m, le Jamaïcain et l'Américaine sont entrés un peu plus dans l'histoire de l'athlétisme. Dont ils symbolisent la face la plus rafraîchissante.
Allyson Felix et Usain Bolt, jeudi à Pékin (Photos AFP et Reuters)
publié le 27 août 2015 à 18h32

Qu’on se le dise : l’athlétisme sait encore séparer le bon grain de l’ivraie. Les champions purs race et les prodiges douteux. A Pékin, jeudi soir, il n’a pas cherché longtemps dans les listes de départ des deux finales de course pour en sortir une évidence. Le Jamaïquain, Usain Bolt au 200 m masculin, Allyson Felix au 400 m féminin. Clair comme une eau minérale. Tout autre choix aurait semblé une faute de goût. A eux deux, ils comptent presque 20 titres mondiaux. Avec son doublé à Pékin, 100 puis 200 m, il en compile désormais une dizaine, record du genre. Après son tour de piste victorieux au Nid d’oiseau, l’Américaine en totalise neuf. Sa première remonte à 2005. Elle n’avait alors pas encore 20 ans.

A les voir, l'un et l'autre, se succéder sur la piste pour en prendre possession, on se dit que l'athlétisme peut encore se vivre avec simplicité. Partir vite, tenir, gagner. Allyson Felix a attaqué sa finale du 400 m comme un obus. A fond. Sans un regard pour ses rivales. «Je suis une sprinteuse, je voulais profiter de l'avantage de ma vitesse. Après, je comptais sur mon entraînement pour rester devant jusqu'au bout», a-t-elle expliqué. Usain Bolt a mordu dans le virage du 200 m avec un air de mort-de-faim. Il en est sorti comme une flèche, bien droit, avec la ligne d'arrivée comme seule perspective et personne pour lui en masquer la vue. «Je savais que la course serait jouée au 150 m et que je devais y être en tête. Dans cette épreuve, je ne suis jamais sorti du virage en deuxième position», a-t-il raconté.

A Pékin, l’infortuné Américain Justin Gatlin a attiré vers lui avec la puissance d’un aimant les rumeurs de dopage, la mauvaise presse et les sous-entendus. Usain Bolt l’a battu deux fois, d’une misère sur 100 m (9”79 contre 9”80), puis d’un boulevard au 200 m (19”55 contre 19’’74). La saison du Jamaïcain avait pourtant été longtemps gâchée par les blessures. Mais les doutes lui sont épargnés. On s’extasie sur sa classe, son talent sans égal, ses mimiques d’amuseur public et son goût du panache. Le monde est Bolt. Les autres le regardent.

En plus de dix ans de carrière, Allyson Felix a traversé sans un cheveu de travers les orages et la tempête qui ont emporté la plupart de ses rivales. En 2005, année de son premier titre mondial, tous les observateurs de l'athlétisme s'étaient montrés emballés par son allure de danseuse, ses jambes fines comme du cristal et son impression de toucher à peine la piste de ses pas. Dix ans plus tard, elle n'a pas pris un gramme. La même, au poil près. «Quand je regarde en arrière, il m'arrive de penser que la route a été longue, confie cette fille de pasteur élevée en Californie dans l'amour du Seigneur et le goût de l'effort. Mais je suis reconnaissante d'être toujours là, capable de me battre pour la victoire. Reconnaissante, aussi, d'avoir conservé la même passion pour mon sport et le même plaisir.»

Sur la piste, l'un comme l'autre dégagent une impression de facilité. La classe, rien d'autre. Mais ils en nuancent le charme, sans fausse humilité, en rabâchant un refrain de travail, de sacrifices et de souffrance. «Le plus difficile, pour moi, est de rester à l'écart des blessures, raconte Usain Bolt. Si je pouvais y parvenir toute une saison, l'an prochain, alors je pourrai peut-être battre mon record du monde. Sur 200 m, au moins (19"19). J'ai toujours dit que mon objectif était de courir en moins de 19 secondes. Avec beaucoup d'entraînement, et sans le moindre pépin physique, je peux y arriver.»

Allyson Felix, elle, refuse de promener ses regards plus loin que le mois de septembre et les six semaines de repos complet qu'elle a l'habitude de s'accorder, au soir de la dernière compétition. «Je ne fais rien de spécial, je me relaxe, loin de l'athlétisme, dit-elle. J'en ai besoin pour garder ma fraîcheur.»

A Pékin, Usain Bolt a écrasé la concurrence, il a assuré le show sur la piste et en conférence de presse. Il est même parvenu, jeudi soir, à rendre Justin Gatlin attachant et sympa en le faisant venir à ses côtés, sur un banc posé le long du sautoir en longueur, pendant leur tour d'honneur. Mais il n'a jamais donné l'impression de quitter le monde des mortels. Allyson Felix a bouclé son 400 m en 49''26, son record personnel, meilleur temps mondial de l'année. Mais elle n'a jamais semblé s'échapper de la norme. Son tour de piste bouclé, elle s'est écroulée dans son couloir, terrassée par l'épuisement. A un journaliste qui lui demandait si elle avait pu regarder la finale du 200 m et la victoire d'Usain Bolt, elle a répondu dans un sourire immense : «Je n'étais pas vraiment en bonne position pour le faire. Je ne tenais pas debout. Mes jambes ne me portaient plus.» Rafraîchissant, non?