Etre Serena Williams juste pour vingt-quatre heures à l’approche de l’US Open, qui débute lundi à New York : voilà qui serait riche en enseignements. Mais plutôt anxiogène à l’usage, du moins pour ce qu’on peut en voir.
Ecrire l’histoire au quotidien n’est pas une sinécure : l’Américaine n’est plus en mesure de bouger le petit doigt à Flushing Meadow sans être mitraillée par une forêt d’objectifs. Plus que jamais, à presque 34 ans, la cadette des Williams est l’objet de toutes les attentions alors qu’elle lance lundi, face à la Russe Vitalia Diatchenko, sa quête du Graal. Serena Williams, qui a remporté cette année coup sur coup l’Open d’Australie, Roland-Garros et Wimbledon, a en effet la possibilité de réaliser le Grand Chelem : les quatre tournois majeurs dans la même année civile, une performance tellement rare qu’il faut remonter à l’Allemande Steffi Graf il y a vingt-sept.
Olympe. Cerise sur le gâteau, si elle réussissait à s'imposer à New York, celle qui est d'ores et déjà devenue la plus vieille numéro 1 mondiale de l'histoire égalerait par la même occasion le record de 22 titres du Grand Chelem - la meilleure marque de l'ère Open, c'est-à-dire depuis 1968, quand les pros ont été admis sur les tournois - détenu par cette même Steffi Graf. Qui, loin de se morfondre, serait ravie de voir l'Américaine la rejoindre sur l'Olympe, à en croire son époux Andre Agassi. «Ce serait une chose merveilleuse à vivre, avait indiqué l'ancien champion voilà quelque mois. "Stef" est enchantée de sa carrière, elle n'a aucun regret, elle a fait tout son possible et c'est tout ce qui lui importait. Ce qu'accomplit Serena est remarquable. Elle est sans doute la plus grande joueuse de tous les temps et ce, qu'elle gagne 22 titres ou pas.»
Sauf que le «ou pas» n'est pas envisagé par l'intéressé. Pas plus que le mot «pression». «Je n'ai pas grand-chose à perdre durant ce tournoi, a affirmé la championne à quelques heures d'ouvrir sa campagne. Ici, j'ai l'occasion de défendre mon titre. J'adore gagner ici, j'adore jouer ici et c'est tout ce que je veux faire.» «Honnêtement, je ne ressens pas de pression au quotidien, assure en écho son coach Patrick Mouratoglou. Pour le moment, elle le gère bien. On en a beaucoup parlé évidemment, parce que tous les journalistes lui posent la question. Et je lui ai dit ce que je pensais.» En l'occurrence, «qu'elle a déjà battu un nombre de records incroyables, qu'elle a encore du temps devant elle et qu'il n'y a aucune raison de se mettre beaucoup de pression sur ce tournoi, même si tout le monde le fait. Elle n'a plus rien à prouver à personne.» Il n'est pas le seul à voir les choses de la sorte. L'une de ses meilleures ennemies sur le court, la Russe Maria Sharapova, sourit avant d'affirmer sans l'ombre d'un doute : «Vu tout ce qu'elle a d'ores et déjà accompli, se retrouver dans cette position, c'est du bonus pour elle. Pouvoir réussir cela à New York où elle a tellement de bons souvenirs en ferait une super histoire.» Eh oui, toujours ce mot «histoire» qui revient.
Rédemption. L'histoire du jeu d'abord : Serena Williams est forte, donnant l'impression de ne jamais être à bout de ressources et de mettre en branle une détermination féroce les jours où le jeu ne va pas dans son sens. Mais il y a aussi l'histoire tout court, celle de son pays. A elle seule, elle résume un rêve américain mêlant la rédemption à l'échelle d'une nation et le féminisme. La preuve vivante qu'une Afro-Américaine ayant grandi, à l'instar du gangsta rap, dans la banlieue très défavorisée de Compton, près de Los Angeles, peut réussir. Qu'une business woman (sa fortune est estimée cette année à 145 millions de dollars, soit près de 130 millions d'euros) peut gagner autant de billets verts, si ce n'est plus, qu'un homme. Et ce, même lorsqu'elle est dotée de courbes généreuses et ne rentre pas a priori dans les cases standards du marketing qui ont propulsé nombre de ses consœurs à un niveau de célébrité ayant peu à voir avec ce qu'elles étaient capables de faire les jours de match. La cadette des Williams n'a jamais hésité, par ailleurs, à dire les choses, ce que son statut hors norme lui permet il est vrai. «Au-delà de la star, acquiesce Patrick Mouratoglou, c'est aussi un symbole, parce que ce n'est pas quelqu'un de fade. C'est quelqu'un qui se positionne et qui représente vraiment quelque chose. Elle l'assume et en est fière.» Pour Serena Williams, c'est même un moteur. Enfin, au vu des retombées de tout ordre qui suivraient la réussite d'un Grand Chelem dans deux semaines, ses déclarations sur «l'absence de pression» paraissent un peu suspectes. Enfin bon, si elle le dit…