Pour la France, un coup sur l'athlète
Deux médailles, en bronze. L’une était attendue, mais anticipée dans un métal plus brillant : celle de Renaud Lavillenie à la perche. L’autre est arrivée sans se faire annoncer, comme une bonne surprise, décrochée par Alexandra Tavernier
(photo AFP)
au lancer du marteau. Pour ses premiers championnats du monde, la jeune Savoyarde (21 ans) a brisé net son record personnel et forcé la porte du podium, où elle avait l’air d’une junior aux côtés de la Polonaise Anita Wlodarczyk et de la Chinoise Wenxiu Zhang, âgées de 30 et 29 ans.
«La nouvelle génération»
, suggère le directeur technique national, Ghani Yalouz.
Une classe biberon où émergent également Rénelle Lamote (21 ans), 8e du 800 m, et Kévin Menaldo (23 ans), 6e à la perche. Maigre bilan. Il faut descendre jusque dans le fond du classement, à la 31e place, pour trouver le nom de la France dans la hiérarchie des pays médaillés. Maigre consolation : les Bleus pointent au 11e rang de la «placing table», où sont comptabilisées les places de finaliste, un tableau jugé par les experts plus révélateur de la force d'une nation.
A Pékin, les Français ont souvent brillé par leur discrétion. A leur décharge, une cascade de forfaits enregistrés depuis les premiers jours du printemps : Mahiedine Mekhissi-Benabbad, habitué des podiums au 3 000 m steeple, a rendu les armes le premier, opéré en avril d’une blessure au pied droit. Teddy Tamgho, le champion du monde du triple saut, a suivi. Puis Yohann Diniz, médaillé d’or européen du 50 km marche, s’est rangé à son tour sur le bas-côté. Aux Jeux de Rio, les Bleus auront grand besoin d’eux pour retrouver des couleurs.
Décathlon, tu étonnes Eaton
Sympa, Ashton Eaton. L'Américain (photo AFP) a offert aux Mondiaux de Pékin le cadeau d'un record du monde, battu au décathlon, avec 9 045 points (soit six de plus que son précédent record, en 2012). Dix épreuves, deux journées à cravacher sur le stade, avec des airs de meneur de meute. Son 400 mètres, avalé en 45 secondes, a laissé nombre de spécialistes sans voix. Son total pourrait rester un bout de temps dans les annales de l'athlétisme.
Depuis la création des Mondiaux d'athlétisme en 1983, seulement quatre éditions ont baissé leur rideau sans avoir eu droit à un record planétaire : Athènes 1997, Edmonton 2001, Osaka 2007 et Moscou 2013. A Pékin, Ashton Eaton a crevé l'écran. Il n'a pas été le seul à tutoyer l'histoire, loin de là. En neuf jours de compétition, le «Nid d'oiseau» a vu tomber 11 records continentaux et 87 nationaux : bluffant. Sebastian Coe, le nouveau président de la fédération internationale, s'est avoué impressionné. «Voir des athlètes courir le 400 mètres en moins de 44 secondes dès les séries, j'avoue n'avoir jamais cru cela possible», a lâché le Britannique, pourtant peu enclin à s'extasier devant les prouesses chronométriques. En courses comme dans les concours, l'exceptionnel a souvent été la norme. A l'image de Mo Farah, notamment. Le Britannique s'est offert un nouveau doublé sur 5 000 mètres et 10 000 mètres, comme deux ans plus tôt à Moscou ou encore deux ans avant aux Jeux de Londres. Son chrono de samedi sur la plus courte des distances, 13'50''38, a pu sembler décevant, sauf qu'il a avalé le dernier kilomètre en 2'19''22 : le plus rapide de l'histoire des championnats du monde.
L'élèvement de l'Europe
La nouvelle reine du sprint mondial n'a grandi ni à Kingston ni sur le sol américain : Dafne Schippers (photo AFP)), 23 ans, bouille encore pubère et queue-de-cheval, a vu le jour à Utrecht, aux Pays-Bas. En finale du 200 mètres vendredi, la Néerlandaise a fait vaciller toutes les certitudes que l'athlétisme pouvait avoir sur le sprint et sa hiérarchie : le demi-tour de piste en 21''63, troisième meilleur chrono de tous les temps après ceux - pour le moins suspects - des Américaines Florence Griffith Joyner en 1988 (21''34) et Marion Jones en 1998 (21''62).
Preuve que l'Europe n'a pas rendu les armes, y compris sur le sprint où les Caraïbes et les Etats-Unis laissent seulement les miettes. A Pékin, l'athlétisme européen a abandonné ses complexes dans la chambre d'appel. A l'image de Schippers, spécialiste de l'heptathlon reconvertie cette saison en sprinteuse, ils ont été nombreux à faire la nique aux Africains et Américains sur leur propre terrain. Le Russe Sergey Shubenkov a renvoyé par le fond les illusions des hurdlers américains (Aries Merritt 3e, David Oliver, 7e) et jamaïcain (Hansle Parchment, 2e), en finale du 110 mètres haies, avec un temps de 12''98. La Biélorusse Marina Arzamasova a décroché le pompon dans la dernière ligne droite d'un 800 mètres qui semblait promis à la Kényane Eunice Sum. Deux Russes, Mariya Kuchina et Anna Chicherova, ont encadré une Croate, Blanka Vlasic, sur le podium de la hauteur. Un Britannique, Greg Rutherford, a fait main basse sur le concours du saut en longueur où le meilleur Américain fut 9e place. Mike Powell, recordman du monde, présent dans la tribune, a dû en tomber de son siège.
Bolt, la légende durée
Mais que ferait-on sans Usain Bolt ? A Pékin, le Jamaïcain de 29 ans a joué sa partition sans une fausse note (Photo AFP). Une finale du 100 mètres dont les Mondiaux parlent encore avec le regard ému, puis un 200 mètres où il a montré à la Terre entière, Justin Gatlin en tête, qui restait le maître du sprint. Une balade de santé pour finir lors du 4 × 100 mètres.
Dans l'intervalle, des conférences de presse où se sont bousculés les reporters du monde métier. En prime, le privilège d'avoir fait le buzz sur les réseaux sociaux après qu'un infortuné cameraman chinois monté sur un Segway l'a renversé en pleine piste. Avec 11 médailles d'or aux championnats du monde depuis Berlin en 2009 et les records du monde du 100 mètres (9''58) et du 200 mètres (19''19) en cours, Usain Bolt a gravé son nom dans le marbre. Seul devant, les autres derrière. «L'un des meilleurs Mondiaux de ma carrière», a-t-il reconnu, certain d'avoir repoussé encore ses limites pour avoir prolongé sa série de victoires malgré une saison longtemps perturbée par les blessures. De son propre aveu, le sprinteur fera encore parler la poudre l'an prochain aux Jeux de Rio.
Pour la suite, rien n'est sûr. « Mes sponsors veulent que je continue jusqu'aux championnats du monde en 2017, mais mon coach, Glenn Mills, me répète que je ne pourrai le faire qu'à la condition de m'y consacrer à fond. Si je sens que je peux tirer sur mon corps encore une saison, je le ferai.» Dans le cas contraire, il faudra s'habituer à vivre sans Bolt. Une perspective qui n'enchante personne. Surtout pas Sebastian Coe, le nouveau boss de la Fédération internationale d'athlétisme.
Kenya, aisance d'une nation
Il faut se pincer pour y croire : le Kenya a coiffé tout le monde, au dernier soir des Mondiaux, en tête du classement des médailles. Les chiffres laissent sans voix : 16 places sur le podium, dont 7 titres. Même la Jamaïque (12 médailles, dont 7 en or) et les Etats-Unis (18 médailles, dont 6 en or) sont derrière. Une performance collective que les athlètes africains attribuent volontiers à la magie d’un décor, le «Nid d’oiseau» de Pékin, où ils se croient destinés à sortir de la masse, puisque sept ans plus tôt, aux Jeux de 2008, ils avaient déjà crevé l’écran avec 14 places sur le podium, dont 6 titres olympiques.
D’un événement à l’autre, les Kényans ont vu les soupçons de dopage à grande échelle s’abattre sur leurs athlètes. Et ils ont étoffé leur registre. Aux Jeux olympiques de 2008, ils ne commençaient à montrer le nez à la fenêtre qu’à partir de deux tours de piste. Un athlétisme de coureurs, spécialistes du demi-fond. Brillant, certes, mais monomaniaque.
A Pékin, l'hymne du Kenya a aussi été joué après les finales du 400 m haies et du javelot masculin. Inattendu, et même improbable. Symbole de cette nouvelle donne : Julius Yego (photo AFP), un colosse de 26 ans tout en sourire, jamais médaillé dans un grand championnat jusqu'ici, mais auteur d'un jet à 92,72 mètres à Pékin. Renseignement pris, le lanceur est entraîné par un Finlandais, et il se prépare entre le Kenya, l'Afrique du Sud et la Scandinavie. Il promet : «Au pays, nous avons des talents dans toutes les disciplines. L'an prochain, aux Jeux de Rio, nous le démonterons de façon encore plus spectaculaire.» Le monde peut trembler.