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Analyse

Transferts mirobolants : Manchester United décrète la loi Martial

Le club anglais recrute l'attaquant de l'AS Monaco pour 60 millions d'euros plus 20 de bonus, et conclut le passage de ce sport dans la spéculation la plus pure.
L'attaquant français Anthony Martial sous le maillot de Monaco contre Toulouse en Ligue 1, le 3 mai 2015 au Stade Louis-II (Photo Valery Hache. AFP)
publié le 31 août 2015 à 20h25

Le 19 août dernier, juste après le match aller des barrages de la Ligue des Champions, opposant Valence à Monaco au stade Mestalla, un collègue de l'Equipe et grand spécialiste du marché des transferts nous a glissé, d'un ton badin : «Tu vois, avec sa belle prestation du soir, la cote d'Anthony Martial vient de passer de 30 à 50 millions d'euros.» Il n'était pas si loin du compte. Incroyable épilogue du mercato, le transfert de l'attaquant de l'ASM âgé de 19 ans vers Manchester United pour 60 millions et 20 de bonus est aussi la transaction emblématique d'un marché dérégulé, avec un prix totalement déconnecté des performances sportives. Plus intriguant encore, même d'un point de vue de trader du football, on voit mal comment Manchester pourra faire un second deal intéressant, avec une belle plus-value à la revente.

«Ce ne sont pas des paris, ce sont des investissements, assure pourtant le sélectionneur Didier Deschamps, obligé de jouer les analystes économistes. Quand il part de Lyon, il y a deux ans, tout le monde se dit : ''Comment ils font pour payer 5 millions d'euros ?'' Aujourd'hui, il en vaut combien ? Quand certains présidents ou entraîneurs pensent qu'un joueur, surtout un jeune, a du potentiel, qu'il peut jouer tout de suite, et qu'il représente une possible plus-value importante, ils investissent.» DD ne parle plus des pieds réels de ses joueurs mais de la main invisible d'Adam Smith : «Le foot génère beaucoup d'argent et les clubs anglais ont des moyens colossaux. Je ne suis pas choqué. A partir du moment où ils mettent le prix, ça devient quasi impossible de refuser de telles sommes pour les clubs français. Après, est-ce qu'Anthony les vaut vraiment ? Est-ce que c'est bien, ce n'est pas bien ? Ça, je n'en sais rien.»

Plus cher que Zinedine Zidane

Les chiffres donnent quand même le tournis. Martial devient le joueur français le plus chèrement acquis de l’histoire, devant un certain Zinedine Zidane, passé de la Juventus Turin au Real Madrid pour 76 millions d’euros, en 2001. Il permet à Monaco d’atteindre la barre des 210 millions d’euros de recettes sur le marché pour cet été, après avoir déjà récupéré près de 100 millions à l’été 2014, grâce notamment à la vente de James Rodriguez au Real Madrid.

Dévoilée par RMC, la première offre de Manchester United à près de 50 millions a fait trembler le Rocher dimanche soir, à quelques minutes du coup d'envoi de Monaco-Paris-SG (0-3). La direction de l'ASM a essayé de préserver le jeune Martial, aligné en pointe, espérant qu'il se présente sur le terrain sans connaître la démesure de la proposition anglaise. Pendant le match, Luis Campos, le directeur sportif portugais, a calmé les ardeurs de nombreux suiveurs, leur expliquant que Martial ne partirait pas. Mais à ce niveau-là, les avis des hommes de Jorge Mendes (Luis Campos, l'agent Paulo Tavares, l'entraîneur Jardim) ne comptent pas. Seul le big boss russe Dimitri Rybolovlev peut décider si les âmes de l'ASM sont à vendre.

«Il n’a pas peur des duels»

La garde rapprochée du patron négocie dur avec Manchester, demande 80 millions d'euros d'indemnité de base, puis 70 millions. Pourquoi se priver ? Les Anglais ont commencé les négociations à un tel niveau, autant en profiter. Ce lundi dans la matinée, un accord se dessine, et Martial quitte Clairefontaine à midi, quelques minutes après y avoir mis les pieds pour sa première convocation en Bleus. La Fédération française de football se plaît à jouer les Mister mercato en officialisant l'avancée du dossier sur son site.

Et le gamin, dans tout ça ? «C'est un phénomène, sourit Moustapha Hedna, le recruteur monégasque qui a accéléré son arrivée en Principauté. Au printemps 2013, Vadim Vasilyev, le tout récent vice-président de l'AS Monaco, avait des vues sur plusieurs joueurs lyonnais, comme Clément Grenier et Maxime Gonalons. Je lui ai parlé d'Anthony Martial, je l'avais vu jouer en réserve et en équipe de France des jeunes à 16 et 17 ans. Il allait déjà très vite, il était puissant, techniquement complet. Il n'a pas peur des duels, avec une qualité fabuleuse dans la prise de balle vers l'avant. Vadim a appelé Aulas, et il a vite compris à la réserve du président lyonnais qu'il avait visé juste. Il a tout fait pour le faire venir.»

Recadré par Toulalan et Subasic

Monaco débourse 5 millions et propose un pourcentage à la revente à l'OL, qui devrait bénéficier de plus de 10 millions d'euros sur le transfert à Manchester United. Utilisé avec précaution par Claudio Ranieri lors de la saison 2013-2014, Martial s'affirme doucement après la blessure de Falcao. En début de saison dernière, il se perd, est recadré par Jardim, puis par les tauliers du vestiaire Jérémy Toulalan et Danijel Subasic. «C'est un bon garçon, super bien élevé, suivi par son papa, glisse Hedna. Il est déjà père de famille.» 

L'ancien scout de l'ASM est ravi pour le petit, mais aussi pris de vertiges devant le montant du transfert : «Je pense qu'il va flamber, il a tous les atouts pour réussir en Angleterre, mais après, on ne peut jamais être sûr… Manchester le suivait depuis longtemps, et a accéléré quand il s'est heurté à un refus pour Gareth Bale (Real Madrid). Mais à ce prix-là, après une seule véritable année de L1, onze buts en championnat dans sa carrière, et pas encore de véritables références au niveau européen, oui, c'est un peu fou.»