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Yannick Noah, le spectre du tennis français en phase de réveil

Le dernier vainqueur tricolore d’un tournoi du Grand Chelem, passé à la chanson, pourrait faire son retour, ce lundi, comme capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis. Il devrait alors prouver qu’il n’a rien perdu de sa magie.
Yannick Noah dans les coulisses des Francofolies, à La Rochelle, le 10 juillet 2014. (Photo Xavier Leoty. AFP)
publié le 13 septembre 2015 à 20h06

L'affaire est partie d'une phrase mystérieuse lâchée, voilà une semaine, dans une petite salle d'interview de l'US Open, à New York, par Richard Gasquet : «Messieurs les journalistes, vous allez bientôt avoir des choses à écrire.» Elle a pris corps vendredi sur France Info - un séisme à l'échelle du tennis hexagonal : Yannick Noah reviendrait aux affaires comme capitaine de Coupe Davis. Ce qui aurait pour effet collatéral d'expédier dans les ronces le titulaire du poste, Arnaud Clément, mais qui, surtout, enverrait l'élite «tennistique» du pays - à commencer par les «quatre mousquetaires» : Gilles Simon, Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils et Richard Gasquet - dans une dimension difficile à décrire. Entre le vintage, un fantasme de dimension quasi-nationale, la mystique de la réussite à très haut niveau et l'urgence des derniers feux (puisque nos quatre gaillards auront tous passé 30 ans la saison prochaine).

Musique. Formellement, le bureau de la Fédération française de tennis (FFT) se réunit ce lundi et le remplacement de Clément sera à l'ordre du jour. Il s'est d'abord dit que Tsonga et Gasquet étaient à la manœuvre, amers après le débriefing que Clément leur a asséné après l'élimination en Grande-Bretagne, début juillet, en quart de finale de Coupe Davis. Alors que le premier faisait la gueule à son partenaire de double, le second n'avait même pas envie de jouer. Faux : Gilbert Ysern, directeur général de la FFT et homme fort - voire surpuissant - de la fédération, cornaque l'affaire seul puisque Noah a été contacté avant que le premier joueur ne soit consulté.

Depuis, l'ancien vainqueur de Roland-Garros discute du «fonctionnement» à venir, selon Cédric Pioline, deux fois finaliste en Grand Chelem (1993, 1997) et qui, selon l'Equipe, devrait occuper le poste de manager dans la future structure. Présent au Parc des princes, vendredi, pour voir le Paris-SG, Noah a confirmé être dans le coup, entre deux portes. Et est-ce que l'équipe de France de Coupe Davis l'intéresse ? «Toujours.» Yannick Noah n'a plus rien à voir avec le tennis : une petite vingtaine d'années qu'il a coupé les ponts pour se consacrer à sa carrière de chanteur, même s'il s'occupe - reste à savoir avec quelle fréquence - depuis mars du jeune Français Lucas Pouille, actuel 65e  mondial.

En revanche, grâce à des interventions médiatiques et des petites phrases savamment dosées, il est toujours parvenu à exister dans un rôle précis : la statue du commandeur du tennis. Surplombant plus particulièrement une génération actuelle dorée sur tranche - les «mousquetaires» - qui, selon lui, amuse la galerie, se ment à elle-même et n’arrache pas la seule timbale qui vaille : ce tournoi du Grand Chelem que Noah tient comme un sceptre depuis son Roland-Garros 1983 et un coup droit un peu long du Suédois Mats Wilander.

Levier. Quand il décrit son travail avec Noah, Pouille a une phrase incroyable : «Le tennis, Yannick ne veut même pas en entendre parler. On parle de la gagne, de l'approche des matchs, de la tension, du poids du public.» Ce que vend Noah est de l'ordre du spirituel. Ceux qui connaissent les très grands soirs sportifs - un champion olympique par exemple - détiennent une étincelle sublimant leurs aptitudes sportives. Une qualité d'adaptation ou d'abstraction, un sens exacerbé du moment, une faculté à trouver un chemin invisible, une disposition supérieure à la compromission ou, à l'inverse, à suivre une éthique et ne jamais en démordre. Avec à sa tête un Noah qui a remporté la Coupe Davis comme capitaine en 1991 et 1996, l'équipe de France pourrait servir de levier aux joueurs, à l'heure où ces trentenaires brûleront leurs dernières cartouches.

Fantôme.Ysern fait, en quelque sorte, rouler les dés. Il sait aussi qu'un échec aurait le mérite de liquider le fantôme d'un Noah providentiel. Reste à savoir ce qu'en pensent les principaux intéressés. Monfils s'en fout, il est sur une autre planète. Simon bout dans son coin, lui qui a expliqué tantôt que Noah était «juste un chanteur», manière de dire que son quotidien de joueur de haut niveau s'accommode mal d'un coach déconnecté des réalités du jeu. Gasquet et Tsonga semblent mieux disposés.

Par le passé, Yannick Noah a souvent dit qu'il lui faudrait le soutien total des joueurs pour se lancer. On peut le comprendre : la nature quelque peu impalpable de son apport impose de prêcher des convaincus. En 1983, le matin de sa finale, l'Equipe titrait en une : «50 millions de Noah». Trente-deux années plus tard, s'il décide de plonger, la puissance œcuménique de son message va être soumise à rude épreuve.