Menu
Libération
Basket

Tony Parker, «TP» or not to be

Depuis le début de l’Euro, Tony Parker affiche des statistiques faiblardes malgré son statut de boss de l’équipe de France.
Tony Parker, lors d'un match France-Russie, à Montpellier le 9 septembre. (Photo Pascal Guyot. AFP)
publié le 14 septembre 2015 à 19h26

En voyant l'affiche du quart de finale qui attend les Bleus ce mardi à l'Eurobasket, beaucoup ont pouffé : chouette, c'est la Lettonie ! De but en blanc, il est vrai que les Baltes apparaissent pâlichons face à l'escouade française, peuplée d'athlètes estampillés NBA. Mais qui était en Lituanie, au premier tour de l'Eurobasket 2011, se rappelle que les Bleus avaient transpiré à grosses gouttes au moment de croiser le fer avec les Lettons. La France avait fini par l'emporter, mais les shooteurs baltes avaient été d'une adresse irréelle à 3 points. La star Janis Blums avait terminé avec 33 points et l'impression qu'il pouvait scorer même s'il faisait nuit noire. Tout ça pour dire que la Lettonie, malgré tous les sarcasmes, a un jeu calibré pour ennuyer les Bleus. A fortiori si Tony Parker, 33 ans, ne retrouve pas un peu d'allant offensif. Depuis le début de la compétition, le meneur des Spurs apparaît en effet emprunté, avec seulement 11,2 points et 3,7 passes décisives par match. «On ne va pas tarder à voir revenir le grand Tony», prophétisait toutefois l'ailier Nicolas Batum, au soir de l'écrasante victoire contre les Turcs en 8e de finale. S'ils battent les Lettons, les Bleus s'offriraient une demie sulfureuse contre l'Espagne ou la Grèce. Y a plus qu'à.

Un joueur émoussé

Ce que l’on a vu samedi soir au stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq était désarçonnant. Il ne restait que trois minutes dans le troisième quart-temps et la France pulvérisait la Turquie en huitième de finale de l’Eurobasket. Pourtant, en levant le nez au plafond, l’écran à cristaux liquides affichait ceci : Tony Parker, 0 (point). Quelques minutes plus tôt, il trébuchait avant d’être relevé par le jeune Evan Fournier, sous les applaudissements énamourés d’un public qui ne lâche pas d’une semelle le meneur des Spurs. Déjà, lors du dernier match de poule contre Israël, Parker était resté muet. Une dinguerie pour cet attaquant inénarrable, qui a dépassé lors du premier tour le Grec Níkos Gális pour devenir le meilleur marqueur de tous les temps à l’Euro. Dans la tribune de presse, la rumeur d’une blessure a couru. Vite évacuée. Dès lors, c’est un schisme qui a vu le jour. Certains ont refait le fil d’une carrière grandiose pour ne pas laisser pâlir l’étoile - refusant l’émergence d’un débat sur l’avenir de Tony Parker. D’autres, perçus comme des profanateurs, ont avancé l’argument du temps qui passe. Pour une fois, on se contentera d’une prudence toute normande. «TP», quatre fois champion NBA, en a vu d’autres. S’il colle 25 points dans l’œil des Lettons ce mardi, les ingrats d’hier auront l’air bêta.

Cependant, de quart-temps en quart-temps, on a vu dans cet Euro un joueur de 33 ans. C’est terrible mais c’est ainsi : Tony Parker vieillit. Et cela se constate d’abord en défense, où la cohorte de meneurs américains naturalisés (Jamar Wilson pour la Finlande, A.J. Slaughter pour la Pologne, Ali Muhammad pour la Turquie) lui a pourri l’existence. En attaque, c’est une tout autre histoire. Ses standards à la baisse s’expliquent de deux façons. Tony Parker est un dragster qui ne donne sa pleine mesure que lorsqu’il est affûté physiquement. Or, cet Euro intervient très tôt dans la saison. Ensuite, Parker doit composer avec l’affirmation de Nando De Colo, l’arrière du CSKA Moscou marchant littéralement sur l’eau.

Reste que TP lui-même semble avoir intégré que c'est le début de la fin. A l'Equipe, il déclarait lundi : «Il faut savoir s'effacer quand tous les coéquipiers jouent bien et je savais que ce moment arriverait en équipe de France, c'était obligé. Ça fait quinze ans que je suis là, à un moment, il faut savoir passer la relève et j'ai toujours dit que je serais prêt à ne pas être égoïste, à laisser les autres prendre du volume.» Dans sa bouche, ça aussi, c'est désarçonnant.

Un coéquipier vénéré

Prenons un joueur, disons lambda, de l’équipe de France. Comment voit-il Tony Parker de son poste d’observation ? Un coéquipier ? Un leader ? Un meneur de jeu exceptionnel ? Oui, mais pas que. Parker, on le sait depuis des lustres, gravite quelque part entre joueur, sélectionneur, président de fédération ou on ne sait quoi d’autre. Sa parole vaut double, le meneur des San Antonio Spurs étant consulté - comme Boris Diaw et Florent Piétrus - par le sélectionneur Vincent Collet au moment de la constitution de son groupe.

De l’extérieur, il est fascinant d’observer les signes d’adhésion ou d’exaspération liés à la vie en commun avec une gigastar. Les heures passées au téléphone pour expédier les affaires courantes, les trajets en voiture quand les autres ont droit au bon vieux bus, etc.

Dans le cas de «TP», il est amusant de noter que chaque zone mixte, chaque conférence de presse, chaque interview est l'occasion de prosternations en bonne et due forme. Prosternations, entendons-nous bien, qui émanent à 90 % du temps des interrogations peu imaginatives des journalistes : «Comment avez-vous trouvé TP ?» «Que pensez-vous du record de TP ?» «Est-ce que TP est blasé, fâché, frustré, fatigué ?» «Est-ce qu'il a bien dormi, bien mangé ?» Des questions, en somme, qui reviennent à demander à un ministre qui veut durer ce qu'il pense de François Hollande… Pourtant, tous s'y prêtent de bonne grâce. Et ce pour une raison qui n'a paradoxalement rien à voir avec le niveau de jeu longtemps délirant du bonhomme : Tony Parker est un mec sincère dans son dévouement et son attachement à l'équipe de France. Il pourrait, comme c'est le cas en ce moment, piocher sévèrement dans le jeu, que ses coéquipiers lui resteraient fidèles. En effet, que reprocher à un gars qui, chaque année depuis quinze ans, risque de se péter le tibia en équipe nationale ? Si son club de NBA, San Antonio, fait partie des plus conciliants envers les sélections, Parker fut tout de même invité à de nombreuses reprises à mettre un terme à ses séjours en Bleu. Pour les Spurs, une fracture équivaut à une facture. Et salée, tant la perte aux Etats-Unis serait aussi sportive que commerciale.

Du coup, le voir revenir d’année en année avec, la plupart du temps, une breloque supplémentaire autour du cou, a achevé de susciter l’admiration de ses coéquipiers. Il reste que la frontière entre vénération et agacement est des plus ténues. Tout interventionnisme zélé passerait pour une ascendance malvenue. Comme bien souvent en sport, les traitements de faveur ne sont tolérés que quand ça gagne.

Un homme affairé

Pour sûr, la scène n’a pas dû arriver souvent dans l’histoire du sport. Nous sommes fin 2008 et l’équipe de France se prend les pieds dans le tapis en qualifications pour l’Euro 2009. Michel Gomez, le sélectionneur, est débarqué et Yvan Mainini, le président de la fédé, se creuse la tête pour lui trouver un remplaçant. Début 2009, il choisit le discret mais cérébral Vincent Collet. Problème, l’ex-coach du Mans et du Havre entraîne alors l’Asvel (Villeurbanne), club dans lequel Tony Parker entre justement au capital. De façon assez improbable, Parker devient l’un des patrons de son entraîneur en sélection !

Un peu plus d'un an plus tard, le 17 novembre 2010, ce qui devait arriver, arriva : Collet est «dispensé de tout travail» par son club en raisons de mauvais résultats, mais poursuit son aventure en équipe de France. En coulisses, d'aucuns craignent que la bizarrerie de la double inféodation ne laisse des traces dans la relation entre les deux hommes. En réalité, il n'en sera rien. Factuellement, Parker ne possédait que 20 % des parts du club au moment du limogeage de Collet. Ce n'est donc pas lui qui lui a coupé la tête.

Néanmoins, hiérarchiquement, il est évident que le statut de Parker n'est pas celui d'un sélectionnable classique. Pour preuve, cette autre scène ubuesque à laquelle on a assisté au soir du match contre la Pologne, à Montpellier. En conférence de presse, Collet est questionné sur la tactique mise en place pour entraver la dernière action polonaise. La consigne était claire : faire faute. Les Bleus, pour X ou Y raisons, ne l'ont pas respectée. Assis au côté de son sélectionneur, «TP» lui coupe alors la chique : «Vincent nous avait demandé de le faire. On ne l'a pas fait. Il n'y est pour rien.» Interloqué, Collet pique un fard et remercie son joueur, improvisé sauveur. En sport, seul un intouchable peut se payer ce toupet. Au PSG, on ne voit guère que Zlatan Ibrahimovic pour couper l'herbe sous le pied de Laurent Blanc. Et encore.

Tout sélectionneur qu'il soit, Vincent Collet est bien obligé de composer avec l'aura planétaire de Parker, son agenda de chef d'Etat et ses rêves de businessman sans frontière. Imprévisible dans ses investissements, Parker subventionne diverses associations, qui aident les femmes battues ou les SDF, et est administrateur du zoo de San Antonio ! Dans une interview assez culte accordée au magazine Society avant la compétition, le meneur développait cette idée exotique de la postérité : «J'ai toujours été fasciné par les vêtements. J'aimerais bien faire un truc comme Lacoste : dans trente ans, quand quelqu'un parlera de Tony Parker, qu'il pense que c'est une marque, pas un joueur de basket. […] Jordan, il y a plein de jeunes qui ne l'ont pas vu jouer, ils ne connaissent que la chaussure.»