L'ancien capitaine de l'équipe de France de Coupe Davis Arnaud Clément a tiré ses derniers feux médiatiques (L'Equipe, France Info) ce week-end : lundi, Yannick Noah a été officiellement intronisé à sa place. C'est peu dire que la nomination du véritable totem du tennis français était attendue : à entendre Clément, la Fédération française de tennis – dans les faits Gilbert Ysern, son directeur général – a pris langue avec Noah dès mi-juillet, quelques jours après l'élimination des Bleus face à la Grande-Bretagne d'Andy Murray en quart de finale de la Coupe Davis.
Clément n'y aura vu que basses manœuvres, «manque de respect» à son égard, actions «déloyales» et «honteuses», etc. On ne peut pas demander à Clément, trimballé depuis des semaines par une Fédération qui l'a laissé se débattre sans lui dire que son sort était scellé, de prendre la véritable dimension de retour de Noah : elle est à la fois cosmique, mystique et crépusculaire.
Cosmique, parce que Noah a déjà enquillé deux mandats (1991-1992, puis 1995-1998) et abandonné la fonction pour se consacrer à la chanson voilà dix-huit ans. Or, le sport de haut niveau et le revivalisme font rarement bon ménage et l’ancien vainqueur de Roland-Garros ne fait pas mystère de son ignorance des caractéristiques des joueurs qui crapahutent aujourd’hui sur le circuit.
Il faut dès lors comprendre le sport comme la dissociation de deux entités distinctes : tout ce qui relève du jeu lui-même (les aspects physique, technique ou stratégique) d'un côté, une sorte d'étincelle surnaturelle de l'autre, cette fameuse «culture de la gagne» qui n'appartient qu'aux élus. Lucas Pouille, dont Noah s'occupe par intermittence depuis le début de l'année, expliquait qu'il «ne veut même pas entendre parler de tennis» : «On parle de la gagne, de l'environnement, de l'approche des matchs.»
D’une mystique, en somme. Que la Fédération entend mettre au service d’une génération dorée (quatre joueurs fréquemment dans le top 20 mondial depuis une dizaine d’années : Jo-Wilfried Tsonga, Richard Gasquet, Gaël Monfils et Gilles Simon) mais dont les membres auront tous passé la trentaine l’année prochaine sans avoir accroché la moindre victoire en tournoi du Grand Chelem. Gasquet ou Tsonga ont ainsi pris conscience du temps qui passe : ces deux-là étaient les plus favorables à l’arrivée de Noah, la Coupe Davis étant bien entendu un levier pouvant leur servir à décrocher ce Graal individuel.
On suppose que Noah arrive muni de quelques garanties, au premier rang desquelles l’assentiment plein et entier des joueurs concernés : par le passé, ses discussions avec Monfils ou Gasquet n’avaient débouché sur rien malgré la volonté – maintes fois réitérée dans les médias – de l’ex-joueur de prendre en main la nouvelle génération. Celle-ci abat ainsi l’une de ses dernières cartes.
Noah va commencer par leur expliquer la nécessité de porter plus qu'eux-mêmes, l'attitude consistant à dire «c'est ma carrière et pas celle du voisin, je fais une demi-finale de tournoi du Grand Chelem par an et j'emmerde le monde entier» ayant enfermé au fil des saisons les joueurs dans un trip égotiste que le grand public leur avait fait payer cher après la défaite de novembre en finale de la Coupe Davis face à la Suisse à Lille. Pour Noah, la pression, le regard des autres, les attentes extérieures ont toujours été des clefs permettant de monter les échelons. Choc des cultures en vue.