Etrange conférence de presse que celle qui, mardi, dans la grande salle d’interview de Roland-Garros, a intronisé Yannick Noah comme capitaine d’une Coupe Davis qu’il remporta à deux reprises (1991, 1996) dans une autre vie, quand il ne vivait pas encore de sa musique. La feuille de route du totem du tennis français était claire. Ne surtout pas donner dans le vintage, parler «ici et maintenant», ne pas non plus la faire au charme – on l’aurait vu venir, et il ne veut pas de ça – tout en posant la première pierre de sa troisième mandature : créer un environnement favorable qui est un peu l’alpha et l’oméga de ce qu’il escompte apporter aux joueurs.
Quand Noah a-t-il été contacté ?
«Fin août» et non mi-juillet, comme son prédécesseur au poste Arnaud Clément, viré sans ménagement, l'a affirmé sur France Info. L'un des deux prend donc des libertés avec la vérité. Point clé du discours de Noah mardi : à l'entendre, il a toujours été dans le paysage. «J'ai l'impression que je ne suis jamais parti. Depuis 10 ans, chaque année, on débriefe la Coupe Davis entre copains, on refait le monde… J'ai toujours été en contact avec les joueurs. Avec Richard [Gasquet], on a le même sponsor, c'est dire si on se croise. Fin août, on m'a demandé de reprendre le capitanat. Ma réponse a été claire : pas question si je n'ai pas une conversation avec tous les joueurs.»
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Qu’est-ce qui l’a décidé ?
Toucher les joueurs au téléphone n'a pas été simple : Noah a expliqué avoir eu le dernier il y a trois jours, ce qui explique l'annonce tardive de sa nomination, lundi. Une fois le contact établi, en revanche, on verse manifestement dans une sorte de symbiose : «On dort moins, on est à fond… on s'envoie des textos la nuit… On a parlé longuement et je suis très, très confiant. J'en ai eu six [dont les quatre à être apparu dans le Top 10 mondial ces dernières années : Gasquet, Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils et Gilles Simon] mais pour moi, l'équipe, c'est dix joueurs. J'ai l'espoir fou de recadrer certaines choses. Par rapport à l'âge des joueurs concernés [les quatre précités auront passés la trentaine dans les prochains mois, ndlr], il y a une forme d'urgence. On ne peut plus dire : "On fera mieux l'année prochaine." C'est très dangereux. Le sport de haut niveau, c'est tout de suite. Même si j'entraînais des juniors, je leur dirais que c'est tout de suite.»
Que va-t-il apporter ?
Des règles autrement plus strictes que celles qui étaient en vigueur sous Clément – et même Guy Forget, entre 1999 et 2012 : «A un moment, il faut un cadre et des ressorts collectifs. Avant, les joueurs décidaient. C'est fini. Tu sors du cadre ? Tu sors tout court. C'est facile à faire, il suffit de prévenir les joueurs des règles en vigueur. Avant moi, l'autorité a manqué, oui. Vous pouvez me sortir trois ou quatre exemples mais moi, des exemples, j'en ai cent. Et je n'ai pas besoin d'être à Lille pour la finale de Coupe Davis [perdu en novembre 2014 face aux Suisses, ndlr] pour savoir. Je vois le mec qui rentre sur le court et j'ai compris, le box où se tiennent les joueurs et j'ai compris, la communication les deux jours avant le premier match et j'ai compris aussi. Les joueurs n'arrivent pas à s'épanouir dans le cadre de la Coupe Davis : voilà la vérité. Il faut créer les conditions, protéger les joueurs si besoin, leur permettre d'appréhender l'événement de manière positive. J'ai l'habitude. Et j'ai un plan.» Lequel ? «Il est hors de question que les joueurs découvrent mon plan de travail dans la presse.»
N’y a-t-il pas un risque de déconnexion entre lui et la génération actuelle ?
Cette question, l'intéressé l'attendait : il avait une réponse toute prête, même s'il fut capable d'y mettre suffisamment de lui-même et de vie pour qu'on lui prête une oreille attentive. «Les joueurs ont changé, l'environnement a changé… J'ai entendu ça dès que j'ai commencé à jouer au tennis. Vous croyez que Boris Becker [multiple vainqueur en Grand Chelem, aujourd'hui à la retraite] n'apporte rien à Novak Djokovic depuis qu'il le conseille ? Et Amélie Mauresmo avec Andy Murray ? Et Stefan Edberg avec Roger Federer ? On disait que Roger était sur la pente descendante, mais depuis qu'Edberg est là… Je me régale quand j'entends John McEnroe commenter les matchs pour la télévision américaine, et j'apprends beaucoup de chose sur le jeu. Alors d'accord, il y a l'entourage, les agents ; accéder aux joueurs relève parfois du parcours du combattant. De mon temps, quand un joueur était accompagné de sa femme dans le vestiaire, on disait qu'il y avait foule. Maintenant… Je suis aussi là pour que le joueur ne se laisse pas polluer. Quand on veut gagner, il faut regarder les étoiles, le soleil et rêver un peu. Si un agent empêche la performance, c'est un mauvais agent. Il y a aussi de mauvais coachs. Tout comme il y a une culture de la victoire et une culture de la lose.»
Verdict
Bien. On peut penser ce qu'on veut du gaillard et des manœuvres plus ou moins subtiles – petites phrases lâchées par-ci, conseil «bien intentionné» par-là – qui l'ont amené à retrouver son poste, Noah est une force en marche. Hors micro, Gilbert Ysern, directeur général de la Fédération française de tennis et grand artisan du retour du vainqueur de Roland-Garros1983, nous donnait les clés : les quatre meilleurs joueurs français trentenaires et pas un titre du Grand Chelem ni une Coupe Davis remportés, autant tenter autre chose.
Et Noah, forcément, c'est «autre chose» : un type plus dur, moins amène que Clément ou Forget, un type qui a pris l'habitude de peser sur les choses aussi. Il a évoqué ce point-là mardi : «Quand j'étais joueur, j'entendais que je n'avais pas de coup droit, que j'allais me planter. Ensuite, quand on m'a donné le capitanat en Coupe Davis, j'étais soi-disant inexpérimenté, trop copain… Mais quand il a fallu écarter Guy Forget six mois après qu'il m'a gagné la Coupe Davis 1991, je l'ai fait, alors que c'était mon ami. Bon, bref… après, je n'avais rien à faire sur une scène parce que je n'avais pas de voix… Et pour l'équipe de Fed Cup [la Coupe Davis au féminin, qu'il remporta aussi comme capitaine], je ne comprenais rien au jeu des filles, sauf que voilà…» Noah a également indiqué qu'il n'avait signé aucun contrat, et qu'il n'en signera pas. Prochain épisode : le ressenti des joueurs et tout particulièrement de Tsonga, tête de gondole hexagonale. Il faudra sans doute savoir lire entre les lignes.