Saint-André a prévenu ses joueurs: «On peut perdre face à la Roumanie !» L'entraîneur du XV de France est bien placé pour le savoir. Sa première titularisation en Bleu remonte au 24 mai 1990. Ce jour-là, à Auch, la France affronte un XV de Roumanie qu'elle connaît bien et contre qui elle perd rarement. Pourtant, à la surprise générale, la France s'incline 12-6. Un exploit qui reste un des derniers faits d'armes d'une équipe à la recherche d'un second souffle.
La Roumanie est une exception dans le monde du rugby. Presque un Ovni. Après la guerre, dans les pays de l’Est, on n’apprécie guère ce jeu que l’on juge élitiste et bourgeois. Pourtant, l’arrivée au pouvoir de Ceausescu, à la fin des années 60, va permettre à ce sport de prendre son envol. Importé par les étudiants français avant-guerre, le rugby est alors limité aux universités et à Bucarest. Pour le faire progresser, Nicolae Causescu va s’appuyer sur les grands clubs corporatistes attachés à la police ou à l’armée. Il va en faire un outil de fierté nationale en l’ouvrant vers les campagnes. Un match contre la France se jouera même en lever de rideau d’une rencontre de foot entre la Roumanie B et la Pologne B devant 90 000 spectateurs !
Dernier sursaut
Mais le rugby roumain s’est surtout développé grâce à la France. Un lien fort unit les deux fédérations. Dans une discipline anglophone, les Roumains restent francophones. À partir des années 60 jusqu’à la fin des années 90, Français et Roumains se rencontrent une fois par an. En général au mois de décembre, avant le Tournoi de V Nations. Des matchs sont même organisés entre les clubs ! En 1964, la Grivita Rosie (Bucarest) remporte ce qui ressemble à un lointain ancêtre de la Coupe d’Europe. Mais le régime totalitaire apprécie de moins en moins de voir ses joueurs voyager en Europe. Et alors que la fédération roumaine est un temps approchée pour intégrer le Tournoi, c’est finalement l’Italie qui devient la sixième nation; à Bucarest, le rugby disparaît même des écrans de télé.
En 1990, un an après la chute du régime, un vent de liberté souffle donc sur l’équipe nationale que se déplace en France. Mais cette victoire, qui aurait pu constituer un nouveau départ, n’était un fait que le dernier sursaut d’un sport moribond. En 1995, le rugby devient professionnel et les clubs roumains n’arrivent pas suivre le rythme des clubs anglais, français ou italiens. Même l’exil devient difficile car la concurrence est de plus en plus féroce dans le championnat français. Désormais ce sont les Géorgiens, Tongiens, Néo-Zélandais qui s’y bousculent… Et le pire est encore à venir, la France ne voit plus l’intérêt d’affronter, chaque année, une équipe aussi faible. Si pour concurrencer les compétitions anglo-saxonnes, la France décide de lancer, en 1995, une nouvelle compétition avec l’Argentine, l’Italie et la Roumanie, cette Coupe latine fait long feu et ne sera disputée qu’à deux reprises. En 2001, la Roumanie touche le fond en s’inclinant 134 à 0 à Twickenham contre l’Angleterre.
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Désormais, l’équipe de Roumanie doit se contenter d’un tournoi B qu’elle dispute avec la Russie, la Géorgie, l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne. Si les Roumains ont longtemps dominé cette deuxième division européenne, ils doivent désormais jouer les seconds rôles derrière la Géorgie, puissance montante du rugby de l’est et qui aujourd’hui lui fait de l’ombre. Les deux pays organisent d’ailleurs tous les ans un tournoi international concurrent entre des équipes de second rang : la Tbilissi Cup (Géorgie) et l’IRB Nation Cup (Roumanie).
Phobie de l'avion
Difficile de croire à un exploit à la japonaise pour cette équipe lors du mondial anglais. Là où le rugby japonais ne cesse de progresser, le rugby roumain abandonné par son grand frère français se démène pour continuer à vivre sur la scène internationale. Contre 13 000 au début des années 80, la fédération roumaine de rugby ne compte plus que 8 000 licenciés. Dans le XV de départ aligné ce soir contre la France, 9 joueurs évoluent au pays, 5 en France et 1 en Angleterre, l’arrière Cătălin Fercu (photo AFP). Ce dernier, meilleur joueur roumain, n’avait pas pu participer à la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, il y a 4 ans en Nouvelle-Zélande. Phobique de l’avion, il n’avait pas fait le voyage. Cette année il sera là. Jouant au Saracens de Londres, il n’a pas eu à faire le déplacement. Mais difficile de croire que ce sera suffisant.