Tous les quatre ans, la même chanson : le monde du rugby redécouvre les charmes des «petites» nations, s’extasie sur les facilités gestuelles des joueurs des îles du Pacifique (Tonga, Fidji, Samoa) et se promet de ne pas oublier que le cœur du jeu bat aussi loin des autoroutes du Tournoi des six nations (au nord) et du Rugby Championship (ex-Tri-nations, au sud). Quelques résultats viennent crédibiliser la mondialisation à venir - les Tongiens qui tapent les Bleus 19-14 en 2011, le Japon qui ridiculise les Springboks sud-africains 34-32 cette année - et la fédération internationale en profite pour soigner la vitrine et vendre la belle idée d’une égalité des chances. Qui n’existe pas. Le calendrier resserré favorise les grandes nations, quand bien même tout le monde (et pas seulement l’Uruguay, la Géorgie ou les Tonga) a eu droit à deux matchs en cinq jours lors de cette édition : ce rythme oblige les équipes à solliciter leurs remplaçants, et les Fidjiens ou les Samoans ont une équipe solide, pas deux. Au-delà, rien ne bouge jamais entre deux rendez-vous mondiaux. Les gros jouent entre gros, les petits entre petits. On continue à parler d’une franchise pour les îles du Pacifique que l’on intégrerait au Super Rugby du Sud - avec les équipes sud-africaines, néo-zélandaises et australiennes - mais tout le monde sait qu’elle ne verra jamais le jour.
Certes, les Argentins intégreront cette même compétition en 2016, au prix d’exploits répétés et d’une médaille de bronze mondiale en 2007. Le Japon l’accompagnera : ses droits télé pèsent lourd, plus lourd que la tradition autrement profonde des joueurs fidjiens ou samoans. Historiquement, ces derniers ont bien une solution : l’exil. Ils se sont exportés sur tous les terrains du monde, faisant même craindre à des pays européens la disparition de joueurs à certains postes (pilier gauche, ailier pur) puisque ces joueurs du Pacifique trustent les places dans les équipes de l’élite. Et c’est là que le piège se referme : trois ans de résidence dans un pays suffisent à prétendre à être retenu, les pays d’accueil n’ayant plus qu’à piocher chez les exilés. Noa Nakaitaci à l’aile du XV de France, Manu Tuilagi longtemps au centre du XV de la Rose (son frère Alesana porte, lui, les couleurs samoanes), une affaire qui roule. Parangons de vertu pour tout le monde, les All Blacks ont montré le chemin : de Jerry Collins à Jonah Lomu en passant par Waisake Naholo, la fédération néo-zélandaise a méthodiquement organisé la ponction des meilleurs joueurs du monde au fil du temps, offrant infrastructures, cursus universitaire et sécurité financière à ses expatriés. Qui, même quand ils ne portent pas le maillot de leur pays d’accueil, doivent parfois ruser pour revenir au pays : les clubs qui les payent font pression pour qu’ils lâchent leur carrière internationale. Les Fidjiens, Tongiens et Samoans ont plongé durant ce Mondial : trois victoires en dix matchs. Dont acte.