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Libération
Éditorial

Platini trahi par ses faiblesses

publié le 11 octobre 2015 à 19h26

La scène remonte un peu : le championnat d'Europe 2008, où un Michel Platini, président de l'Union européenne de football (UEFA) depuis un an, discute avec des arbitres lors d'un pince-fesse : «Ah bah vous, les gars, vous ne pouvez pas tout voir sur un terrain. Un type qui voit tout sur le terrain, il est numéro 10 [celui de Platini lors de sa brillante carrière de joueur, ndlr], pas arbitre.» Le tout dit avec humour, mais bon… On écarte l'aveuglement : va pour l'orgueil. Depuis deux semaines que Sepp Blatter lui a glissé une affaire - ou supposée telle - sur le dos, les proches conseillers de Platini s'arrachent les cheveux. Tous ou presque avaient flairé le piège : non pas la justice suisse (débattre sans fin du prix payé par Blatter à Platini pour le travail effectué entre 1999 et 2002 est une chose, condamner le Français au pénal en est une autre) mais le comité d'éthique de la Fédération internationale (Fifa), organe bidon ayant servi historiquement à enterrer les affaires gênantes pour l'instance et bannir les opposants de Blatter. Dès lors, selon ces mêmes conseillers, il fallait que Platini «dézone» : passer par le monde extérieur (c'est-à-dire la presse) pour dénoncer le piège à rat dans lequel Blatter, qui a déclaré en privé vouloir «le scalp» (sic) du Français, souhaitait enfermer son ancien protégé. Il aurait ainsi affaibli la commission d'éthique et décrédibilisé la sanction de quatre-vingt-dix jours de suspension - qui l'empêchera en principe de postuler à l'élection présidentielle de la Fifa, la date limite de dépôt des candidatures étant le 26 octobre - que Blatter lui a mis dans les gencives jeudi. Les quatre-vingt-dix jours de suspension ramassés également par le Suisse lui permettant à la fois de sauver les apparences et de prendre des vacances bien méritées, après avoir démoli tout ce qui ressemblait à un opposant. Platini n'en a rien fait. Il a joué le système, rassurant même des proches - «La Fifa ne me fera pas ça à moi» - et dégainant un communiqué en forme de rupture avec l'instance, bien trop tard, le jeudi matin, deux heures avant l'annonce des sanctions. En soi, l'attitude de Platini est le véritable cœur du problème. Pour certains, il a commis une sorte de péché d'orgueil, surestimant sa stature d'homme providentiel (qui à la tête de la Fifa sinon lui ?) et vivant dans l'idée qu'il réussirait là comme il a réussi ailleurs. Son indépendance d'esprit proverbiale lui commandant, par ailleurs, de ne pas donner crédit à des avis n'allant pas dans le sens de sa lecture de la situation et de son instinct. Il y a une autre piste. Pour crapahuter dans les instances depuis 1998, Platini est un homme de système ne s'imaginant pas manœuvrer (même ponctuellement) en dehors. Le président de l'UEFA pouvant d'ailleurs plaider la fidélité et le légalisme envers ce monde du foot qu'il aura traversé sous toutes les étiquettes (joueur, entraîneur, conseiller, organisateur de compétition, élu) depuis un demi-siècle. Quelle que soit l'hypothèse retenue, Platini a péché par nature : sa personnalité dans le premier cas, son appartenance dans le second. Et si ces traits constitutifs lui coûtent cher aujourd'hui, il faut aussi se souvenir qu'ils auront fait sa force tantôt. Il y a quelque chose d'inéluctable, peut-être de tragique derrière les récents événements : si l'on peut battre les autres, on a plus de mal à se dominer soi-même. Pour avoir toujours poussé ses adversaires à la faute en spéculant sur leurs faiblesses, c'est quelque chose que Blatter a intégré depuis le premier matin.