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Libération
Décryptage

Le bateau qui vole à voile

La transat Jacques Vabre, qui part dimanche du Havre, voit l’apparition d’une nouvelle génération de trimarans géants. Anatomie de l’un d’entre eux, «Macif», skippé par François Gabart.
Vue en 3D de l’Ultime Macif. (Images Isabelle Keller Design. JB Epron Design)
publié le 23 octobre 2015 à 19h46

Avec son trimaran Macif, François Gabart ouvre la voie à une génération de multicoques géants qui vont propulser la course au large dans une nouvelle dimension. Jusqu'à présent, les marins solitaires comme Françis Joyon ou Thomas Coville se lançaient autour du monde en mode record. Ce qui s'annonce à l'horizon 2019 est encore plus stimulant : il s'agit de rien de moins que d'un Vendée Globe en multicoques. Ce qui sera un exercice de haute voltige sur des engins qui devraient monter sur leurs foils pour un «vol» marin d'un mois et demi. Bon courage aux pilotes en solo ! Avant le départ de la transat Jacques Vabre, dimanche au Havre, qui constituera un premier test grandeur nature, Gabart, qui sera épaulé par Pascal Bidégorry, présente les innovations de son Ultime.

Epiques Foils

Les foils sont la dernière frontière à franchir par les architectes. Ces plans porteurs sont des sortes d'ailes profilées ou de dérives angulées. Elles permettent aux bateaux de s'élever au-dessus des flots. Dans le milieu nautique, Icare est en train de faire la peau à Archimède. Les monocoques du Vendée Globe se parent de «moustaches» qui sortent une partie de la coque hors de l'eau. Les catamarans de la Coupe de l'America planent déjà à la journée. Et les Ultimes se dotent évidemment eux aussi de ces patins ascensionnels. Sauf qu'à 40 nœuds de vitesse, sur trois coques et en solo entre les icebergs des mers du Sud, cela peut devenir très, très acrobatique. Gabart y va doucement. Pour la Jacques Vabre, par manque de temps, il n'aura qu'un seul foil qui sera positionné sur le flotteur droit, car les vents dominants soufflent babord amures. Sur Macif, la forme de cet appendice est dite en «tick», à l'image de ces croix dont on coche les «to-do-lists».

Cabine avec vue sur mer

L'innovation la plus visible concerne la cellule de vie. Longtemps, les marins avaient un poste de veille plus ou moins protégé dans le cockpit. Et ils rentraient dans une cabine en contrebas pour faire la navigation et la cuisine. Pour dormir, ils s'allongeaient sur une couchette en intérieur. Tout cela est loin derrière eux. La taille des Ultimes permet d'avoir le lieu de vie à hauteur de pont, derrière le bras de liaison arrière pour avoir vue sur les réglages des voiles et l'état de la mer. Sur les Ultimes de la génération précédente, la cabine se situe devant le poste de manœuvre. Sur Macif, Gabart a installé son siège inclinable, ses instruments de navigation, son réchaud et le pouf qui lui servira de couchette derrière les cinq winches, eux aussi protégés des embruns, et qui permettent d'envoyer des voiles et de prendre des ris sans se mouiller. Ce lieu très reculé est surnommé la «cabane». Il n'est pas prévu qu'il descende dans la coque centrale.

Des safrans stables

Les trois «pelles» qui permettent de diriger le bateau, une sur chaque coque, sont munies de plans porteurs. Le safran central comporte un «t» à la base. Cela permet de stabiliser le bateau et d’enfoncer et de lever l’étrave.

Un mât pour l’équilibre

Le mât-aile reste raisonnable en hauteur. Il plafonne à 35 mètres. Il s’agit d’éviter les risques de surpuissance qui compliquaient la maîtrise des trimarans de 18 mètres. Grâce à neuf vérins, le mât bascule d’avant en arrière pour éviter l’enfournement et latéralement, un peu comme en planche à voile, pour aider à la sustentation (contrepoids par rapport au vent) du bateau.

Des postes de barre à protéger

En solitaire, on barre le moins possible. Le pilote automatique est l'«équipier» primordial sans lequel rien n'est imaginable. Sur la longue durée, le «pilote» doit barrer mieux que le skippeur pour décharger ce dernier de cette tâche essentielle. Malgré tout, Macif possède deux postes de barre. Ils sont décentrés afin de pouvoir voir les vagues venir. On s'y tient debout pour dominer les alentours et amortir les chocs avec les jambes. Pour l'instant en phase d'expérimentation en Atlantique et en duo, les protections sont minimales. Il est probable que les barres à roues seront, elles aussi, recouvertes par une carapace à hublots vitrés, tout comme le poste de manœuvre.

Des longueurs mesurées

Macif mesure 30 mètres. Il est en dessous de la longueur maximale (32 mètres) autorisée par la nouvelle jauge des Ultimes. Celle-ci impose des contraintes minimales (longueur, largueur, tirant d'air, moteur de secours) afin d'encourager la créativité des concepteurs. Gabart a fait appel au cabinet VPLP, spécialiste du secteur. Il décrit ainsi la philosophie maison : «Macif est un bateau léger et large, de taille raisonnable. Il est réactif, accélère et décélère facilement.»

Des voiles de 650 m²

Macif peut envoyer 650 m² de voilure. Il possède un plan de voilure comparable à celui de ses rivaux, la différence de puissance se faisant sur la légèreté de la construction. La grand-voile pèse 240 kilos. Il y a ensuite un gennaker pour les petits airs et le vent arrière. Les trois focs (génois, solent et trinquette) sont montés sur des emmagasineurs et se déroulent à la demande.