Menu
Libération
Finale

Mondial de rugby : quatre duels pour un triplé

La Nouvelle-Zélande et l’Australie peuvent devenir les premières nations triple championnes du monde ce samedi, à Twickenham. Pour dynamiter l’adversaire, chaque camp a des munitions de calibre.
Le capitaine Richie McCaw et ses All Blacks à l'entraînement, à Swansea, le 15 octobre. (Photo Gabriel Bouys. AFP)
publié le 30 octobre 2015 à 19h36
(mis à jour le 30 octobre 2015 à 23h32)

Du rab pour les gourmands. Ce samedi après-midi, la Nouvelle-Zélande affronte l’Australie pour une finale de Coupe du monde s’annonçant gargantuesque. Les All Blacks, tenants du titre, tournent à une moyenne de 6 essais par match, contre 4,33 pour les outsiders, qui ont proposé une orgie de rugby face à l’Argentine en demi-finale avec une audace assez bluffante à ce niveau d’enjeux. L’altitude des sommets ne devrait pas asphyxier les vélléités des deux plus belles équipes du moment, et la perspective d’une troisième couronne mondiale inédite, pour chacune des deux équipes, rend cette querelle de voisinage encore plus attrayante. Traité de «ver» par une presse australienne en verve, le capitaine des All Blacks Richie McCaw luira une dernière fois. A la limite du hors-jeu, évidemment, on ne se refait pas à 34 ans, après 130 victoires en noir, 27 essais, 66 arbitres enrhumés et 1 362 rucks salopés.

En troisième ligne, Richie McCaw face à la horde sauvage

En noir, la meilleure troisième-ligne de ces dernières années, trois gaillards (Richie McCaw, Kieran Read, Jerome Kaino) qui pourraient jouer en tongs tant ils sont sûrs de leurs forces. En jaune, la horde sauvage, trois déments qui courent et plaquent dans tous les sens, créant l'une des plus jolies sensations de cette Coupe du monde. «Franchement, je ne les attendais pas à ce niveau, confie Imanol Harinordoquy, l'ancien colosse du XV de France. Scott Fardy a été à un niveau monstrueux sur la demi-finale, David Pocock (photo AFP) a remué de la barbaque pendant toute la rencontre et gratté quatre ballons aux Argentins, et Michael Hooper a toujours une activité de folie.» Avec leur dégaine de groupe grunge du Queensland (barbe broussailleuse, regard habité ou cheveux longs), les compères ont réussi un tour de force : jouer sans numéro 8 (troisième-ligne-centre), un des postes-clé du rugby. Harinordoquy détaille : «En alignant trois flankers, ils ont moins de joueurs qui portent le ballon, et peuvent avoir un déficit en touche ou en mêlée. J'avais déjà vu ça, mais ce qui est rarissime, c'est de mettre trois joueurs qui ont un profil quasi identique. Voilà une belle inspiration de Michael Cheika, le coach australien Avec eux, il a construit un pack de combat, plus agressif, ce qui n'était pas forcément le point fort de l'Australie.»

A 35 ans, le Basque vit ses derniers mauls avec le Stade Toulousain et il est ravi de voir la finale basculer dans cette zone : «Les troisième-ligne des deux camps vont donner le tempo, on va voir qui prend l'ascendant, gratte ou ralentit les ballons adverses. Les Australiens essayeront de contraindre les Néo-Zélandais à consommer de nombreux joueurs dans les zones de rucks, joueurs qui finiront par leur manquer sur les autres phases. Je pense que les Blacks savent qu'ils vont tomber sur un os et ont bossé principalement sur ce point toute la semaine.» Ils pourront compter sur un Richie McCaw impeccable à l'heure d'honorer sa 148e sélection, sa 111e comme capitaine. Celui qui a «une thèse dans le pourrissement des rucks», dixit Harinordoquy, réalise une solide tournée d'adieux : «Il s'est bien adapté aux nouvelles règles, il est beaucoup plus vite sur ses appuis, n'est pas souvent pénalisé, il a fait une perf assez immense contre les Sud-Africains. Ses plaquages sont bien sentis, il est toujours là pour mettre les mains sur le ballon et gagner les deux secondes qui permettront à son équipe de se replacer défensivement.»

A l’ouverture, Carter l’omniscient vs Foley le bon élève

Le vétéran Daniel Carter (photo AFP)affronte un jeune premier, encore un. A Cardiff, après avoir désossé le XV de France, offrant de quoi becqueter à toute sa ligne d'arrières, on l'a vu se pointer dans une chemise blanche immaculée, quelques rides naissantes sur le front et des certitudes encore plus marquées. « Il est incroyable, tu as l'impression qu'il joue comme ta grand-mère, s'emballe Yann Delaigue, ancien ouvreur tricolore. En fait, il est dans l'analyse permanente, il regarde comment se positionne la défense adverse et trouve la faille. Il accélère deux ou trois fois par match et il est alors terrible d'efficacité. Vous avez vu comment il a mis Pascal Papé sur le cul avant de faire une chistera pour Julian Savea ?» A 33 ans, le corps de Carter grince depuis des saisons, la critique néo-zélandaise, intransigeante, le mitraille plus facilement. Sur la phase de poules, il a fait grogner quelques observateurs. «Alors qu'il appliquait juste les consignes, confie Andrew Mehrtens, l'ancien ouvreur blondinet des Blacks, en référence aux mots d'ordre du staff de ne pas jouer au pied. Mais quand il reprend ses aises, il est fantastique de précision.» A l'image de ce drop cinglant en demie.

Face à lui, Bernard Foley (photo AFP), auteur de la prestation la plus magistrale du tournoi, 28 points dont deux essais sublimes face à l’Angleterre (33-13).

«Il a fait un début de Coupe du monde tonitruant,

juge Delaigue.

Puis il est passé à côté en quarts, avant de se reprendre en demie. Sa passe tendue de 25 mètres pour Ashley-Cooper sur le deuxième essai australien, pfff, rien à dire, c’est juste parfait.»

Surnommé «Iceman», pour son côté carré et ses pénalités enquillées à la chaîne, Foley s'inscrit parfaitement dans le projet australien, porté par le clinique Stephen Larkham, champion du monde en 1999 et coach des lignes arrières. «C'est du rugby récité, mais terriblement bien, sourit Delaigue. Foley s'adapte aux schémas, et y rajoute une touche d'intuition quand il faut.» Pas sûr que l'omniscient Carter ne le voie pas venir à cent bornes.

A l’aile, Savea le fonceur vs Mitchell le revenant

Quand ils reçoivent le ballon, il est souvent trop tard pour l'adversaire. Le All Black Julian Savea (8 essais déjà pendant cette Coupe du monde) et l'Australien Drew Mitchell (4 pions, photo AFP) touchent trop peu de munitions pour gâcher la moindre cartouche. «Drew, c'est un joueur qui «pige» tout, confie Pierre Mignoni, son ancien entraîneur à Toulon, aujourd'hui à Lyon. Il ne perd quasiment aucun duel dans l'air ou sur les plaquages, il a un bon timing, peut se servir de son pied gauche pour offrir une solution de dégagement. Savea est plus dans la force pure, la puissance, Drew dans l'évitement. Et dire qu'il y a quelques mois encore, Matt (Giteau) et lui avaient fait une croix sur la sélection…», confie Mignoni. Le sélectionneur des Wallabies, Michael Cheika, a poussé la Fédération à aménager le règlement à propos des internationaux pour accueillir les deux exilés costauds. Pertinent.

Pour freiner Savea, il faut si possible se baisser, viser les jambes et prier pour que le soutien arrive vite. «Il rappelle Jonah Lomu, confie Emile Ntamack, qui a vaincu quatre fois la légende néo-zélandaise, en six confrontations. C'est flatteur pour Savea, il y a une petite ressemblance. Il est plus technique, plus complet que Lomu, il a des déplacements plus variés. Après, Lomu était tellement hors normes… Notre stratégie consistait à l'empêcher le plus possible de toucher le ballon et, s'il le recevait, de faire en sorte qu'il n'ait pas trop pris d'élan. Aujourd'hui, un plan anti-Savea serait ridicule, car chaque All Black est dangereux.»

Au centre, Nonu le bulldozer vs l’impeccable Giteau

Le premier, Ma'a Nonu, se cache sous sa capuche de sweatshirt dès qu'il le peut, cherchant l'ombre et l'anonymat. Le second, Matt Giteau raconte sa vie sur Twitter, des corn-flakes du matin aux bières de l'après-match. «Matt, c'est un gros bosseur, mais il décompresse dès que la séance d'entraînement est terminée», raconte Bryan Habana, son coéquipier à Toulon, encore sidéré par l'aisance de l'Australien en troisième mi-temps. Giteau se lâche plus encore sur le terrain, alternant jeu millimétré et percées audacieuses pour briser les coffres-forts adverses. «Il prend moins de risques avec les Wallabies qu'avec le RCT, détaille le centre Maxime Mermoz, son partenaire sur la Rade. C'est un deuxième n° 10, il trie les ballons, il déplace le jeu de son équipe. Avec lui, tu sais qu'il va y avoir du jeu, que tu vas pouvoir demander le ballon. Il finit toujours par créer. Soit pour lui, soit pour nous, ses coéquipiers, une intervalle va se libérer.»

Mermoz n'est pas au bout de son émerveillement. Dans quelques semaines, il sera associé à Ma'a Nonu (Photo AFP). ex-apôtre de la destruction, devenu un maître de la discipline. «Il a trouvé le parfait équilibre entre la puissance et la technique au service du collectif, dit Mermoz. En Super 15, je l'ai vu faire 9 passes sur 10 ballons joués, car le jeu l'imposait. Il ne joue plus pour lui, on le voit déplacer le ballon avec justesse, vers les bonnes zones, prendre des initiatives, faire des choix cohérents. J'ai hâte, ça va être riche d'enseignements.»