Le meilleur pour la fin. Les All Blacks ont parachevé, samedi, leur troisième symphonie mondiale en dominant l’Australie (34-17). On les disait friables moralement ? Parfois accrochés, par l’Argentine, par l’Afrique du Sud ou par leur finaliste de voisin, ils n’ont pas douté, trouvant toujours des solutions, à l’image de Dan Carter ou Richie McCaw. Certains voulaient envoyer les deux stars chez les vétérans, ils ont répondu avec un QI-rugby qui vaut la fougue de la jeunesse. A l’exception de la France, la majorité des nations a montré une intelligence collective subtile, favorisée par l’arbitrage souvent pertinent. Même si le prix des places finira par réserver cette compétition à des «CSP+++», le taux de remplissage des stades (97 %) et les audiences télé ont accompagné ce mouvement vers le haut. Et tout en haut, le ciel est noir, mais dans ce sport, c’est un heureux présage.
Christophe Urios, manager de Castres : «J’ai vu des All Blacks qui étaient en mission»
Christophe Urios, le manager de Castres, a vu sa troupe sombrer samedi à Clermont (42-13). Rien de mieux qu’une finale de Coupe du monde pour annihiler la gueule de bois :
«La finale est un résumé du parcours des All Blacks. Ils ont complètement dominé leur sujet. Ils ont défendu très dur autour de la 60e minute de jeu, avant de finir par contrer l'Australie. Leur rencontre la plus compliquée restera la demi-finale, face à l'Afrique du Sud, dans des conditions difficiles. Mais, une semaine après avoir déroulé parfaitement leur rugby contre la France en quart, ils se sont adaptés avec un jeu au pied intense et une pression folle, notamment de l'arrière Ben Smith.
«Les Blacks, ce sont des caméléons, ils changent de stratégie mais finissent toujours par imposer leur jeu. Un exemple : McCaw. Visé par les nouvelles règles sur les rucks, physiquement châtié par les adversaires, il s’est renouvelé finement, moins dans le cœur du jeu, mais toujours dans le combat et le rassemblement. Les drops de Carter, c’est du cousu main, ils reflètent la griffe néo-zélandaise, ils savent exactement ce qu’ils veulent faire. Avant le business et l’exploitation de la marque All Blacks, il y a une vraie homogénéité du projet sportif, sur quatre ans : un joueur préservé toute une saison pour être frais ; une phase de poules sans jeu au pied pour peaufiner la défense, ce que j’appelle se mettre un gage. Cela demande une réelle humilité, des leaders qui partagent la croyance du staff dans ce qu’il fait.
«On parle de leurs immenses qualités techniques mais, par rapport à 2011, j’ai surtout vu des All Blacks qui étaient en mission, habitués à travailler sous la pression et à se remettre en question, succès après succès. Leur patrimoine et leur culture de l’exigence transpirent sur le terrain. Même l’occupation de leur temps libre, entre le repos, la tournée des écoles de rugby et les actions caritatives, est parfaitement rodée et pensée.»
Mathieu Blin, manager d’Agen : «Une véritable progression des petites nations»
Mathieu Blin, le manager d’Agen, est convaincu que le World Rugby peut se servir de cette Coupe du monde pour améliorer la représentativité de son sport :
«Il n’y a pas eu un seul match où on s’est fait chier. Franchement, cette Coupe du monde valait le coup. On a vu des équipes menées de 15 ou 25 points après une cinquantaine de minutes et qui arrivaient, par leur comportement, à nous procurer des émotions. Je pense à la Géorgie face à la Nouvelle-Zélande, notamment. Le Japon qui remporte trois matchs, la Géorgie qui bat les Tonga, mais aussi le Canada, les Etats-Unis, la Roumanie… On a vu des équipes extrêmement structurées, avec un fort développement individuel à des postes clés, la première ligne, la charnière…
«Les petites nations ont réussi, pour la première fois, à aligner des séquences offensives très longues. Qu’elles aient une défense dense et renforcée, ce n’est pas une surprise, mais les voir beaucoup moins souffrir dans la construction répétée, cela démontre une véritable progression. Le stéréotype du match serré (occupation, pression, défense et jeu au pied) ne disparaîtra jamais, mais il a été chamboulé par la volonté de déplacer le ballon, de redistribuer par zone, par bloc. On a vu qu’une dizaine d’équipes pouvaient prétendre aux quarts de finale, et c’est assez énorme pour notre sport.
«Maintenant, pour que le fossé se réduise encore, le World Rugby doit allouer des fonds pour créer des championnats locaux plus forts et organiser des rencontres internationales plus récurrentes (tournoi des Six nations B, Coupe du Pacifique, Tournoi nord ou sud-américain). L’Argentine, sur une vingtaine d’années, a combiné une structuration interne et un développement international grâce à la volonté de la fédération internationale et son intégration dans le Four Nations. Il faut poursuivre dans ce sens, la redistribution des richesses est optimisable, une meilleure solidarité est possible.»
Vincent Clerc, ailier du Stade Toulousain : «Les équipes ont privilégié le jeu le plus plaisant»
Il s’est ré-ga-lé. Vincent Clerc, l’ailier du Stade Toulousain (34 ans, 67 sélections, 11 essais en Coupe du monde), le dit avec enthousiasme :
«Ce fut une superbe édition, sans doute la plus belle de l’histoire. Le temps était idéal pour jouer. Grandes comme petites nations ont privilégié le jeu le plus plaisant. Mention spéciale aux Japonais, qui ont éclairé cette Coupe du monde et qui pourraient se mêler au haut du panier dans quelques années, et aux Argentins, qui ont fait de belles choses. Depuis plusieurs saisons, beaucoup de managers planchent sur un rugby moins restrictif, associant spectacle et efficacité. Toulon, Toulouse ou Clermont proposent ce type de jeu en Top 14, mais le XV de France a préféré une autre idée. Les Blacks maîtrisent ce rugby ambitieux et cette multiplication des temps de jeu depuis longtemps. Carter, McCaw, Nonu au sommet de son art, m’ont fait rêver.
«Mais j’ai eu des coups de cœur pour deux jeunes ailiers ! Le premier, c’est l’Argentin Santiago Cordero, j’ai vraiment aimé son panache. Il a résumé le jeu des Pumas. Le second, c’est Nehe Milner-Skudder, auteur du premier essai des Blacks en finale. Ils apportent une vision, avec leur gabarit moins «gros», plus normal. Ils sont vifs, participent beaucoup plus au jeu. Ces profils font plaisir, rappelle aux jeunes que ce sport n’est pas réservé aux «Golgoths», l’image longtemps véhiculée par les Anglais et les Sud-Africains. Pour un puissant Savea, il y a un Milner-Skudder, et une idée forte : la technique individuelle a plus que jamais sa place à côté du travail athlétique.»
Bernard Laporte, manager du RC Toulon : «Bluffé par la qualité des coups de sifflet»
Il rappelle au sortir de la douche. Entre ses obligations varoises, celles de consultant télé et sa campagne pour la présidence de la Fédé française, il a un agenda de ministre, mais prend le temps de glisser quelques mots doux sur des hommes en noir qu’il a malmenés autrefois :
«La grande réussite de cette Coupe, c’est l’arbitrage. J’ai vraiment été bluffé par la qualité des coups de sifflet. Les arbitres ont bien parlé aux joueurs, ont fait lâcher les mains du ballon sur les zones de rucks, sanctionné les plaqueurs trop lents à se dégager, il y a eu une cohérence globale qui a favorisé le jeu offensif. Ce fut encore plus flagrant sur les mêlées, ils n’ont rien laissé passer, ont frappé fort immédiatement. Quelle différence avec le Top 14, où l’arbitre fait parfois refaire cinq ou six fois des parodies de mêlée, et où la prime est donnée aux tricheurs.
«Bien sûr, il y a eu des erreurs, comme celle du Sud-Africain Craig Joubert qui prive l’Ecosse d’une demie. Mais l’erreur individuelle existera toujours. Ce qui me gêne, c’est le manque de cohérence, et là-dessus, rien à redire : les arbitres ont été efficaces, réactifs, dans l’esprit du haut niveau, et les joueurs au diapason, on l’a vu avec Richie McCaw, qui a intégré les nouvelles règles depuis longtemps. Le spectacle, à l’arrivée, est grandiose. Les arbitres français, Romain Poite et Jérôme Garcès, ont été excellents, Garcès aurait mérité d’arbitrer la finale. Le problème de l’arbitrage vidéo a été bien réglé. Sur les premiers matchs, la vidéo a pris trop de temps et de place, la durée des rencontres était bien trop longue. Les arbitres ont rectifié le tir, et ça n’a pas pollué la suite des débats.»
Emile Ntamack, entraîneur des arrières de Bordeaux-bègles «Le XV de France, seul bémol de ce Mondial»
L’ex-international était l’adjoint de Marc Liévremont en 2011. Désormais entraîneur des arrières de l’Union Bordeaux-Bègles, il voit les Bleus stagner, voire régresser :
«Il y a quatre ans, on parlait déjà d’aménager le calendrier pour avoir des joueurs plus frais. En 2015, les chantiers se sont multipliés pour la Fédé. Les Bleus ont été le seul bémol de cette édition. Les contrats fédéraux sont intéressants, mais il faudrait avancer sur la forme qu’ils pourraient prendre. L’idée d’un Top 12, ou d’une seule montée-descente, est aussi à creuser. A l’avant-dernière journée du championnat, des clubs ne savent pas s’ils vont être relégués ou se qualifier. La pression est infernale et n’incite pas à tenter des choses. La plupart des entraîneurs se serrent la ceinture, prônent un jeu hyper-restrictif. On peut changer ça. Les équipes de France de jeunes me semblent en berne. Il faut des axes de travail pour les joueurs de 15 à 25 ans. Les offloads néo-zélandais, ce ne sont pas simplement des passes après contact, c’est aussi un style de jeu. Yannick Jauzion était magistral dans ce domaine. Ce n’est pas une question de réservoir français asséché. On propose du rugby à VII à nos espoirs pendant… trois semaines. Mais mettons-les au VII pendant six mois, qu’ils bouffent du ballon, du duel ! Le vivier est là, il faut l’exploiter. Nos moins de 20 ans ont aussi été corrigés par les Blacks lors de la Coupe du monde de leur catégorie. On est battus sur un certain jeu. Alexandre Flanquart, deuxième-ligne des Bleus, n’est pas voué à être une poutre qui ne touche pas le ballon, mais peut posséder tous les bagages, dans la technique et dans le combat, pour avoir un grand futur.»