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Libération
La quille

François Gabart, vers la régate ultime

Le vainqueur de la Transat Jacques Vabre préfigure par son approche du large l'avènement de courses autour du monde en solo sur des multicoques géants.
«Macif», le maxi-trimaran de François Gabart et Pascal Bidégorry, à son arrivée à Itajai, au Brésil, le 7 novembre. (Photo Jefferson Bernardes. AFP)
publié le 8 novembre 2015 à 16h17

ll y a chez François Gabart une façon d’être souriante et détendue qui cache une connectique ultra sophistiquée et un sens de l’évolution des choses parfaitement anticipateur. Le tout frais vainqueur de la Transat en double Jacques Vabre en duo avec Pascal Bidegorry n’est pas du genre à rester les deux pieds dans le même sabot. Sans rouler tambour, il déplace les lignes de son sport.

C’est dès le lendemain de sa victoire dans le Vendée Globe début 2013, qu’il passe la surmultipliée. Il vient de faire triompher sa jeunesse dans la classique épreuve autour du monde. S’il repart sur le Vendée 2016, il peut au mieux se répéter, au pire régresser. Il veut du nouveau. Il opte pour un multicoque géant, un Ultime.

Le Vendée se dispute sur des monocoques de 18 mètres. Après naufrages et retournements, la jauge a évolué et les bateaux ont été fiabilisés. Mais les avaries éprouvées lors de la Jacques Vabre actuelle par les prototypes conçus pour le Vendée 2016 prouvent que cela ne sera pas forcément une promenade de santé. Si le risque reste fort de s’attaquer aux mers du Sud, le Vendée est plus perçu comme une régate que comme une aventure. Il y a une épreuve extrême dont a toujours rêvé le monde de la voile française qui n’arrive pas à devenir un sport comme les autres et qui aime toujours enfiler les cirés bariolés d’inconnu : faire le tour de la planète en solitaire mais sur des multicoques géants.

 Terres habitées à des années-lumière

La différence entre un mono et un multi, c’est que si le mono se couche mât dans l’eau, sa quille lui permet de se redresser. Si un multi chavire, il reste à l’envers. Ce n’est pas dramatique quand on navigue en Atlantique où les cargos passent en procession et où on vient vous hélitreuiller rapidement. Cela peut être rédhibitoire dans les «white zones» entre Nouvelle-Zélande et Cap Horn où les terres habitées sont à des années-lumière.

Il y a déjà eu bien des marins à partir en solo autour du monde en multicoques. Mais partir dans les conditions d’un record n’a rien à voir avec le fait de partir en course. Pour un record, on démarre à son heure, on lutte contre la montre, on est face à soi-même et la concurrence ne vous fait pas prendre de risques exagérés. En course, la donne est évidemment autre. Ces dernières années, Francis Joyon comme Thomas Coville se sont affrontés fréquemment au record autour du monde sur multicoques. Avant eux, il y eut Ellen McArthur, mais aussi Alain Colas, Olivier de Kersauson ou Philippe Monnet.

La décision de Gabart de monter sur multicoque accélère la mise en œuvre de cette évolution. Aujourd’hui, auprès des pionniers Coville et Joyon, se sont déjà portés volontaires Armel Le Cléac’h, Sébastien Josse et Yves Le Blévec. Et il n’est question que de marins qui ont déjà un bateau construit ou un financement assuré, d’autres sont attendus.

Apprendre à «voler»

Ce qui amplifie encore l’intérêt, c’est que les petits marins partent sur des multicoques géants qui, pendant longtemps, ont été menés par des équipages d’une dizaine d’hommes. Le basculement s’est fait quand Franck Cammas a prouvé, lors de la route du Rhum 2010, que des engins puissants, longs d’une trentaine de mètres, pouvaient être menés en solo dans l’Atlantique. Loïck Peyron a remis les points sur les i de la démonstration lors du Rhum 2014. Et, son dauphin, Yann Guichard a fait encore plus fou en menant Spindrift, un trimaran de 40 mètres. Mais passer dix jours sur l’Atlantique n’a rien à voir avec le fait de tourner la planète en cinquante jours.

La régate finale devrait avoir lieu en 2019. Départ et arrivée à Brest, escale et routage interdits. Les nouveaux engins doivent répondre à une jauge minimale. Longueur max : 32 mètres. Largeur max : 23 mètres. Tirant d’air (mât) : 120% de la longueur de la coque. Gabart sera présent. D’ici là, il va multiplier les tentatives de record en Atlantique et autour du monde et s’aligner sur la route du Rhum 2018. Surtout, il va apprendre à «voler», grâce aux foils de sa nouvelle monture dessinée par le cabinet VPLP. Et surveiller les solutions adoptées par la concurrence.