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Libération
Éditorial

De la difficulté d’être mesuré dans l’affaire Benzema

publié le 17 décembre 2015 à 19h36
(mis à jour le 21 décembre 2015 à 16h53)

Evoquer l'affaire de la sextape, les déboires de Valbuena, la mise en examen de Benzema, tout cela est devenu un crève-cœur. A votre droite, les remarques rances sur les amitiés de quartier de Karim Benzema, son train de vie de footballeur, sa nonchalance criminelle, du «racisme latent» pour Franck Lebœuf, expression sur laquelle a rebondi le président de la Fédé, Noël Le Graët, le 9 décembre : «Je peux dire à titre personnel que Benzema est particulièrement maltraité. […] J'entends souvent parler de son "attitude"Le foot est un sport populaire. C'est tout le monde.» A votre gauche, une théorie du complot croisée sur les réseaux sociaux des copains comme dans une classe de troisième du collège Rosa-Luxembourg, à Aubervilliers. Benzema, joueur superbe et jalousé, mais «Arabe de cité stigmatisé», «victime» d'un Valbuena considéré comme une «balance». Interrogé par France Football sur cette vision complotiste, Amir Karaoui, le milieu international algérien du MC Alger, a pris une hauteur inouïe : «De la part des instances du football français, je n'y crois pas. Il y a eu l'affaire des quotas, et il ne s'agit pas de créer un fossé au sein de la famille du football. Sur ses origines algériennes ? J'entends des choses, mais j'ai vraiment le sentiment que ce n'est pas cela. C'est plus un concours de circonstances dans une ambiance post-attentats et montée du FN.»

On aurait aimé que ces mots soient prononcés par Manuel Valls. On aurait aimé que la FFF ne s’excuse pas de prendre des décisions fortes. Cela ne lui a pas posé de problème lors de la virée dans une boîte de nuit parisienne de cinq internationaux espoirs en octobre 2012 : quatorze mois de suspension d’équipe nationale pour Antoine Griezmann, vingt pour Yann M’Vila. On aurait aimé entendre plus souvent des choses simples, que le football nécessite (un peu) de savoir-vivre ensemble. Ou qu’entre entourage abondant (le cauchemar de Didier Deschamps, qu’il a toujours essayé de réguler chez ses joueurs) et déconnexion de la réalité (dérive classique des vedettes, des Rolling Stones à Jean-Luc Delarue en passant par Mike Tyson), Benzema s’est perdu à l’automne 2015.

En juin, à propos de son ami Souleymane Diawara, issu d'un quartier défavorisé du Havre et incarcéré dans une affaire de séquestration, le milieu Didier Digard, un gars de la campagne euroise, nous confiait : «On vient de milieux où on ne porte pas plainte, où on règle tout soi-même. Mais, sans changer, sans se renier, on peut évoluer. Et comprendre avec le temps que la justice française fera plus mal à son ennemi que si on lui avait cassé la jambe.» S'il se mettait à soigner autant ses coéquipiers en dehors du terrain que sur la pelouse, Benzema se réserverait un avenir radieux.