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Libération
Décryptage

Platini : La stratégie de la chaise vide

Le président de l’UEFA, attendu ce vendredi devant la commission d’éthique de la Fifa, a choisi de laisser ses avocats le représenter. Voici pourquoi.
Michel Platini lors d'un match au Danemark en juin 2011. (Photo Darren Staples. Reuters)
publié le 17 décembre 2015 à 19h46

Jeudi, vers 8 h 20, la Mercedes noire du président suspendu de la Fédération internationale de football (Fifa), Sepp Blatter, est entrée directement dans les bâtiments de l’instance zurichoise sans passer par la case presse, la vingtaine de reporters venus couvrir son audition devant la chambre de jugement de la commission d’éthique en étant pour leur frais.

Ce vendredi, dans le cadre de cette même affaire de 2 millions de francs suisses (1,8 million d'euros) versés en 2011 par la Fifa à Michel Platini pour des travaux «prétendument effectués» - selon la terminologie employée par la justice suisse - entre 1999 et 2002, le Français ne prendra même pas la peine du déplacement. Basta : ce sont ses avocats qui seront présents, le président de l'Union européenne de football (UEFA) et ex-vedette du foot tricolore ayant jugé que «le verdict a déjà été annoncé dans la presse par un porte-parole du comité d'éthique» (le Suisse Andreas Bantel expliquant vendredi dans l'Equipe que Platini allait dérouiller) au «mépris de la présomption d'innocence».

Curieuse façon quand même d’affronter son destin : quoi qu’il pense d’un comité d’éthique qui a multiplié les crasses et coups bas depuis trois mois, l’ancien numéro 10 boycotte un organe dépendant d’une Fifa dont il brigue la présidence à l’issue du scrutin du 26 février prochain. Et manque l’occasion de montrer son caractère - un reproche récurrent émanant des élus du foot européen, qui ont porté l’enfant de Jœuf à la tête de l’UEFA en 2007 - et d’utiliser comme tribune les micros qui se seraient tendus vers lui à la sortie. Cependant, à bien y regarder, l’attitude du Français, qui a décidé lui-même de ne pas se rendre à Zurich, relève d’une certaine logique. Parce que le champ de bataille n’est tout simplement pas celui-là.

Que va penser le comité d’éthique de l’absence de Platini ?

Peu importe. Le comité d'éthique se fout du monde depuis des mois et ne le cache même plus : questionnaires impliquant des recherches remontant à une dizaine d'années et devant être remplis en quelques heures, notification d'une condamnation une dizaine de jours après la prise de la décision, enquête à charge et cynisme affiché quand on lui fait remarquer sa mauvaise volonté… Blatter a par ailleurs signalé dans ces colonnes (lire Libération de mercredi) des infractions caractérisées - sur le manque de confidentialité des investigations, notamment - dans sa manière d'opérer. Les avocats du Français en sont donc arrivés à la conclusion suivante : la présence de Platini à cette audition n'aurait rien changé, ni en bien ni en mal, au verdict final. La Fifa a fait savoir que celui-ci tombera «avant Noël» en vertu d'un deal conclu avec le Tribunal arbitral du sport (TAS) en amont de son verdict de vendredi dernier : le TAS ne revenait pas sur la suspension de 90 jours infligée par la Fifa à Platini et, en échange, l'instance zurichoise rendait son verdict rapidement et cessait de jouer la montre dans le but d'empêcher le Français de s'aligner parmi les candidats à l'élection du 26 février. Selon plusieurs sources, le verdict définitif est attendu lundi. La chambre d'investigation du comité d'éthique a recommandé une suspension à vie : sauf phénoménal retournement de situation, Platini va prendre une suspension lourde de toute fonction dans le football - ce qui l'empêchera d'assumer ses fonctions de président de l'UEFA.

Quel est le véritable jeu du Français ?

Sa communication pour le moins minimaliste (deux interviews en tout depuis sa mise en cause dans l’affaire des 2 millions, le 25 septembre) couplée avec sa prestation hautement émotive devant le TAS peut laisser deviner un Platini effondré, laminé par les embûches et l’espèce de no man’s land mental - on ne le condamne ni ne le blanchit, en faisant durer l’incertitude au maximum - où le comité d’éthique l’a enfermé depuis octobre. L’édile a passé pas mal de temps en France récemment : à Paris mais aussi du côté de Montpellier chez son ami Louis Nicollin, ou encore à Nancy où il a croisé ses plus anciennes connaissances.

Et personne n'a vu un type au bout du rouleau : éprouvé certes, mais pas à des années-lumière du type qui arrachait l'UEFA des mains du Suédois Lennart Johansson en 2007 grâce à un mélange de (fausse) candeur, de sens de la situation (l'argent de la Ligue des champions coulait à flots, mais personne n'y comprenait plus rien) et de simplicité programmatique - le foot aux footballeurs. Platini est ailleurs. Il y a d'abord le TAS, qui devrait être saisi par le Français dès la sanction du comité d'éthique énoncé. Mais il faut absolument voir au-delà. Il faut se souvenir que l'affaire des 2 millions n'appartient pas aux instances du foot : c'est à la suite d'un signalement d'une banque internationale que la justice suisse a lancé une procédure d'investigation, l'existence de celle-ci poussant le comité d'éthique de la Fifa à se saisir de l'histoire et à suspendre Blatter et Platini. Dit autrement : le jour où la justice suisse blanchira les protagonistes, l'affaire tombera d'elle-même et on ne voit pas bien à quel titre le comité d'éthique pourrait sanctionner qui que ce soit. Or, depuis dix jours, quelques signaux concernant l'enquête pénale ont fait surface. Un journal suisse a par exemple affirmé avoir mis la main sur une source affirmant qu'au regard de la justice, Blatter «n'aurait rien à se reprocher» : le comité d'éthique a immédiatement ironisé en expliquant que la source en question n'était autre que l'avocat de Blatter, mais il n'est pas interdit de penser que celui-ci peut aussi avoir des infos. D'autant que la proximité de Blatter avec des magistrats zurichois arrosés de places de matchs depuis des décennies - l'affaire est sortie en Suisse en octobre - est proverbiale, le net regain d'un édile revenant depuis quelques jours sur le front médiatique comme on remonte sur scène n'échappant par ailleurs à personne. Sepp Blatter est mis en cause par la justice suisse sur deux points : les 2 millions versés à Platini et les droits télés des Coupes du monde 2010 et 2014 bradés à vil prix (5 % de la valeur réelle, selon la télévision publique suisse alémanique) à son ami d'alors Jack Warner, sous le coup d'une demande d'extradition de la part des Etats-Unis pour blanchiment et corruption. Si Blatter (présumé corrupteur dans l'affaire des 2 millions) est clair, ça voudrait forcément dire que Platini (présumé corrompu) l'est aussi.

Quel est son principal adversaire ?

Celui ou ceux qui manipulent la commission d’éthique : pour agir avec autant de désinvolture vis-à-vis du droit depuis trois mois, ses membres sont forcément couverts. Par qui ? Un homme de la Fifa se sentant pousser des ailes, qui mettrait ainsi discrètement la main sur l’institution ? Blatter lui-même, qui se serait mis dans la charrette pour le seul bénéficie de tuer politiquement un Platini qui l’a trahi ? La justice américaine, qui diligente depuis un cinq-étoiles de Zurich les spectaculaires arrestations des édiles du foot et les demandes d’extradition qui vont avec ?

Difficile à dire à ce stade. En revanche, il y a un ennemi clairement identifié : le calendrier. Si l’on s’en tient au principe - dont Blatter doute - d’une élection présidentielle à la Fifa le 26 février malgré la volée de condamnations et d’arrestations qui s’abattent sur les votants à un rythme quasi hebdomadaire, Platini a un timing extrêmement serré, fruit des semaines que lui a fait perdre le comité d’éthique : condamné lundi et saisissant dans la foulée un TAS qui statuerait sur le fond en urgence, il aurait alors un peu plus d’un mois pour écarter le candidat européen de substitution Gianni Infantino - peu apprécié à l’UEFA, où Platini est encore dominant - et faire campagne dans la foulée.

Dans l’hypothèse où c’est la justice des hommes qui soulagerait Platini, on se régale par avance d’un scénario où il aurait été préalablement condamné par la justice du foot - à quel titre, du coup ? En privé, Platini ne parle plus guère de l’élection du 26. Son plaidoyer du 8 décembre devant le TAS a mis dans la tête des témoins que sa quête était ailleurs : quelque part entre la volonté de recouvrer son honneur et protéger ainsi ses proches, et celle de se garantir une place dans ce foot qui a dirigé sa vie depuis un demi-siècle. En clair, on parle là du Platini président en exercice de l’UEFA depuis 2007, et qui entend le rester. Pas de celui qui brigue, originellement plutôt à contrecœur et contre l’avis des membres de son entourage les plus attentionnés, la présidence de la Fifa au terme d’une course qui ressemble depuis le début à un piège à rat.