Quelles perspectives s'offrent à Zinédine Zidane, intronisé lundi entraîneur en chef du Real Madrid, au regard des superstars du foot qui ont embrassé la carrière de coach ? On s'est penché sur tous ceux qui, comme Zidane, sont devenus coach après avoir été sacrés Ballon d'or. A trois exceptions près : les deux lauréats Lothar Matthäus et Jean-Pierre Papin qui, sans leur faire injure, n'avaient pas le talent stratosphérique d'un Marco Van Basten ou d'un Michel Platini… et Diego Maradona, privé du Ballon d'or par le règlement (seuls les Européens étaient éligibles en son temps) et que nous avons inclus dans la liste.
Oleg Blokhine, le pragmatique
Attaquant tout en vitesse incarnant le jeu particulièrement élaboré du Dynamo Kiev entraîné entre 1973 et 1990 par Valery Lobanovski, le Ballon d’Or 1975 est entré dans la carrière d’entraîneur dans le chaos post-chute du Mur en prenant un poste en Grèce, à l’Olympiakos Le Pirée. Il multipliera les expériences hellènes (AEK Athènes, Ionikos, PAOK Salonique) sans faire de prodige (une coupe de Grèce remportée) mais son statut d’ancien joueur et d’icône de la jeune nation ukrainienne pousse sa fédération à lui confier la sélection en 2003.
Voyant son job sous un angle exclusivement pragmatique, Blokhine fera simple : un bloc défensif discipliné (celui qui s'écarte des consignes disparaît sans procès, vieux reste des habitudes soviétiques) et la star du Milan AC Andreï Chevtchenko seul devant. La méthode paiera un temps (l'Ukraine sera quart de finaliste du Mondial 2006) mais l'équipe déclinera avec Chevtchenko, Blokhine retombant sur ses pieds au FC Moscou puis au Dynamo Kiev. Ses contempteurs ont parfois fustigé l'homme fruste : «Il faut faire jouer des Ukrainiens dans le championnat ukrainien, et non des N'Golo N'Golo qui descendent de l'arbre pour quelques bananes», a-t-il dit un jour. Parallèlement, il mène une carrière politique dans les rangs conservateurs, tout en jonglant avec les étiquettes. Il siège au Parlement (quand il y va) depuis 2002.
Michel Platini, le joueur
Installé à la tête des Bleus (sans passer par la case club, même s’il avait été dirigeant à Nancy) à l’automne 1988 à la suite d’un véritable putsch fomenté par le président des Girondins de Bordeaux d’alors, Claude Bez, l’ancien numéro 10 a longtemps bénéficié des spécificités du job de sélectionneur – très différent de celui d’entraîneur, puisqu’on ne voit les joueurs que quelques jours par mois sans travailler sur le fond – pour durer à un poste qui, de son propre aveu, n’était pas fait pour lui. Pratiquement, Platini voyait son rôle comme une somme de petits «coups» tactiques circonstanciés répondant à la nécessité du jour : pour le reste, il n’allait pas inventer du talent à ses joueurs.
La méthode a payé un temps : les Bleus font un carton plein (huit matchs, huit victoires) en éliminatoires de l'Euro 1992 en Suède. Où l'affaire tourne vinaigre : fatigué par la vie commune qu'il découvre à l'occasion de la phase finale, trop joueur sans doute – son adjoint peaufinait des séances d'entraînement qu'il transformait d'autorité en simple opposition à sept contre sept… où il jouait aussi – et convaincu de sa propre impuissance («le pouvoir va au terrain et l'entraîneur n'y est pas»), il sera éliminé dès le premier tour en donnant le sentiment à ses ouailles qu'elles ne méritaient pas un ex-joueur de son calibre à leur tête. Il n'entraînera plus ensuite.
Hristo Stoïchkov, le révolté
Ailier gauche éruptif et plein de panache, endossant plus souvent qu’à son tour la posture du chantre d’un tiers-mondisme footballistique qu’il juge lésé par des pays plus puissants dont le bras armé serait les arbitres, le Ballon d’or bulgare n’aura pas eu une carrière de coach mémorable. S’occupant d’entraîner les attaquants du FC Barcelone après sa retraite de joueur en 2003, il se voit proposer dans la foulée une sélection bulgare plutôt pauvre en talent.
A part s’embrouiller avec quelques joueurs qui claquaient ensuite la porte de l’équipe nationale avant des rabibochages surmédiatisés, Stoïchkov ne fera pas grand-chose même si ses conférences de presse flamboyantes valaient le coup d’œil. Un 0-0 face à l’Albanie scellera son sort. Depuis, il a vu du pays : un club sud-africain, un autre en seconde division espagnole et une expérience au CSKO Sofia… d’un mois.
Diego Maradona, l’excessif
«A tous ceux qui n'ont pas cru en nous, et pardon pour ces dames qui écoutent, hé ! bien qu'ils me la sucent, et qu'ils me la ressucent.» Intronisé à la tête de la sélection argentine sans expérience ou presque (quelques mois dans un club de troisième zone), Diego Maradona aura donné l'impression durant son court mandat – d'octobre 2008 à juillet 2010 – de tout brûler en même temps : son image, sa santé, ses joueurs et l'équipe dont il avait la charge. Véritable Falstaff des tropiques, marmite dans lesquels bouillonnaient tous les excès, Maradona aura déplacé le centre d'attention du public du terrain jusqu'à sa personne ; transformant ses interventions publiques en véritables happenings où le maître distribuait les bons et les mauvais points, s'offrant de longues digressions sur ses préoccupations du jour ou promettant l'enfer à ceux qui avaient osé douter de son management. Bilan : des joueurs inhibés par sa stature, Lionel Messi (pas un but lors de la phase finale du Mondial sud-africain de 2010, un comble) payant le prix le plus élevé et l'équipe explosant (0-4) en quart de la Coupe du monde face aux Allemands.
Certains de ses anciens coachs parleront de gâchis : Carlos Bilardo a par exemple déclaré qu’aucun des joueurs qu’il a entraînés n’avait la finesse d’analyse et la soif d’apprendre d’un Maradona avec lequel il pouvait discuter tactique et positionnement pendant des heures. Disons que le Maradona de 2010 n’en était plus là. Il a ensuite entraîné l’équipe d’Al Wasl à Dubaï (photo). Son dernier poste, même si le président montpelliérain Louis Nicollin a fait croire qu’il pouvait l’embaucher en 2012.
Marco Van Basten, le résigné
Attaquant sublime de l'Ajax Amsterdam puis du Milan AC, trois fois Ballon d'Or (1988, 1989, 1992), Marco Van Basten a vu sa carrière de joueur écourtée par une cheville droite fragile, douloureuse, plusieurs fois opérée mais jamais réparée. Son dernier match, une défaite face à l'OM en finale de la Coupe d'Europe des clubs champions, le 23 mai 1993, laissera un goût d'inachevé à tous ses fidèles, ralliés par ses reprises de volée magistrales et son style racé. Son destin d'entraîneur va souffrir des mêmes contrariétés, commençant dans l'opulence (sélectionneur des Pays-Bas en 2004, après une petite année d'adjoint sur le banc de l'Ajax), se terminant dans la souffrance. Quelques mois après avoir démissionné de son poste à l'AZ Alkmaar, ville du Nord de Pays-Bas, pour cause de stress aigu et de crises de tachycardie, il confie à l'Equipe : «Comme coach, je n'étais pas assez heureux, pas assez compétent.» Il ne s'est jamais remis de ses premières campagnes à la tête desOranje. Il débarque à la Coupe du monde 2006, en Allemagne, avec une équipe invaincue en éliminatoires, rajeunie, rafraîchie par des choix forts du sélectionneur qui s'est passé de quelques ego colossaux – une constante dans l'histoire du football néerlandais, où la place du doute est extrêmement limitée chez les plus grands artistes, et qui souligne la sensibilité de Van Basten. La planète attend un jeu brillant, elle aura droit à l'un des matches les plus violents de l'histoire de la Coupe du monde, le huitième de finale entre le Portugal et les Pays-Bas, la boucherie de Nuremberg, le procès du fair-play, 16 cartons jaunes, 4 cartons rouges, et une élimination piteuse au bout du compte. Fringants à l'Euro 2008, dynamitant des Bleus vieillissants en phase de poule (4-1), les Pays-Bas de Van Basten se heurteront à la surprise russe (photo). Rideau. Depuis, Van Basten baisse la tête, et le sélectionneur Danny Blind lui a trouvé un rôle plus adéquat : adjoint, en toute modestie et humilité.
Franz Beckenbauer, le diplomate
Il a commencé à entraîner sur la pelouse, joueur majeur cornaquant son équipe, réinventant le rôle du libero, champion du monde avec la RFA (1974), Ballon d'Or en 1972 et en 1976. Un surnom rigide, le Kaiser, la stature du général de Gaulle qui se serait mis au ballon rond. Une hauteur de vue inégalable, comme perché sur son nid d'aigle bavarois, et des piques qui font le régal des médias allemands depuis quarante ans. Le terrain l'a de moins en moins intéressé, il en fait le tour assez rapidement avec un titre de champion du monde avec l'Allemagne réunifiée (1990), il s'est ensuite contenté de dépanner en urgence au Bayern Munich, son club, sa patrie (après tout, ça ne fait jamais de mal d'être considéré comme un sauveur pour quelques matches), puis de refaire le monde, au sens propre comme au figuré, avec ses amis Sepp Blatter (président de la Fifa), Fedor Radmann (ancien baron d'Adidas) et le tycoon Robert Louis-Dreyfus. C'est un certain Bernard Tapie qui a bien cerné le personnage Beckenbauer, plus habitué aux nœuds papillons qu'aux crampons boueux et aux pieds dans le cambouis. Le Kaiser arrive à Marseille en septembre 1990, après avoir conduit la sélection allemande sur le toit du monde. Il n'entraînera l'OM que quatre mois. «Ce n'est pas un bon entraîneur, je vais le virer, rien à foutre que ce soit le Kaiser», balance Tapie à ses proches. Il se ravise, comprend à quoi ce grand nom du foot peut lui servir, et le recycle au poste baroque de directeur de l'encadrement technique. Avec un immense succès à la clé. Le 20 mars 1991, en quart de finale retour de la Coupe d'Europe, face au grand Milan, un des projecteurs du Stade Vélodrome tombe en panne à 15 secondes du coup de sifflet final alors que Marseille mène 1-0 et file droit vers la qualification. C'est la panique, les Italiens sortent du terrain, un coup de bluff, ils veulent une victoire sur tapis vert. L'élégant Franz, lui, plaide avec flegme la cause de l'OM. Milan sera exclu de l'édition suivante. Aujourd'hui, Beckenbauer parle encore de foot dans le poste, toujours cinglant, et raconte avec émotion sa présence au 150e anniversaire du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, où il a assisté à un opéra sublime. Il est dans le viseur du comité d'éthique de la Fifa pour son rôle dans le scandale de la caisse noire présumée du Mondial allemand de 2006 – il était président du comité de candidature. La sueur des vestiaires, elle, ne l'importune plus depuis longtemps.
Johan Cruyff, le théoricien
En tant que joueur et entraîneur, il est celui qui s'est le plus rapproché de la perfection, n'en déplaise à Carlo Ancelotti, coach vainqueur de la Ligue des Champions à trois reprises (2003, 2007, 2014), ou Pep Guardiola, milieux de terrain plus fades. Entre deux bouffées d'une Camel sans filtre, Johan Cruyff a accompagné plusieurs révolutions tactiques de son sport. Sa silhouette classieuse et son port altier ont éclairé le football total de Rinus Michels à l'Ajax Amsterdam, un mouvement perpétuel aux déplacements aussi peu hasardeux que la trajectoire des fusées de la NASA. L'impression est tellement intense que Cruyff réussit à glaner le Ballon d'Or 1974 devant un Beckenbauer qui a pourtant tout gagné cette année-là. Joueur puis entraîneur, Cruyff passe à deux reprises de l'Ajax au Barça, et crée la transition parfaite, ce que certains écrivains de ce sport appellent le «Barçajax»: il importe en Catalogne les méthodes néerlandaises, insiste sur la formation, les structures. Lors de son passage sur le banc (1988-1996, photo en 1996), son équipe remporte quatre titres de champions, une Coupe d'Europe des clubs champions, une Coupe des coupes, deux Coupes du Roi. Elle repose sur un terreau composite, mélange d'un jeu collectif précis et d'individualités hors-norme finement exploitées. Le style ressemble au Barça d'aujourd'hui, les stars de Luis Enrique ont pour ancêtres Hristo Stoichkov, Romario, Michael Laudrup. Cruyff est moins dogmatique que son ancien métronome Guardiola, qui utilise les joueurs comme les pièces d'un bolide écrasant tout ce qui passe sous ses roues. En 2008, Cruyff a poussé pour que le jeune Guardiola, sans véritable bagage d'entraîneur, prenne la tête du Barça, et non José Mourinho, favori des bookmakers. C'est la dernière facette de Cruyff, et pas la moins géniale. Il a eu l'intelligence de laisser une postérité, de préparer les héritiers, de faire primer l'institution sur les hommes. Luis Enrique (Barça), Guardiola (Bayern Munich), Laurent Blanc (Paris-SG), Ronald Koeman (Southampton), Julen Lopetegui (Porto), Philip Cocu (PSV Eindhoven), Frank de Boer (Ajax Amsterdam)… début 2016, l'Europe du foot compte tant d'entraîneurs issus du sérail barcelonais que cela en devient presque indécent. Ils n'ont pas tous joué sous les ordres directs de Cruyff, mais ils ont infusé la science du Néerlandais. Cet héritage termine l'œuvre d'une vie, la plus aboutie du foot.