Menu
Libération
HANDBALL

Handball : les Français et l’art patient de la transmission

La marque de fabrique des Bleus, c'est le passage de relais entre générations. La preuve ce week-end à l'occasion de la Golden League, préparatoire à l'Euro.
Claude Onesta (coach de l'équipe de France, à dr.), et son assistant Didier Dinart, dimanche pendant le match contre le Danemark à Bercy. (Photo Jacques Demarthon. AFP)
publié le 11 janvier 2016 à 11h12

Week-end studieux pour l'équipe de France de handball, à quelques jours de l'ouverture de l'Euro, en Pologne, vendredi. Dimanche, les cadres du groupe (Abalo, Guigou, Karabatic, Narcisse…) ont allégrement rembarré le Danemark (36-28). Le sélectionneur Claude Onesta a parlé de «match référence» : «Les Danois, quand on joue comme ça, quand on leur impose un combat durable, ils nous résistent rarement Retrouvailles probables lors du second tour de l'Euro. Samedi, après-midi, face au Qatar (défaite 28-25), on avait vu autre chose à l'AccorHotels Arena (ex-Bercy), dans une salle aussi obscure qu'un soir de concert : un pigeon qui plane au-dessus des tribunes, un ours («Rok») et une fouine («Koulette»), les mascottes du Mondial français 2017, mais aussi quelques perdreaux de l'année. L'arrière Nedim Remili (20 ans), le pivot Ludovic Fabregas (19 ans), l'ailier Benoît Kounkoud (18 ans), ou encore Théo Derot, un poil plus âgé mais novice à ce niveau.

Le staff des Bleus les a mis dans la marmite, et a refermé le couvercle en seconde période. A eux de se débrouiller face à une équipe qatarie vice-championne du monde en titre, composée de mercenaires du monde entier, qui vivent ensemble 24 heures sur 24 depuis septembre. «Je suis impressionné par les jeunes Bleus, ils démontrent déjà une grande maturité», assure Bertrand Roiné, arrière du Qatar et Français du désert. On a ainsi vu Remili prendre le jeu à son compte, son petit camarade Kounkoud s'envoler comme son modèle Abalo, puis foncer sur un adversaire comme un taureau. «Ils ont beaucoup appris, ils se sont frotté aux meilleurs», résume Nikola Karabatic. «Ils ont pris la mesure de l'équipe de France, la voie de l'exigence. Ils ont montré de la fraîcheur, de l'enthousiasme, ils ont un peu de déchets, mais ils osent, sont impliqués», sourit le gardien Thierry Omeyer, 39 piges au compteur, mais la rage d'un gamin à chaque parade. «Ils n'avaient pas l'habitude de ces matches-là, détaille Luc Abalo. Maintenant, on peut dire qu'ils ne sont plus jeunes. On aura besoin d'eux pendant l'Euro.»

«Les jeunes, je ne les lâche pas»

Pourtant, malgré les forfaits sur blessure, la plupart de ces Marie-Louise ne partiront pas en Pologne. Trop tôt. Et quand bien même, ceux qui s'envoleront là-bas n'auront que des miettes. Onesta ne l'a jamais caché : une équipe qui gagne, ce sont 8 ou 9 joueurs qui tiennent la baraque, et pas les 14 ou 16 inscrits sur la feuille de match. Les autres servent à compléter les parties de cartes, à chauffer le banc et les gants, ils doivent observer, progresser, en espérant passer dans l'entonnoir. «Les jeunes, je ne les lâche pas», rigole Onesta, qui prend à partie un suiveur dans le salon de l'hôtel Concorde Montparnasse : «Tiens, là, le bonnet sur la tête, comme toi, et bien je leur dis de l'enlever.» Il avait déjà éduqué à la dure Nikola Karabatic, un précoce arrivé chez les Bleus à 18 ans. Dans l'ombre du manager-psychologue, Didier Dinart, l'assistant coach, cornaque les jeunes au quotidien, les réunit avant chaque entraînement pour le travail vidéo, l'étude de tous les enclenchements.

Kentin Mahé a 24 ans, il est un élément qui commence à compter dans l'équipe. Sa première sélection date de Mathusalem, plus précisément du 28 octobre 2010. Il raconte ce long sentier escarpé. «Quand j'ai intégré le groupe, je n'espérais pas vraiment gratter une place aux JO de Londres (en 2012), je n'avais même pas 10% de chances d'y aller et, de toute façon, des aînés comme Guillaume Gille méritaient d'y aller par leur parcours. C'était logique qu'ils terminent sur cette dernière note magnifique. Alors l'idée pour moi était d'apprendre, de goûter à une préparation intense, de se forger physiquement.» Kentin, fils de l'ancien Barjot Pascal Mahé et formé en Allemagne depuis l'enfance, au point de mettre parfois les participes passés à la fin de ses phrases, n'ira ni aux JO 2012, ni aux Mondiaux 2013, il sera remplaçant à zéro minute de jeu à l'Euro 2014, avant de se révéler au dernier Mondial.

La nouvelle génération, Kentin la trouve «déjà très talentueuse» et tient à préciser la différence entre jeunesse et expérience : «Théo Derot a presque mon âge, mais il découvre ce niveau. Benoît Kounkoud, il a 18 ans, mais il a déjà un temps d'avance par rapport aux autres, il évolue au Paris-SG, au milieu des meilleurs joueurs du monde, avec un super coach (le Bosnien Serdurasic, ndlr). La richesse dont il bénéficie à chaque entraînement est immense, il sera prêt très vite. En France, les jeunes sont plus sollicités, le chemin pôle - centre de formation – signature du contrat pro est balisé, il n'y a pas ça en Allemagne, où un jeune ne peut vraiment éclore que dans un club de deuxième partie de tableau.»

«Les jeunes sont plus pros, plus pointus tactiquement»

Et qu'en pensent les anciens ? La parole à l'ailier Michaël Guigou, grandi et épaissi au centre de formation de Montpellier comme Karabatic, il y a bien longtemps : «On a tendance à accueillir les nouveaux progressivement, là, c'est vrai qu'il y a eu un arrivage assez inédit. Les profils sont différents, mais ils sont plus pros, plus pointus tactiquement. Il y a plus d'argent, il y a plus de concurrence, je ne dis pas qu'on est en train de se rapprocher du foot, mais aujourd'hui, ils signent un contrat pro plus vite, les premiers salaires sont plus élevés On observe l'attitude des jeunes, on remarque une montre bling-bling au poignet de Benoît «Benito» Kounkoud. Une G-Shock à 150€, pas de conclusion hâtive. Guigou nous rassure sur deux points : «Certains savent encore faire la fête à l'ancienne, mais on les surveille! Et puis en Bleus, ils sont bercés et éduqués par Didier Dinart.»

Il faut voir les yeux de Dinart pétiller quand il évoque Ludovic Fabregas, ce pivot de Montpellier avec trois poils au menton. Il va le choyer, c'est certain, à sa manière. Dinart aussi est un pur produit de la transmission des Experts. Retraité en 2013 après une carrière XXL, il est le remplaçant désigné d'Onesta. Dinart gronde sur le bord de terrain, recadre, anime les temps morts, prend parfois un petit carton jaune, quand le vénérable sélectionneur se tient lui en retrait, à scruter les visages et comportements de ses joueurs. Onesta endosse les lunettes de l'anthropologue, il a la même distance avec son groupe que Claude Lévi-Strauss avec les Indiens Nambikwaras. Comme lui, il étudie la substance d'un mythe et laisse le temps au temps.