Après l’athlétisme et le football, c’est le tennis qui est à son tour dans l’œil du cyclone avec des accusations de matchs truqués visant 16 joueurs du top 50 mondial, dont des vainqueurs en Grand Chelem et 8 joueurs présents au 1er tour de l’Open d’Australie à Melbourne.
«Lors de la décennie écoulée, seize joueurs du Top 50 mondial ont été signalés au comité d'éthique du tennis à propos de soupçons de matchs truqués. Tous ces joueurs, parmi lesquels des vainqueurs en Grand Chelem, ont été autorisés à poursuivre leur carrière», sans qu'aucune sanction ne soit prise, accusent la BBC et le site BuzzFeed. Il n'est pas très clair, dans ces articles de la BBC, s'il s'agit de vainqueurs en Grand Chelem en simples et/ou en doubles. Depuis 2005, 8 joueurs ont remporté un tournoi majeur en simple (Cilic, Djokovic, Del Potro, Federer, Murray, Nadal, Safin, Wawrinka)
A Melbourne, où il a disputé et gagné son premier match lundi, le n°1 mondial Novak Djokovic a confirmé qu'il avait lui-même été victime d'une tentative de corruption en 2007 à Saint-Pétersbourg, dont le but était de lui faire perdre volontairement un match. «J'ai été approché indirectement, par l'intermédiaire de gens qui travaillaient avec moi à l'époque. Évidemment, nous avons immédiatement dit non. La personne qui essayait de me contacter n'est même pas arrivée jusqu'à moi», a dit le n °1 mondial, qui avait déjà évoqué cette affaire par le passé.
Concernant les accusations de matches effectivement truqués, «les gens essaient de deviner de qui il s'agit», a reconnu «Djoko», tout en insistant sur le fait que pour l'instant «ce ne sont que des spéculations»: «Il n'y a pas de preuve concernant des joueurs en activité. Tant que cela reste comme ça, ce ne sont que des spéculations», a plaidé le Serbe après sa victoire au premier tour sur le Sud-Coréen Chung Hyeon.
Parieurs russes et italiens
Le Français Gilles Simon, 15e mondial, s'est étonné que les médias britanniques ne donnent aucun nom: «C'est surtout pour faire du buzz. S'il y a des noms, qu'on les donne et nous serons ravis de les mettre dehors», a-t-il dit.
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BBC et BuzzFeed, qui ne citent effectivement aucun nom de joueur, affirment avoir eu accès à des preuves de corruption à grande échelle contenues dans des archives secrètes. Ces documents sont liés notamment à une enquête menée par l'ATP, l'instance dirigeante du circuit professionnel, en 2007, et montrent que des groupes de parieurs en Italie et en Russie ont misé des centaines de milliers de dollars sur des matchs truqués, dont trois à Wimbledon. «Le rapport confidentiel des enquêteurs destiné au comité d'éthique, qui date de 2008, suggérait que des investigations soient menées sur 28 joueurs, mais cela n'a jamais été suivi d'effet», affirme la BBC, selon qui 8des joueurs signalés sont inscrits à l'Open d'Australie qui a commencé lundi à Melbourne.
Selon l'un des enquêteurs, Mark Phillips, interrogé par la BBC, «un groupe d'environ dix joueurs était le plus souvent mis en cause et se trouvait à la racine du problème. Les preuves étaient fortes, il y avait une bonne chance de tuer (la corruption) dans l'œuf, de créer une forte dissuasion et d'éliminer les éléments corrupteurs».
50 000 dollars pour perdre
Selon BuzzFeed, les représentants des groupes de parieurs clandestins contactaient les joueurs dans leurs chambres d'hôtel lors de grands tournois et leur promettaient 50 000 dollars ou plus de récompenses pour truquer leur match. A Melbourne, le président de l'ATP Chris Kermode a démenti toute tentative d'escamotage. «Les autorités du tennis rejettent toute allégation selon laquelle des preuves de trucage de matchs auraient été cachées ou ne feraient pas l'objet d'une enquête approfondie», a-t-il dit. «Notre approche, c'est la tolérance zéro envers toute forme de corruption. Nous ne sommes pas complaisants, nous sommes vigilants», a-t-il ajouté, tout en affirmant que l'ATP allait «examiner toute nouvelle information».
Au passage, Chris Kermode a affirmé que l'Unité pour l'intégrité du tennis (TIU), le service anti-corruption de l'ATP, avait déjà prononcé 18 sanctions contre des joueurs, dont six suspensions à vie, depuis qu'elle avait été mise en place en 2008: «Mais il nous faut des preuves et non des soupçons ou des ouï-dire», a-t-il ajouté. A propos de l'enquête de 2007, il a affirmé que les investigations sur un match douteux entre le n°4 russe Nikolay Davydenko et le 87e mondial argentin Martin Vassallo Arguello n'avaient pas apporté d'indices suffisants.
Sport individuel, le tennis est une victime toute désignée de la corruption liée aux paris: rien de plus facile que d'approcher un joueur dans sa chambre d'hôtel et lui faire miroiter une somme plus importante que ce qu'il est susceptible de gagner sur le court, en balançant un match ou un set (on peut parier sur tout et n'importe quoi concernant une partie de tennis). D'autant que l'histoire de la corruption dans le sport enseigne qu'il est plus facile de s'acheter les services des sans-grande que des stars, qui n'ont pas forcément besoin d'argents et dont les faits et gestes sont scrutés. C'est particulièrement vrai dans le tennis. Sans parler des méga stars, les Federer, Djokovic, Nadal, qui émargent à plusieurs millions de dollars par an, il existe un «prolétariat» de la raquette. On estime en général qu'un joueur change de monde quand il intègre le top 100: il n'est plus obligé de courir les tournois de seconde zone, il intégre le tableau des tournois plus lucratifs, notamment ceux du Grand Chelem, etc. Et la vie de tennisman coûte cher quand il s'agit de payer ses déplacements, ses hôtels, son entraîneur, son kiné. En 2015, l'actuel 100e mondial, l'Espagnol Gimeno-Traver, a gagné sur les courts 350 000 dollars, le 150e, le Néerlandais Sijsling, en a empoché 200 000, et le 200e, le Polonais Przysiezny, 85 000.