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Guillermo Fayed, les résurrections à toute vitesse d'un skieur

Ce samedi, le Français dispute la descente de Kitzbühel (Autriche) sur la mythique piste de la Streif. Révélé sur le tard , il espère y briller de mille feux...
Guillermo Fayed en janvier aux Houches, près de Chamonix. (Photo Anna Pizzolante. Rezo pour Libération)
publié le 22 janvier 2016 à 14h40
(mis à jour le 22 janvier 2016 à 18h03)

Aussi loin qu'il se souvienne, il s'est toujours vu avec des skis aux pieds. Allez, peut-être pas avant ses deux ans, mais il a glissé tout le reste de sa vie. Guillermo Fayed, 30 ans, porte la barbichette de d'Artagnan et affiche un visage souriant dans cette salle de restaurant d'un hôtel des Houches. Le ski de compétition? Il faut essayer de prendre la piste royale très jeune : «Ce sont les résultats qui te permettent d'accéder à la compète, il faut être bon dès le plus petit âge, jusqu'à rentrer sur le circuit international.» De huit à quatorze ans, Guillermo pratiquait également le hockey, il a connu des problèmes au genou, il a choisi le ski. «Je m'étais toujours dit que cela pouvait déboucher sur un autre métier après ma carrière, que je pouvais toujours devenir moniteur». Il est «tout de suite bon en descente», préfère «les disciplines de vitesse à celles plus techniques.»

Guillermo tombe dans quelques crevasses : «Il y a eu plein de moments où je n'aurais pas dû continuer. Lors de ma dernière année en juniors, je n'ai pas été pris en équipe de France, je n'y croyais plus.» Il enchaîne les blessures, se relève à chaque fois. Lors des championnats du monde de Schladming, en février 2013, il est pourtant près de la rupture, un mal de dos (discopathie) persistant lui pourrit la vie. Il prévient ses camarades : «J'arrête ma carrière en mars.» Trois longues semaines de rééducation suivent, il réfléchit, s'excuse auprès de son staff et lance, requinqué : «Je veux bien refaire une saison.» Fin 2013, à la veille d'une course de rentrée, il se «repince le dos très fort», prend tous les médicaments qu'il peut, mais perd sa place dans les trente meilleurs descendeurs : «C'est la descente aux enfers, je baisse les bras.» A la quatrième course de la saison (Bormio), il skie «vraiment juste pour arriver en bas», et décroche finalement une miraculeuse 7e place, qualificative pour les JO de Sotchi. Il terminera 26e de la descente en Russie, mais l'essentiel est ailleurs : le voilà de retour dans la partie.

«Cette course, c’était de la glace pure. Le stress te gagne»

En 2014-2015, il découvre vraiment le «sens positif du ski». Premier podium à la première course, il ne sort pas du Top 6 pendant quatre courses, finit sur une troisième place à Kitzbühel. «Le déclic, c'est quand tu es chez toi, sur le canapé, et tu te dis : ''Tu fais de la descente, tu as ta place, tu ne peux pas laisser tomber le ski en baissant les bras.'' C'était ma dernière saison, je n'avais même plus de techniciens qui me préparaient les skis… Mon sponsor me donne alors six paires de skis, et en avant. Il faut juste se faire plaisir. C'est exactement ça, aujourd'hui, je suis dans la recherche du plaisir. Le résultat, c'est une fois qu'on est en bas et qu'on se retourne. Quand tu t'éclates et qu'en plus cela marche bien, tu es sur un petit nuage.» Il revit, tombe sur un faiseur de reines, le technicien Raphaël Scozzafava : «Chaque fois qu'il a eu mes skis en mains, il s'est passé quelque chose. Il a eu tous les grands noms du ski féminin, il a au moins 50 podiums avec les filles de l'équipe de France (Carole Montillet, feue Régine Cavagnoud) cela fait 26 ans qu'il fait cela. Je suis son premier podium chez les hommes».

Scozzafava lui donne de l'assurance, lui fait oublier cette peur qui gagne parfois le descendeur. «Quand tu te dis au départ ''bon, qu'est ce qu'on fait ?'', sourit Guillermo Fayed. Je me souviens d'une Coupe d'Europe aux Orres, d'une autre course à Garmisch-Partenkirchen, c'était de la glace pure. Les maux de ventre, le stress de tomber te gagnent. Au premier départ de Kitzbühel, je me dis : ''Je redescends en cabine''. Mais bon, tu es au départ, il faut y aller. La Streiff, c'est une piste, impressionnante, en trois secondes on atteint 60 km/h, puis un saut de soixante mètres et on plonge dans le mur, en vingt secondes de course, tu es à 200 pulsations minute. Après cela se calme, puis c'est encore de l'extrême quasi vertical, bosses, schuss à 140 km/h. On finit sur un saut. La comparaison ? On te donne une Ferrari (les skis), on te ferme l'autoroute (la piste sécurisée), c'est une sensation d'être no limit. On est maître de soi-même, mais c'est impossible de contrôler toutes les variables.»

«Une fois, je chute à 80 km/h, les protections sur mon corps ont brûlé complètement»

Guillermo Fayed n'est pas casse-cou. Au contraire, il gamberge. «On a une heure de reconnaissance, le départ est à 9h30, c'est là où tu as peur, tu te fais le tracé dans la tête et tu as peur. Une fois que la baguette du portillon est ouverte, tu n'as plus le temps d'avoir peur. En fait, c'est quand tu ne maîtrises plus trop que la crainte s'installe». Il se souvient plus particulièrement d'un drame évité de peu à l'entraînement : «C'est à l'entraînement qu'on prend le plus de risques, ce n'est pas sécurisé, il faudrait des kilomètres de filet. Une fois, je chute à 80 km/h, j'avais les protections sur mon corps, elles ont brûlé complètement. Si mon ski rentre dans le filet, pfff, là tu laisses tout. J'ai eu beaucoup de chance.»

Est-ce un boulot de dingue? «Oui, la seule vraie protection qu'on a, c'est notre corps, et allez, le casque. La protection dorsale, c'est une coque en mousse. Il y a des accidents qui font arrêter une carrière, comme celle de ce Suisse (Silvano Beltrametti) à Val d'Isère en 2001, qui a perforé une bâche avec ses carres et a fini sur un rocher. Il est désormais paraplégique Fayed est béni: «J'ai un ski qui ne me fait pas trop tomber. J'ai fait deux ou trois chutes en dix ans de carrière». Il établit sa propre typologie des coureurs. «Il y a des gens qui mettent tellement d'engagement que la chute arrive plus souvent». Lui, il s'entraîne à «repousser ses limites», et se pose constamment la question: «Pourquoi n'as-tu pas été plus loin dans tes intentions ?» «On ne sait jamais où va arriver cette fameuse limite», souffle-t-il. Guillermo Fayed rêve parfois des moyens illimités des Autrichiens, où le ski alpin est le sport roi. «Ils ont des meilleures conditions d'entraînement, plus de suivi, plus de recherche au niveau matériel.» Les autres compétiteurs, il les voit comme «une bande de copains qui parcourent le monde. Tout seul, tu ne peux rien faire pour t'entraîner, nos copains sont nos premiers adversaires, il y a une très bonne ambiance. Chacun prépare sa course différemment mais on est dans le respect de l'un et de l'autre».

«La caissière du supermarché me reconnaît désormais»

Quatre mois de compétition, sept de préparation, tout ça pour des revenus modestes. Comment vit-il sa non-notoriété? «Cela fait deux ans que j'existe, la caissière du supermarché me reconnaît», sourit-il. Mais bon, il était «très mal à l'école, assis deux heures sur une chaise, c'était les deux plus longues heures de ma vie ! Et puis tu relativises les sacrifices consentis pour le ski. En deux secondes, tu penses à ton sport, et tu as les paysages de Wengen, Chamonix, Lake Louise qui s'impriment dans ta tête. Et là, tu oublies tout, les moments durs n'existent plus.»

Fayed est militaire, caporal rattaché à l'Ecole militaire de Haute-Montagne de Chamonix. Ses grandes passions : le ski nautique, le tennis et le padel, ce dérivé du tennis qu'adore également un certain Didier Deschamps. En revanche, il ne monte jamais plus haut qu'un télésiège : «J'ai très peur de la haute montagne, je ne contrôle pas l'élément, on se sent tout petit, trop petit.» Il vit à «Cham'», Chamonix, pendant six mois («je loue comme un saisonnier»), et le reste de l'année dans le sud de l'Espagne chez son père, entre Lloret del Mar et Tossa de Mar, à côté de Gérone. A l'occasion, il se régale de palourdes ou de jambon pata negra, avec une bonne bière San Miguel. Ses parents ne lui ont jamais trop mis de pression, notamment sa mère, monitrice de ski. Il profite intensément des moments avec les jeunes du club de «Cham'», «une fois que tu raccroches, toutes les portes se referment». Entre deux déplacements au Tyrol ou dans les Rocheuses, il a réussi à rencontrer sa femme : «Tant que je suis en compét, je n'ai pas le temps d'avoir un enfant pour m'en occuper, j'aimerais que ce soit après ma carrière». Il imitera vite Adrien Théaux et David Poisson, les futurs papas du groupe de la vitesse. Le truc dont il rêve la nuit, «c'est la descente des Jeux, j'y ai goûté à deux reprises. Et jouer la médaille». En 2018, il aura 33 ans, l'âge parfait pour une ultime résurrection.