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portrait

Steve Mandanda, calme Olympien

Meilleur gardien de but de Ligue 1, le capitaine de l’OM tentera dimanche de maintenir son équipe à flot face au PSG.
Le gardien de l'OM Steve Mandanda face à Caen en Coupe de France, le 3 janvier 2016 au stade Michel d'Ornano. (Photo Jean-François Monier. AFP)
publié le 5 février 2016 à 19h11

Pour guetter les signes avant-coureurs d'orage, les vieux Marseillais scrutent le ciel et le visage de Steve Mandanda. Le capitaine et gardien de l'OM, qui réceptionnera dimanche (sur Canal + à 21 heures ) un Paris-SG restant sur 33 matchs de Ligue 1 sans défaite, est un homme de peu de mots. Un masque à déchiffrer. A 30 ans, il dispute sa neuvième saison. Neuf années à servir les mêmes expressions après chaque rencontre : «ces 3 points vont compter» ; «une victoire qui fait énormément de bien sur le plan comptable et le plan mental» ; «c'est rageant» ; «il ne faut pas s'enflammer» ; «on est frustrés» ; «on a manqué de réalisme» ; «c'est catastrophique» ; «je ne sais pas quoi dire».

Décibel. Triomphe ou dégelée, en automne ou au printemps, Mandanda fait le job quand ses coéquipiers passent avec le portable greffé à l'oreille, en pleine conversation fictive. Afin de comprendre le degré d'euphorie ou de crise qui s'emparera de l'OM dans les jours suivant une rencontre, il faut être attentif à tout : au sourcil brièvement haussé, au décibel supplémentaire sur le terme «rageant», à la façon de soupirer - Mandanda soupire parfois. Les suiveurs de l'OM ont souvent tenté d'expliquer ses périodes plus ou moins fastes en décryptant sa silhouette car, le gardien n'étant guère bavard, ses kilos gagnés ou perdus ont parfois semblé parler pour lui. On lisait en eux, mais on se trompait souvent.

Depuis octobre 2012, Steve Mandanda a pris huit pions de Zlatan Ibrahimovic. Il répète pourtant droit dans les yeux : «Zlatan ne m'empêche pas de dormir.» Mandanda a le sommeil du juste. Il est le meilleur gardien de Ligue 1, le plus identifié à l'OM aussi, loin devant Fabien Barthez ou Pascal Olmeta. Il a réussi des performances insensées en Ligue des champions quand le PSG sous mandature qatarie cherche encore le portier qui les emmènera dans cette compétition.

Un souvenir : San Siro en mars 2012, l'Inter Milan reçoit l'OM en 8e. A la pause, près de 40 000 supporteurs italiens s'apprêtent à filer aux toilettes ou à la buvette quand les grands écrans du stade retransmettent les arrêts invraisemblables du natif de Kinshasa (république démocratique du Congo, Mandanda arrivera en France à 2 ans). Le public lombard se fige alors. Les gens n'ont plus envie de rien, des «ooohhhh» s'élèvent à chaque exploit du Marseillais comme si c'était un feu d'artifice un soir d'été au-dessus du parc Borély. Le placide Steve Mandanda est capable de procurer des émotions inouïes sur un terrain.

Mais ça s’arrête là. C’est peut-être ce qui lui a coûté une place en équipe de France (Hugo Lloris n’est pas meilleur que lui) et dans un grand club anglais. Un temps, quand il a perdu sa place de numéro 1 chez les Bleus en 2009, il a dénoncé un lobbying intensif des médias en faveur de Lloris.

Puis il a pris acte. Mandanda est un homme qui prend acte. Des changements d’entraîneurs, de présidents, de joueurs, de tous les séismes qui secouent la pelouse de la Commanderie, le centre d’entraînement. Il a vu son premier entraîneur des gardiens à l’OM, Laurent Spinosi, revenir s’occuper de lui, à l’été 2012, alors qu’il avait donné son aval à Didier Deschamps pour l’écarter à l’été 2010, juste après le titre de champion de France. Les retrouvailles ont été simples : c’est comme si le couple ne s’était jamais quitté. Mandanda met un affect limité dans ses relations. Du coup, le barnum du foot pro lui semble lunaire et il met son fils Sacha au tennis.

Bobine. Le jeune attaquant Florian Thauvin, débarqué en 2013, est un garnement honni de certains cadres du vestiaire ? Mandanda le protège vaille que vaille, n'oubliant pas que Thauvin a dormi sur un matelas dans sa chambre d'hôpital à la Timone, un soir de mai 2014 - le gardien venait d'être percuté par un attaquant de Guingamp, frôlant la tétraplégie. Ce choc, il nous l'a raconté un après-midi d'été marseillais, quelques semaines plus tard, après avoir regardé le Mondial brésilien à la télé. Sans la moindre emphase. Son fils était en tribunes, il avait eu peur, voilà, c'est tout, au revoir.

Puis le photographe l'avait fait poser sur un terrain de golf, s'attirant les grognements du joueur : «Je suis sûr que vous allez faire plein de photos et prendre celle où j'ai une tête bizarre.» Il n'a pas manqué de le faire remarquer une fois sa bobine publiée. Il y a bien longtemps, on avait organisé un entretien croisé sur le job de gardien avec Thierry Omeyer, le rempart des Bleus du hand, chacun répondant aux questions de l'autre. Perfectionniste, Omeyer avait listé des dizaines de thèmes. Mandanda s'était pointé sans la moindre question.

Leasing. On ne bouge pas le totem Mandanda : il traverse les vestiaires, les crises et les époques. Rien que ça, c'est déjà fatigant, croyez-le. Après le départ du buteur Mamadou Niang, à l'été 2010, Didier Deschamps a organisé l'élection de son successeur au rôle de capitaine, et Steve Mandanda a été élu alors qu'il ne demandait rien. Il était moins clivant que d'autres au caractère plus marqué et cette rondeur lui a toujours permis de dominer les débats et de faire l'unanimité totale, un fait sans précédent à l'OM. A la Commanderie, un journaliste s'est attiré un jour de 2011 les foudres du bonhomme. Les joueurs venaient de recevoir en leasing des DS4 de Peugeot-Citroën, leur partenaire. Au même moment, le constructeur annonçait un plan social d'envergure (4 000 postes supprimés en France) et le suiveur l'a questionné sur ce timing hasardeux. «On ne peut pas faire grand-chose», a-t-il bredouillé avant de pourrir en privé le malheureux : demande-t-on à un chef d'entreprise ou un politique de commenter ses performances ? Eh bien oui, aujourd'hui, justement, ça arrive. Et Steve Mandanda, un homme d'un monde où les genres ne se mélangent pas, en pâtit. Après, il vit facilement avec.