Depuis la révélation, en janvier, par Buzzfeed et la BBC, que les autorités du tennis ont enterré une affaire de corruption concernant notamment 16 membres de l'élite masculine, il ne se passe quasiment pas un jour ou presque, sans qu'un joueur révèle avoir été approché par un type plus ou moins louche lui proposant de truquer le résultat d'un match. L'affaire que révèle ce mardi The Guardian pointe une nouvelle fois le manque de transparence de la Fédération internationale (ITF) et met au jour un système impliquant certains arbitres et rendu possible par l'appât du gain de ladite fédération.
En 2012, explique le quotidien britannique, l'ITF signait avec Sportradar, spécialisé dans les statistiques sportives, un lucratif contrat de 70 millions de dollars, permettant à la société basée en Suisse de diffuser en live partout sur la planète, les résultats du moindre tournoi, de première, deuxième, troisième voire dixième zone, qu'il se déroule à Bakou ou Charm el-Cheikh, Ramat Gan ou Shrewsbury, Port Pirie ou Anning (parmi les 38 compétitions organisées par l'ITF en ce seul mois de février). Corollaires de cette publicité en direct et en mondovision, des bookmakers du monde entier peuvent prendre des paris sur chaque point des centaines de matchs qui se déroulent simultanément sur toute la planète tennis. Pour rendre cela possible, l'arbitre de chacune de ces parties doit renseigner en direct l'évolution du score sur sa tablette IBM.
Un retard volontaire pour faire varier les cotes
L’astuce consiste à demander à ces arbitres de retarder de quelques dizaines de secondes la transmission de ces résultats de façon à permettre à des parieurs de modifier instantanément la cote des paris sur le gain du résultat du prochain jeu ou prochain set. Un pari gagnant à coup sûr, puisqu’ils connaissent le résultat : il suffit qu’un comparse présent au bord du court, voire l’arbitre lui-même, les informe par texto.
Exemple : à l’open de Tachkent, Tartempion affronte Duchemolle et mène 1 set à rien. La cote qu’il remporte le second est de 1,2 contre 1 (pour 1 euro misé, vous gagnez 1,20 euros). Il perd finalement la manche (volontairement parce qu’il a été payé pour, ou involontairement) : si le résultat est transmis avec retard, même minime, des bookmakers véreux peuvent faire varier la cote, par exemple à 5 contre 1 (5 euros empochés pour 1 misé) et engranger des petites fortunes par effet de masse.
«Le système, écrit le Guardian, a été mis en œuvre dans des tournois Futures [la plus basse division de l'ITF] en Europe de l'Est, peu ou pas du tout couverts par la télévision, où les arbitres, sous-payés ou bénévoles, sont plus susceptibles de succomber à la corruption.»
Sanctions publiques à partir de 2016
D'après le quotidien anglais, des arbitres du Kazakhstan, du Turquie ou d'Ukraine figurent parmi ceux suspectés d'avoir manipulé les résultats en live. Le Kazakh Kirill Parfenov aurait été banni à vie en février 2015 pour de tels faits similaires; mêmes motifs, punition moindre pour le Croate Denis Pitner : un an de suspension. Alors que le moindre joueur pris en train de parier sur des tournois qu'il dispute est suspendu par l'ITF à grand renfort de publicité – sur le thème : voyez comme on lutte férocement contre la corruption –, cette dernière s'est bien gardée d'annoncer que des arbitres, sur lesquels elle a directement autorité, ont été pris la main dans le pot de confiote, insiste le Guardian.
Contactée par le journal, elle a réagi : «Dans un souci de ne pas porter préjudice à une procédure en cours et en prévisions de futures auditions, nous ne pouvons faire état publiquement de la nature ou des détails des investigations. Si le moindre officiel était reconnu coupable, ce serait annoncé publiquement. Le code de conduite de l'ITF concernant ses officiels a été amendé en décembre 2015 et prévoit la publicité des sanctions à partir de 2016.» Ça tombe bien.