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Coupe de France: lâchez-nous avec vos petits poucets

A chaque tour de Coupe de France, son exploit démesuré, son David qui tombe Goliath, son pâtissier du Nord-Pas-de-Calais qui caramélise Zlatan... Stop.
L'attaquant Tommy Untereiner, auteur du but de la qualification de Granville face à Bourg-en-Bresse au stade Louis-Dior, le 9 février 2016. (Photo Charly Triballeau. AFP)
publié le 10 février 2016 à 18h10

Tiens, mardi soir, l'US Granville (CFA 2) a battu Bourg-en-Bresse (L2), d'un petit but à zéro inscrit lors de la prolongation. Les Normands accèdent aux quarts de finale de la Coupe de France, un nouvel épisode merveilleux saupoudré de cette «magie de la Coupe». Le petit a battu le gros, et quel gros ! La fameuse armada de Bourg-en-Bresse, chère à Vincent Duluc et Julien Benneteau, qui était encore une équipe de National sans le statut pro l'an dernier. Qu'est-ce qui sépare les gros de Bourg-en-Bresse et les petits de Granville ? L'épaisseur d'une feuille de match. Dans l'Equipe du mardi 9 février, on apprend que plusieurs clubs pros ont bénéficié des infrastructures dernier cri du club manchois, à commencer par le voisin havrais (L2), venu y trouver des bains de glace qu'il n'a même pas à domicile.

La Coupe de France regorge de clichés. Le boucher du coin qui découpe Zlatan entre deux entrecôtes. Le club de L1 qui débarque pétri de suffisance et repart avec 50% des recettes de billetterie, la part prévue qu'il ne laisse ni aux chiens, ni aux amateurs. La territorialisation flamboyante et la victoire du petit village gaulois face à l'oppresseur de l'élite. Stéphane Ruffier, le gardien de Saint-Etienne, qui tance un pauvre attaquant de Raon-l'Étape. Le football vrai qui prend parfois, – miracle –, le dessus sur des vedettes aux revenus démentiels. Le duel majeur dans l'imaginaire du grand public, le gentil contre le méchant, alors que la morale n'a rien à voir avec tout ça. A Marseille-Consolat, un après-midi de janvier 2015, on a vu Benoît Pedretti (alors à l'AC Ajaccio), pas réputé pour son savoir-vivre sur un terrain, se faire massacrer par toute l'équipe adverse et insulter non-stop par une partie des supporteurs locaux. Pedretti est sorti du terrain éliminé et furieux, mais il n'a pas poussé des cris d'orfraie. Il aurait pu être dans le camp d'en face.

Explosion au démarrage

Ils auraient pu être dans le camp d'en face. On s'en rend compte en discutant avec ces pseudos petits poucets, qui ont souvent été à deux doigts d'un contrat pro – quand ils n'ont pas obtenu un temps le précieux sésame. Anthony Rigole, vieille gloire de Jarville (DH, ex-CFA 2), a, lui, été à deux mètres : les deux premiers, c'est-à-dire l'explosion au démarrage qui fait la maille au haut niveau. Le football a sa méritocratie, ses coachs, ses formateurs, ses recruteurs, chargés de valider ou recaler. Parfois, dans la densité des bataillons de jeunes joueurs, ils se trompent, passent à côté, et les clubs amateurs sont l'occasion d'un rebond pour les plus résilients : Nabil Fekir, Romain Hamouma, Ngolo Kanté, Mathieu Valbuena… Et eux, que sont-ils ? Des petits poucets ou des vedettes ? Ou simplement des footballeurs ? Le public de Granville ou de Saint-Malo vient autant voir son équipe que les pros d'en face, pour le plaisir d'un soir. Le reste, la fierté, n'appartient qu'aux joueurs.

Comme tant d’autres, Rigole ou Valbuena ont été reversés dans le monde semi-amateur ou semi-pro, c’est au choix, ses cinq entraînements par semaine (minimum), ses salaires (parfois confortables) payés par la boîte du BTP qui sponsorise le club ou par la municipalité, qui tolère quelques emplois fictifs dans les espaces verts. Et quid de tous les bleds où la municipalité préfère subventionner une autre activité que le club de foot ? Elle hume la magie de la Coupe mais rien ne se passe. On est toujours le petit poucet d’un autre.