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Rugby

Guy Novès attendu au tournant des Six Nations

Le match de ce samedi face à l’Irlande devrait lever le voile, tant sur le niveau des Bleus que sur la réelle portée de la méthode du nouveau sélectionneur et sur ce qui se trame en coulisse.
Le sélectionneur des Bleus, Guy Novès (au centre), lors du match France-Italie, samedi dernier au Stade de France. (Photo Benoit Tissier. Reuters)
publié le 12 février 2016 à 19h21

Premier match de la mandature Guy Novès à la tête des Bleus et entrée dans le Tournoi des six nations 2016, le France-Italie de samedi gagné, chichement gagné (23-21) sur un péché d’orgueil du capitaine transalpin Sergio Parisse, était un mensonge par nature : trop d’attente autour d’une sélection tricolore new-look pourvue de trois jours d’entraînement seulement, un adversaire à la fois supposé faible et difficile à cerner, les fantômes de la période Philippe Saint-André et de la monstrueuse déroute mondialiste (13-62) face aux Blacks dans tous les placards et le fantasme d’un jeu ouvert et offensif qui, à bien y regarder, appartient plus au grand public qu’au nouveau staff tricolore, relativement secret sur ses intentions et objectifs.

Samedi, en revanche, on va lever un coin de voile. C’est en effet l’équipe d’Irlande qui s’annonce à Saint-Denis, une formation d’une stabilité sans égale - travail minutieux autour des regroupements (rucks), propreté technique, conquête (touches, mêlées, renvois) de haut vol, constance - qui reste sur deux victoires dans le tournoi et que les Bleus n’ont pas battue depuis cinq ans.

Cet automne, lors de la Coupe du monde, les hommes du flanker Sean O’Brien avaient tendu un miroir où les Bleus avaient mesuré l’étendue du désastre (défaite 9-24) une semaine avant que la Nouvelle-Zélande n’achève le travail : le XV de France passera pareillement au révélateur samedi. Et c’est peu dire qu’on a hâte d’y être. Du niveau réel de l’équipe jusqu’au chantier des réformes, en passant par l’image et la méthode Novès, tour d’horizon des véritables enjeux de la rencontre de samedi.

Niveau : le principe de réalité irlandais ?

Les Irlandais sont des filous. Si l'on retient la claque infligée par les Blacks (62-13, le 17 octobre) en quart, ce sont les Verts qui avaient sifflé la fin de la récréation une semaine plus tôt, lors du dernier match de la poule D (24-9, le 11 octobre). La bande de Saint-André se voyait en finale de l'épreuve ? L'Irlande l'a dominée partout. «C'est une équipe bien moins prévisible que la moyenne, elle sait tout faire, confie Vincent Clerc, l'ailier du Stade toulousain (34 ans, 67 sélections chez les Bleus et 34 essais). Ils savent conserver le ballon pendant une éternité, ils multiplient les temps de jeu, ils sont disciplinés, ils proposent de la puissance et de la vitesse, ils excellent dans les zones de rucks, ils sont très bons sur les ballons hauts [chandelles et autres confiseries, ndlr], ils ont de super joueurs au pied…» Clerc finit sa liste et on a le tournis. Il sourit : «Ça va beaucoup courir samedi, et quand ça joue, il y a des turnovers [pertes de balle] et tout est possible. On devrait assister à un match ouvert et à un vrai défi physique, comme l'opposition, dimanche dernier, entre l'Irlande et le pays de Galles [16-16] ! Quelle intensité d'entrée… Les Irlandais ont d'ailleurs fini à l'agonie, ils étaient cuits.» Dans sa composition, la France a changé six joueurs. Un peu par défaut (Louis Picamoles blessé, Gaël Fickou pour des soucis de famille), beaucoup par choix. Ballottés par l'Italie et en difficulté en octobre, les piliers Eddy Ben Arous et Rabah Slimani sont remplacés par le bien prénommé et nommé Jefferson Poirot et par le colosse Uini Atonio, une trouvaille de Saint-André. Ce dernier lui a fait perdre 15 kilos avant le Mondial (142 kilos, quand même), tout ça pour le lancer totalement hors de forme face à la Roumanie. «J'espère que ça va les agacer un peu. Il y a toujours une forme de petite remise en question pour le joueur, qui doit sentir que sa performance ne correspond pas tout à fait aux critères qu'on attendait», titille Novès. Il termine en relançant Teddy Thomas à l'aile, aussi une découverte de Saint-André et de Lagisquet, achevant de nous convaincre qu'il va au bout des idées des autres. Dans le rugby français, c'est déjà pas mal.

Perception : la fin de l’état de grâce ?

Pour faire bref, l’Irlande pourrait mettre un terme à la bulle médiatique en cours. Lors du dernier tournoi, les Bleus de Philippe Saint-André - le pire sélectionneur de l’histoire récente du rugby français, de l’avis général - tordaient la sélection italienne 29-0 à Rome et en remettaient une sévère (32-10) aux mêmes en Coupe du monde. La semaine dernière, ceux de Guy Novès s’en tiraient par miracle 23-21 contre ces Transalpins, dans une ambiance de ravissement et sous le regard énamouré des suiveurs, lointain écho de l’escroquerie de mars dernier, quand les Bleus prenaient 20 points dans la vue à Twickenham (35-55) en récoltant les félicitations pour avoir cavalé comme des dératés.

Cherchez l'erreur. Il y a quelque chose de sinistre dans le paysage, comme un déni d'une réalité si sombre qu'elle ne peut être admise comme telle par le grand public. On ne peut pas accuser les joueurs et ceux qui les entraînent d'avoir alimenté la fiction de la reconquête : l'étude scrupuleuse de leurs déclarations - très maîtrisées dans le cas des joueurs - avant et après l'Italie ne raconte qu'un mélange de profil bas et d'application. «L'état de grâce, ce n'est pas Novès qui est allé le chercher, juge Vincent Clerc, son gendre, qui joua sous ses ordres près de dix ans. Après, les médias le connaissent mieux qu'ils ne connaissaient les deux sélectionneurs précédents, Marc Lièvremont et Saint-André. Et Novès sait quels messages faire passer. Les deux parties se cernent bien.» Le message : les Bleus apprennent un nouveau «projet de jeu», qui consiste en simplifiant à avoir deux options en phase offensive, un bloc de trois avants (plus puissants que les arrières adverses) plus un autre de trois arrières (plus rapides que les avants d'en face) pour avoir un avantage qualitatif - la puissance ou la vitesse, donc - en attaque. Du coup, on communique à l'envi sur le travail tactique, les clés USB remises aux joueurs et les mecs qui potassent en prenant le petit déj. Surtout, qui dit «projet» dit travail sur le long terme : un argument qu'il est intéressant de sortir pour faire passer la pilule après une défaite.

Management : le top en la matière ?

Le postulat d'Euclide du rugby français : toujours nommer un sélectionneur en réaction aux faiblesses du précédent, comme si la fédération n'en finissait plus de compenser après coup (c'est-à-dire trop tard). L'honnêteté de Lièvremont (2007-2011) avait ainsi été opposée à l'affairisme et au mélange des genres - la lettre de Guy Môquet lue par le pauvre Clément Poitrenaud sous un arbre, Nicolas Sarkozy dans le vestiaire - de Bernard Laporte (1999-2007), puis la (supposée) crédibilité anglaise et toulonnaise de Saint-André aux impulsions de Lièvremont : Novès est ainsi là parce qu'il sait se faire comprendre des joueurs de très haut niveau, ceux-ci ayant complètement échappé à son prédécesseur. Un international ayant eu Novès comme entraîneur à Toulouse, titulaire samedi : «Sur le travail pur, on peut discuter, mais au niveau du management, Novès, c'est le top du top.»

On l'avait rencontré en 2005 avec une idée : le faire parler du management multiculturel, le Stade toulousain abritant alors une palanquée de joueurs venus de partout. Ça ne l'avait pas amusé. «Je ne comprends pas ce que vous me dites. Hier, j'ai un joueur [le solide Irlandais Trevor Brennan, selon notre souvenir, près de deux mètres sous la toise, ndlr] qui a pris un tampon : il a commencé à «partir» et à avaler sa langue. J'ai couru, j'ai ouvert sa mâchoire et j'ai mis les doigts pour sortir la langue et empêcher le joueur de s'étouffer. Tous ses équipiers regardaient. Je crois que la scène leur parlait à tous. Je pense vous avoir répondu.»

Tout ressemblait à ça : frontal, concret, n'hésitant pas à contredire son interlocuteur sans jamais y mettre la moindre condescendance. Une honnêteté que l'on suppose être le fondement de son rapport aux joueurs. «Je lui ai envoyé un SMS avant le match contre l'Italie, explique Vincent Clerc, alors en vacances au Mexique. Un SMS vraiment très bref : je sais qu'il n'aime ni les messages d'encouragement ni ceux de félicitations.» Plus qu'un retour aux «valeurs» (lesquelles ?), la présence de Novès vise à remettre l'autorité au centre de l'échiquier. Reste à savoir si elle fait gagner les matchs.

Réforme : et derrière, rien ne change ?

Au soir de l'élimination du Mondial, plusieurs Bleus, Pascal Papé en tête, ont souligné l'impact négatif du trop-plein de matchs dû au Top 14. Des aménagements du calendrier et la création de contrats fédéraux pour les internationaux ont été au cœur d'un ping-pong verbal entre la fédération, la ligue et les clubs, et une énième convention pourrait être signée. Dans son livre Devoir d'inventaire, Philippe Saint-André, alias PSA, propose «quelques pistes novatrices, voire révolutionnaires. Pour certaines déjà évoquées il y a trois ans avec la direction technique nationale (DTN) et le staff». Au programme de PSA : une seule montée-descente en Top 14, un Tournoi des six nations avec des phases allers-retours, la désignation de 32 joueurs salariés qui ne disputeraient pas plus de 28 matchs par saison (18 en Bleu et 10 au mieux en club)…

La fédé et la ligue, elles, ont lancé une «cellule technique XV de France» de dix membres afin «d'améliorer la compétitivité» de l'équipe. Ils remettront leurs recommandations d'ici au 31 mars. Elles seront occultées par les gesticulations médiatiques de Bernard Laporte et le culte de l'entre-soi du président en exercice, Pierre Camou : la tête de gondole véhémente et l'apparatchik s'affrontent pour la présidence de la fédé (début 2017). «Que voulez-vous que Camou dise à Altrad et Boudjellal [les présidents de Montpellier et Toulon, ndlr] ? Il prend la foudre et il rentre la tête. Il est moins riche qu'eux et il n'a rien fait dans le rugby», dit Laporte. On ne sait plus qui parle. Le manager du RC Toulon, l'omniprésente grande gueule de RMC, l'homme d'affaires, le politique qui prend pour trésorier de campagne Claude Atcher, le personnage le plus controversé des arcanes de l'ovalie… Laporte mélange tout. Un exemple : Frédéric Michalak. Le consultant de TF1 vantait les mérites de l'ouvreur des Bleus, le chroniqueur de RMC le saluait en arrivant à la radio (où le joueur bosse aussi), le manager du RCT disait qu'il n'était qu'un plan C à son poste et l'ancien sélectionneur (1999-2007) qu'il était «un fou, le moins fiable de tous ses joueurs». Derrière ce fatras, l'homme qui sortira le rugby français de l'immobilisme ? On peut rêver.