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Blaise Matuidi, une histoire de flou

Si la légende dorée du milieu français du PSG laisse transparaître un joueur modeste parvenu au sommet à force de travail, la réalité est plus complexe.
Blaise Matuidi, 28 ans et arrivé au PSG en 2011, est le seul Français à s’être imposé dans la capitale sous l’ère qatarie. avant portugal/france (Photo Franck Faugere. Presse Sports)
publié le 15 février 2016 à 20h01

Un standard de la vie parisienne, qu'on reverra mardi soir sur le coup de 23 heures après la partie de manivelle opposant Zlatan Ibrahimovic & co aux champions d'Angleterre : alors que la plupart de ses coéquipiers filent sans mot dire dans son dos, le milieu Blaise Matuidi pose son sac au pied d'une barrière et fait face aux micros pour lâcher quelques mots.

Oh, pas de quoi faire trembler la famille royale qatarie sur ses fondations à la Serge Aurier : «On a été solide», «Il a fallu s’arracher», «C’est un bon résultat pour nous», «Rien n’est fini»… Avant de s’y mettre, le joueur écarquille les yeux, comme s’il réglait la mire. Puis, débute une sorte d’entreprise de découragement de ses interlocuteurs, la platitude de ses propos et les généralités éteignant le feu (relatif) des questions avant qu’il n’ait à y mettre un terme, ce qui lui permet à la fois d’être bref tout en ayant l’air disponible.

Conte de fées. Il y a un mystère Matuidi. Difficile à percer, vu le niveau où il respire : en juin, il accompagnait, sur demande de l'Elysée, François Hollande et une palanquée de chef d'entreprises lors d'un voyage de trois jours en Angola (le pays de son père), au Bénin et au Mali. Magie - et puissance de frappe - du foot : il a été accueilli comme un pape partout, pas plus en Angola qu'ailleurs. L'épisode lui inspirera ce commentaire dans l'Equipe Magazine : «C'est là que je me suis dit que ce n'est quand même pas facile d'être président. Tous ces voyages…»

C'est lui : l'idée d'un décalage entre son personnage et le monde qui l'entoure, Matuidi paraissant souvent fournir une sorte d'effort pour se raccorder à l'extérieur. Les témoins de sa vie en équipe de France racontent la même chose : disons que la nature extravertie d'un Paul Pogba dansant seule dans une salle commune avant un repas l'a parfois intrigué, comme elle a interrogé le vice-capitaine des Bleus et défenseur du Real Madrid, Raphaël Varane. Celui-ci est un homme d'appareil, corporate, un peu froid. A l'inverse, Blaise Matuidi semble nimbé d'une sorte de flou. Les faits disent le conte de fées : en 2011, le joueur qui quitte l'AS Saint-Etienne à 24 ans pour intégrer un Paris-SG transformé par les milliards qataris en centrifugeuse expulsant les uns après les autres les éléments les plus faibles, c'est-à-dire les Français : Mohamed Sissoko (extirpé de la Juventus de Turin, tout autre chose que Saint-Etienne), Kevin Gameiro, Jérémy Ménez, Christophe Jallet, Mamadou Sakho… Matuidi, lui, reste dans le bateau année après année, gonflant son abattage sur le terrain, puis le nombre de ballons récupérés, puis son influence sur le rendement général, puis le nombre de buts inscrits, jusqu'à s'attirer dès le printemps 2013 un compliment public d'Ibrahimovic himself - manière de lui dire : «A partir de maintenant, tu peux t'assoir à table petit gars.»

C’est comme si Matuidi, 28 ans, avait laissé une mue derrière lui chaque saison, faisant apparaître un joueur toujours plus efficace. Sans équivalent dans un milieu du ballon où le potentiel d’un footballeur est clair pour tout le monde à 20 ans, cette capacité de survie sportive dit deux choses : la modestie originelle (pour vivre heureux, vivons caché) et la rage d’exister, même si celle-ci n’a jamais affleuré sur son visage.

Dans le reportage réalisé en octobre dans l'Equipe Magazine, l'une des très rares intrusions que le joueur ait acceptée depuis qu'il porte le maillot parisien, Matuidi est dépeint comme un homme discret, ayant toujours choisi d'habiter en périphérie des villes - il a quitté récemment Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) pour une propriété à Feucherolles, dans les Yvelines - par goût du calme et de la nature. Et s'autorisant tout au plus une sortie avec son épouse (rencontrée à Troyes, où le joueur a effectué sa post-formation) dans un cinéma de la Défense : «Ma vie, ce sont mes enfants, ma femme, ma famille, mes amis proches. Mes filles font pas mal d'activités, je tiens à ce qu'elles s'épanouissent dans ce qui leur plaît. Je veux pouvoir leur donner ce que mes parents m'ont donné, bien sûr avec des moyens qui ne sont pas les mêmes. Mon papa me laissait faire tout ce que je voulais. A l'époque, c'était le tennis de table. Il n'y connaissait rien, mais je lui en parlais sans cesse, et il m'a laissé le pratiquer.»

A l’usage, il apparaît qu’on peut en prendre et en laisser. Certains de ses pairs, Florian Thauvin ou Anthony Martial, au hasard, ont ricané, expliquant que l’image de bon père de famille ne disait pas tout le bonhomme et que Matuidi se foutait un peu du monde. Ceux qui l’ont croisé sur des opérations de sponsoring l’ont souvent vu à part, comme s’il répugnait à se mélanger, ce qui peut aussi traduire une certaine timidité.

Crédules. On l'avait vu longuement à Saint-Etienne début 2011, et on avait été frappé par un mélange de réflexion et de réalisme. Capable de décrypter l'attitude d'un coach qui passe le prendre en bas de chez lui avant un entraînement comme de se bricoler un plan de carrière à 17 ans (et de s'y tenir), on n'en avait pas moins eu l'impression qu'il n'était pas tout-terrain et qu'il aurait vite fait de se trouver en porte-à-faux s'il nageait trop loin du bord, le joueur étant par ailleurs plus sensible qu'il ne le prétend aux honneurs qui vont avec la vie des stars. Après, on a surtout compris que le foot est son truc à lui.

Quand l'entraîneur italien Carlo Ancelotti débarqua au Paris-SG en janvier 2012 comme s'il descendait parmi les crédules pour y évangéliser le (très) haut niveau, il eut la surprise de voir Blaise Matuidi débarquer dans son bureau : «Je lui ai dit que j'allais gagner ma place» dans un effectif bourré d'internationaux, ce qu'il fit. Quelques mois plus tôt, le joueur avait abandonné son conseiller d'alors pour Jean-Pierre Bernès, le premier agent de France, sous le motif que ce dernier pouvait lui ouvrir les portes du Paris-SG. L'agent précédent n'aurait eu aucun mal à le placer lui-même dans la capitale compte tenu de son niveau : il faut croire qu'aux yeux de Matuidi, deux précautions valent mieux qu'une, le fait que Bernès ait aussi dans son écurie le sélectionneur de l'époque (et actuel coach du PSG) Laurent Blanc ne gâchant rien. Cependant, ce fut un prêté pour un rendu : une fois en place au Paris-SG et installé chez les Bleus, Matuidi lâcha Bernès pour l'agent de son coéquipier Ibrahimovic, Mino Raiola, qui dû régler une facture de 875 000 euros à Bernès comme dédit. L'époque est au cynisme, et il est vrai que ni Matuidi ni qui que ce soit n'y peut grand-chose. L'écho tricolore parle d'un homme difficile à saisir, à la fois flatté de l'intention qu'il suscite et sur la réserve, à peu près dans les clous du concept de «capitaine par l'exemple» (le mec ne dit rien, mais il faut faire comme lui, en gros) qui fait florès dans un sport de haut niveau où ceux qui répondent ouvertement du collectif autrement que par stratégie personnelle ont complètement disparu.

Hargne. A Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) où il a grandi, on ne se souvient ni d'un talent hors norme ni d'une personnalité marquante, le joueur - très sollicité - ayant été contraint de couper pas mal de ponts avec ses «amis» d'alors depuis son retour dans la capitale. Même topo à en préformation à Clairefontaine, études à Rambouillet (Yvelines), match le week-end au CO Vincennois, puis avec l'équipe du Pôle Espoir : «Certains étaient plus forts que moi, plus techniques, plus physiques, plus matures, mais ils n'avaient pas cette volonté de réussir, a-t-il expliqué un jour. J'ai alors pris conscience de l'importance du travail et la possibilité de devenir professionnel m'est apparue. On me répétait sans arrêt que peu d'entre nous allaient franchir le cap, alors je n'ai rien lâché. Ce fut une étape importante.»

Cette histoire du méritant, du moins doué, du petit gars rentré qui passe au détriment de ceux qui sont plus forts que lui, on l’a entendu mille fois. On a fini par s’entendre expliquer - par le patron du centre de formation du FC Sochaux - qu’elle était la norme, le sens de l’effort étant en quelque sorte exacerbé par une infériorité qui n’est parfois que supposée par le joueur. Les génies, eux, finissent généralement par ruminer leur échec devant une bière et deux copains compatissants. Certains, beaucoup plus rares, n’effleurent même jamais le monde de doutes et de hargne que Matuidi a traversé de part en part : si Karim Benzema est une exception, c’est aussi parce qu’il confirme une règle.

D’autres surdoués finissent enfin dans l’entre-deux, joueurs (comme Jérémy Ménez au Milan AC ou Hatem Ben Arfa à Nice) dans des clubs où leurs équipiers ne les valent pas, footballeur pour footballeur comme il y a des pianistes qui ne vendent pas un ticket tout en étant vénérés par leurs pairs. Blaise Matuidi dirait : «Non merci. Et au secours.»