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Ligue des champions

Mauviette timing pour le PSG

Les insultes du latéral droit Serge Aurier envers son entraîneur, suivies de sa mise à pied, tombent au plus mal pour le club parisien, qui joue un match crucial, ce mardi, en huitième de finale aller de la Ligue des champions contre Chelsea.
Les joueurs du Paris-Saint-Germain, lors d’une séance d’entraînement au Camp des loges (Yvelines), lundi. (Photo Christophe Ena. AP)
publié le 15 février 2016 à 20h01

Magistrale réponse de Laurent Blanc, l'entraîneur parisien, à son défenseur Serge Aurier, mis à pied à quarante-huit heures du monstrueux Paris-SG -Chelsea de mardi soir en huitième de finale aller de la Ligue des champions pour avoir qualifié, sur un réseau social, son coach de «fiotte» qui «prend les couilles de Zlatan» : «Je l'ai pris très mal. On peut avoir certains avis, certaines opinions… On est en démocratie, et c'est heureux. Mais ce garçon, il y a deux ans, je me suis vraiment engagé auprès de ma direction pour le faire venir à Paris. Le remerciement que j'en ai, c'est ça. Je trouve ça pitoyable.»

On ne rêve pas : alors que certains accusent un joueur de foot d'homophobie parce qu'il a lâché le mot «fiotte», il s'en trouve au moins un pour parler de foot. Et pas qu'un peu : «Serge Aurier dit ce qu'il veut de moi, son avis le regarde, mais je lui ai tendu la main et il me traite comme un chien» - le foot ne marche pas comme ça, du moins en principe. Le foot a de la mémoire.

En parlant de ça, les Blues de Chelsea et d’Eden Hazard (fantasme récurrent des dirigeants du Paris-Saint-Germain avant sa brutale chute de tension au printemps dernier) s’annoncent au Parc pour la troisième fois en trois ans : une élimination parisienne en 2014, une qualification en 2015 et un match qui, même sans cet historique récent, brûlerait de partout.

Quelles sont les conséquences de l’affaire Aurier ?

Le visage virant parfois au rouge, Blanc a résumé la situation : «Il s'est pénalisé lui-même. Il aurait dû se préparer aujourd'hui [lundi] pour disputer un huitième de finale de Ligue des champions, demain [mardi]. C'est mieux que de rester chez soi et de ne pas savoir quoi faire. Il en subira les conséquences, mais il pénalise aussi le club par l'image qu'il peut donner, les propos qu'il peut tenir.»

Suspendu à titre conservatoire et sommé de payer une amende conséquente, il pourrait par exemple être exfiltré en douceur cet été si Blanc et les coéquipiers ne passent pas l'éponge. Aurier, dont la valeur est estimée à près de 20 millions d'euros, est convoité par de nombreux clubs, comme le Bayern Munich. Survêtement du Paris-SG sur le dos, l'international ivoirien a tenté d'éteindre l'incendie dimanche soir, dans les salons de l'hôtel Peninsula, dans le XVIe arrondissement de Paris. Tablant sur le tourbillon permanent qu'est la vie d'un grand club, il a ajouté : «Mais le plus important pour moi est de boucler cette affaire-là, que tout le monde accepte mes excuses et que tout revienne à la normale.» L'Equipe nous apprenant que Thiago Silva et Zlatan Ibrahimovic, les patrons du vestiaire, ont demandé dimanche la traduction des propos d'Aurier. On attendra leur exégèse avant de savoir s'il est pardonné. Et les cadors européens en ont vu d'autres. A une époque pas si lointaine, au Bayern Munich, alors qualifié de «FC Hollywood», des joueurs se détestaient, piquaient la compagne de leur coéquipier et se castagnaient. «On se mettait sur la gueule à l'entraînement», confiait Bixente Lizarazu sur RTL, le Basque ayant un beau jour bondi, le poing rageur, sur Lothar Matthäus, Ballon d'or 1990. Un charmant garçon qui a dit à une touriste hollandaise : «Hitler aurait dû vous écraser.» Voilà pour les indignés à peu de frais de l'affaire Aurier.

Que disent les mots d’Aurier sur le vestiaire parisien ?

Même s’il faut relativiser les propos du joueur compte tenu du contexte puisqu’il fait le malin, les occasions d’entendre un footballeur parisien livrer le fond de sa pensée sont si rares qu’il faut en profiter. Le club de la capitale diffuse depuis deux saisons, et la fin du ménage touchant les joueurs de troisième zone (Mamadou Sakho, Jérémy Ménez…), l’idée d’un plaisir partagé, les célébrations suivant les buts concernant par exemple tous les joueurs présents sur la pelouse, même à 4-0 quand le match est plié. Aurier dessine une autre réalité. Il se fout de tout : même s’il y a une part d’affect, le fond de l’air est frais.

Faute de temps, le club est loin d'avoir le poids institutionnel de ceux qu'il regarde (Bayern Munich, Chelsea, FC Barcelone…) désormais les yeux dans les yeux sur les pelouses en Ligue des champions : c'est tout le pouvoir au vestiaire, dans la droite ligne du premier commandement édicté par Zlatan Ibrahimovic en personne - «Avant moi, ici, il n'y avait rien» -, même si les joueurs ne perdent jamais de vue le président Nasser al-Khelaïfi qui les paye. Ce pouvoir tient dans peu de mains : les Brésiliens bien sûr (Thiago Motta, Maxwell, Thiago Silva, David Luiz) plus Ibrahimovic, qui a les épaules plus larges encore que tous ceux-là. Les sorties d'Aurier sur Angel Di María («Un guignol»), Salvatore Sirigu («Il est guez», contraction de merguez, «escroquerie» en argot) ou «Ibra» («Tu penses qu'il peut me mettre un coup de pression, lui ?») dit que le petit peuple du vestiaire n'est pas toujours sur la même longueur d'onde que les leaders, le mépris à l'égard d'un vice-champion du monde vainqueur de la Ligue des champions en 2014 (Di María) ou d'un joueur en difficulté sportive (Sirigu) contrevenant par ailleurs au respect du sport et d'un vestiaire où celui qui est au fond du seau aujourd'hui peut vous sauver demain.

Pour tout dire, la mise à l’écart début janvier d’Edinson Cavani, ou plutôt le fait qu’elle soit validée par un Zlatan soucieux de préserver ses intérêts à moyen terme, racontait déjà la férocité individualiste de certains joueurs. La vie du vestiaire parisien ressemble donc aux standards du sport de haut niveau. Certaines séquences, comme l’extraordinaire qualification de l’an passé face à Chelsea à 10 contre 11 et après avoir été mené au score tout le match ou encore l’effacement médiatique progressif d’Ibrahimovic, avait pourtant laissé quelque chose venant de plus loin.

Quelle marge de manœuvre pour Laurent Blanc ?

Meilleur second rôle du sketch d'Aurier samedi, l'entraîneur parisien a vécu une semaine riche, ou plutôt une riche semaine : jeudi, sa prolongation de contrat - de juin 2016 à juin 2018 - a été officialisée par son employeur avec un salaire stable de l'ordre de 5 millions d'euros par an selon l'Equipe. Pourtant, tout le monde sait, et Blanc le premier, qu'un échec face à Chelsea, voire en quart de finale contre un présumé plus faible type Benfica ou Wolfsburg, aurait toutes les chances de lui faire prendre la porte.

Il y a un truc. Mais il faut faire un effort conceptuel, toujours le même depuis l’arrivée des Qataris dans le capital du club en 2011 : pour eux, l’argent n’a aucune importance. S’il faut payer, on paye : 10 millions d’euros de dédit (soit l’intégralité de son salaire sur deux saisons) en cas de coup dur, à leur échelle, c’est la pièce de 20 centimes d’euro qu’on laisse sur le zinc après le café du matin. En mettant les choses au mieux, les Qataris ont donné un confort psychologique à leur entraîneur pour mettre de leur côté l’un des fameux «détails» assurant le 0,1 % décisif au très, très haut niveau - on imagine alors combien le sketch d’Aurier a pu les rendre dingue.

Dans le pire des cas, la prolongation de Blanc est un coup de com : ils l’ont prolongé pour éviter d’entendre qu’ils ne l’ont pas fait en cas de malheur. Après, Blanc fait la maille : Al-Khelaïfi est sincère quand il loue la qualité de jeu, l’équipe ne perd pas (on se souvient d’un temps où Doha exigeait le renvoi immédiat de Carlo Ancelotti après une défaite à Sochaux), et l’entraîneur accompagne en finesse la perte d’influence d’Ibrahimovic, comblant peu à peu l’espace que lui laissent les cadres. Surtout, l’arrivée d’un José Mourinho à sa place bouleverserait le club en profondeur, déplaçant les lignes du business et faisant exploser les rapports de forces : pas sûr que les Qataris puissent s’autoriser un tel risque.

Le Paris-SG peut-il gagner la Ligue des champions ?

Vincent Labrune, le président de l'OM, s'étend souvent sur le problème du Paris-SG avec la Ligue des champions: «Sur les 38 journées de L1, ils seront toujours au-dessus du lot, même avec un trou d'air, car ils ont la ressource et le temps pour se rattraper. En Coupe d'Europe, ils sont à la merci du tirage au sort, et de croiser trop rapidement un des favoris, le Barça, le Real Madrid ou le Bayern. Un mauvais tirage, et ils risquent de s'en aller brutalement.» En 2015, les Parisiens s'étaient inclinés face à un FC Barcelone injouable. Un bon karma ne fait pas d'une très bonne équipe (ce Paris-SG) un vainqueur à coup sûr, mais il permet d'accéder plus facilement au dernier carré, cette altitude où l'exploit devient de toute façon la norme. D'un point de vue collectif, le Paris-SG, 70 points en 26 journées de L1, n'a jamais paru aussi stable, dense, agréable à regarder. La recrue argentine Angel Di María, à l'intégration réussie, a fait monter en gamme un effectif qui se connaît, la stabilité étant un luxe qu'ils peuvent se payer : «Ils jouent ensemble depuis plusieurs années, ils n'ont pas besoin de 10 000 occasions», soufflait le milieu marseillais Lassana Diarra après le Classico perdu à domicile par l'OM (1-2) le 7 février.

Sans l’affaire Aurier, ce Paris-SG-là se serait ausssi présenté au complet face à Chelsea. Marco Verratti est trop juste pour disputer les 90 minutes de ce match aller selon Blanc, mais il revient au bon moment, comme le créateur Javier Pastore, souvent électrique en Ligue des champions. Et Chelsea ? Sans incarner l’adversaire redouté des deux dernières campagnes européennes de 2014 (demi-finaliste) et 2015 (ils survolaient alors le championnat anglais), les Londoniens semblent en net regain de forme depuis l’éviction de Mourinho mi-décembre.