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Libération
Décryptage

Dopage dans le tennis, ce que révèle le cas Sharapova

En annonçant son contrôle positif, la Russe met aussi en lumière l'étrange rareté des cas de dopage sortis au grand jour dans ce sport.
Maria Sharapova, lundi soir, lors de sa conférence de presse à Los Angeles. (Photo Kevork Djansezian. AFP)
publié le 8 mars 2016 à 17h24
(mis à jour le 8 mars 2016 à 17h47)

L'humanité sportive n'est pas égale devant le dopage : quand un haltérophile ouzbek contrôlé positif noie son chagrin dans l'alcool et planifie une reconversion de peintre en bâtiment, la tenniswoman Maria Sharapova convoque une conférence de presse dans un palace du centre de Los Angeles. La Russe, 7e joueuse mondiale à 28 ans avec 5 titres du Grand Chelem n'expliquant pas le dixième de son impact sur un marché publicitaire où elle tire les trois-quarts de ses 29 millions d'euros de revenus annuels, a ainsi annoncé lundi avoir été contrôlée au meldonium lors du dernier open d'Australie. Une officialisation publique étonnante en soi : les annonces de cas positifs sont rarissimes sur le circuit – au contraire des rumeurs portant sur un deal du genre «on ne parle pas de ton dopage et tu te retires du circuit en prétextant la lassitude ou une blessure».

Comment s’est justifiée Sharapova ?

Elle a plaidé l'ignorance, un argument systématiquement utilisé par le sportif pris en faute – une variante du célèbre «à l'insu de mon plein gré»: «Depuis dix ans, je prends ce médicament sur prescription de mon médecin de famille. Il n'était pas sur la liste des produits prohibés par l'AMA à l'époque, mais le règlement a changé, ce que je ne savais pas. Quand on me l'a prescrit, j'avais plusieurs problèmes de santé. Je tombais souvent malade, j'avais une carence en magnésium et il y avait du diabète dans ma famille. J'avais moi-même du diabète […] Je suis responsable de ce que j'ingère, je me targue depuis mon plus jeune âge d'être très professionnelle mais j'ai fait une énorme erreur, j'ai déçu mes supporteurs, j'ai laissé tomber mon sport.»

Quelle impression a-t-elle laissé ?

Il n’échappe à personne que Sharapova était dans la communication de crise : l’idée est d’habiller un fait brut (son contrôle) de manière à ce que celui-ci apparaisse sous un jour moins défavorable. Ici, elle assume deux fois : elle est seule responsable (d’aucuns auraient chargé un factotum) et ne demande pas de contre-expertise. Si elle a parfois lancé un regard éploré en mettant la main sur son cœur pour appuyer son propos devant la presse, elle a été fidèle à l’image qu’elle renvoie sur le circuit, très loin du glamour construit par les publicitaires autour de son personnage : volontaire, un peu butée, abordant cette épreuve comme le énième obstacle d’une carrière qui n’en a pas manqué.

Elle a en outre clamé un amour de son sport – «ma carrière ne peut pas se terminer comme ça» – qui n'est pas douteux : Sharapova a depuis longtemps la possibilité de faire des fortunes sans toucher une raquette de tennis et s'infliger les souffrances physiques ou mentale qui vont avec la très haute compétition, les 17 défaites de rang depuis 2005 face à l'Américaine Serena Williams l'ayant de plus empêché de remporter de nombreux tournois, ce qui en dit long sur la détermination de la Russe à s'exprimer sur un court malgré les vents contraires.

Qu’est-ce que le meldonium ?

Il y a eu les années hormones de croissance, puis EPO, puis la période nandrolone… A chaque âge du dopage, son produit générique. Serait-on entré dans l'ère meldonium, du nom du médicament auquel a été contrôlée positive la tenniswoman russe lors de l'Open d'Australie, en janvier ? En tout cas, on peut dire que cette molécule mise au point en URSS dans les années 1970 a fait une entrée fracassante dans la liste des produits interdits par l'Agence mondiale antidopage, où elle a fait son apparition cette année. Car la joueuse n'est que la dernière d'une série de sportifs tombés pour son usage depuis le début de l'année, et pas des moindres: la Suédoise d'origine éthiopienne Abeba Aregawi, championne du monde 2013 sur 1 500 m, l'Ethiopien Endeshaw Negesse (vainqueur du marathon de Tokyo en 2015), la Russe Ekaterina Bobrova, championne olympique de danse sur glace en 2014, son compatriote Edouard Vorganov honnête (enfin façon de parler) coureur cycliste, 19e du Tour 2012, les biathlètes ukrainiens Olga Abramova et Artem Tychtchenko, et six lutteurs géorgiens. La liste pourrait bientôt s'allonger, estiment les spécialistes.

Tous ceux-là et ceux à venir pourront-ils arguer, comme Sharapova dans son acte de contrition, qu'ils ne savaient pas que le meldonium était désormais interdit ? Mais pouvaient ignorer les vertus dopantes d'une molécule née à l'origine pour traiter l'angine de poitrine, l'infarctus du myocarde et ses séquelles ? Sur son blog Plus vite, plus haut, plus fort, hébergé sur le site du Monde, l'entraîneur d'athlétisme Pierre-Jean Vazel explique que le meldonium n'est qu'un exemple de plus d'une molécule détournée de son usage initial : «En 2015, l'Institut de biochimie et le Centre de recherche préventive sur le dopage de Cologne avaient trouvé du meldonium dans 2,2 % des 8 320 échantillons urinaires aléatoirement prélevés lors de contrôles antidopage chez des sportifs professionnels, écrit Vazel. […] Les sports de force étaient surreprésentés (67 %), devant les sports d'endurance (25 %). L'université allemande avait relevé dans la littérature scientifique deux publications montrant des effets positifs sur les performances des sportifs par "une augmentation de l'endurance, de la récupération, de la protection contre le stress et une amélioration des activations des fonctions du système nerveux central."» Interviewé par le même Vazel, le professeur letton, Ivars Kalvins, qui a mis au point la molécule, nie malgré tout qu'elle puisse être utilisée à des fins d'amélioration des performances.

Vazel affirme pourtant que meldonium sert bien de produit dopant. Il serait même prisé aux Etats-Unis des joueurs de foot US et des athlètes. Une médaillée en athlétisme lui a même livré le protocole d’utilisation : en intraveineuse en association avec un complément alimentaire issu de viande et de l’Actovegin (un produit à base de sang de veau déprotéiné), à l’usage polémique dans la traumatologie sportive.

Reste que le Mildronate, le nom du médicament tiré de la molécule, s'il est en vente libre en Russie et dans les ex-républiques soviétiques, n'est pas vendu en Occident. Il faut donc se le procurer au marché noir ou sur Internet. Maria Sharapova, qui vit depuis longtemps aux Etats-Unis profitait-elle de ses séjours dans la mère patrie pour en faire provision ? Autre argument troublant dans l'argumentaire de la Russe, elle a expliqué qu'elle en prenait depuis dix ans, notamment parce qu'elle avait du diabète. Sauf que le Monde rappelle qu'en 2006, on ne connaissait pas encore les vertus du meldonium dans le traitement du diabète. On a découvert trois ans plus tard qu'il pouvait être bénéfique aux patients diabétiques souffrant de problèmes cardiovasculaires après une étude sur des rats.

Le tennis est-il particulièrement victime du dopage ?

Dites à Michel Sapin que les contrôles suffisent à refléter de la fraude fiscale, il aura l’honnêteté de partir dans un grand éclat de rire. Demandez à un responsable de la Fédération internationale de tennis si le nombre de contrôles positifs traduit exactement l’étendue du dopage dans son sport, il vous répondra que oui assurément, et que cela prouve que le monde de la petite balle jaune est épargné. Foutaises. Dans les années 2000, il y a eu une épidémie de cas dans le tennis argentin avec ceux de Guillermo Canas, Guillermo Coria ou Mariano Puerta (les deux derniers ont été finalistes à Roland-Garros). Un contrôle à la cocaïne a provoqué la retraite de Martina Hingis, revenue depuis en double. Mais le cas Sharapova est la première grosse affaire dans le tennis. Enfin, mise au jour. Car l’ITF n’est jamais passée pour le meilleur élève de la classe antidopage. Et, outre son laxisme, on l’a souvent soupçonnée d’avoir dealé des arrêts pour blessure de six mois, voire des retraites soudaines, pour masquer des contrôles positifs. Quant au niveau d’intensité physique auxquels ont porté le tennis, les Djokovic ou Nadal, ils ne lassent pas d’interroger.

Le tennis épargné par le dopage ? Quelle blague. Les joueurs ou joueuses seraient même des victimes désignées. Outre l’intelligence tactique et la technique, quelles qualités exigent ce sport ? De la puissance, de la vitesse, de l’endurance. Pour les améliorer, un tennisman à l’embarras du choix entre les méthodes et les molécules prohibées. Et puis, le tennis est un sport individuel. Les joueurs y évoluent sans le garde-fou d’une équipe ou d’une fédération. Ensuite, leurs gains sont directement indexés sur leurs performances : plus on gagne de matchs, plus on gagne d’argent. De l’argent nécessaire pour payer matériel, coachs, kinés, voyages, hôtels… Si Roger Federer peut s’accorder un mois off pour se reposer, c’est un luxe que la plupart des joueurs ne peuvent s’offrir. De même que les sans-grade sont les plus susceptibles de succomber aux corrupteurs, ils peuvent être les plus tentés par le cacheton qui permettra de frapper un coup droit plus fort, de jouer un match de plus…