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Karim Benzema ou le choix de la voie loyale

S'il doit son argent au foot, l'attaquant du Real a toujours rejeté les compromissions du milieu et privilégié ses amis d'enfance, même les plus infréquentables
Benzema à l'Euro 2012. (PHoto Presse Sports.)
publié le 17 mars 2016 à 22h30

Le président de la Fédération française de foot, Noël Le Graët, aime bien Karim Benzema. «Il y a de l'affection», expliquait-il mi-janvier sur l'Equipe 21, alors que l'attaquant du Real n'avait encore sur les bras «que» l'histoire du chantage à la sextape visant son coéquipier chez les Bleus Mathieu Valbuena – Benzema est accusé d'avoir servi d'intermédiaire. «Il faut dire quoi ? "A mort l'Arabe ?" Qu'est-ce que c'est que tous ces gens qui m'écrivent pour me dire "Benzema dehors" ? J'ai toujours été assez proche de lui parce que je connais un peu ses difficultés d'enfance. Peut-être que j'ai ce côté-là, défendre un peu l'indéfendable.»

Benzema en symbole républicain, l’enfant de Bron (près de Lyon) devenu millionnaire et superstar mondiale par la grâce d’un don que tout le monde lui reconnaissait dès l’âge de 15 ans – fallait-il qu’il soit éclatant. Disons qu’on aurait été plus enclin à l’accepter dans ce rôle de symbole que pas mal d’autres joueurs car l’intéressé s’en moque, alors que l’on a vu l’un de ses coéquipiers faire de la retape sur le sujet auprès des journalistes quelques minutes après un match de Coupe du monde, une manière d’exister médiatiquement et sportivement.

Crochets

Benzema, c'est l'inverse. Avec la presse, il a toujours été distant – et non pas lointain, ce qui veut dire qu'il le fait exprès –, une manière d'honnêteté pour un homme qui y a toujours vu à la fois une façon de biaiser le verdict sportif pur et une forme de prostitution, le genre de choses auxquelles un joueur comme lui ne s'abaisse pas. Un soir, un observateur, ébloui, lui a expliqué après un match combien il l'avait trouvé en verve. La réponse de ­l'intéressé fut des plus sèches : «J'ai été à mon niveau.»

Un niveau qui l’a élevé très jeune hors de portée du commun des mortels. Quand Benzema composait ado avec des flagorneries perpétuelles, ceux qui l’approchaient s’arrangeaient du paradoxe d’un garçon baissant systématiquement les yeux tout en dégageant une confiance à fracasser les murs. L’anecdote est inscrite dans la grande histoire parallèle du foot français et elle fit de l’attaquant une référence – peut-être la seule – pour ceux qui croient encore au libre arbitre du joueur dans un monde du foot qui le malmène tout en vivant à ses crochets : alors jeune d’à peine 20 ans, faisant son trou dans l’équipe première de l’Olympique lyonnais après y avoir été formé, il reçoit l’appel d’un immense joueur français lui expliquant qu’il pouvait lui ouvrir les portes du Real Madrid à condition qu’il lâche son représentant de toujours (Karim Djaziri, une relation d’enfance) pour des agents mieux introduits dans le club espagnol. Le Real, c’est justement le rêve de Benzema. Le grand joueur français s’est cependant fait recevoir. Et Benzema s’est ouvert les portes de la Maison blanche – où il évolue depuis six saisons et demie – tout seul, sans compromission d’aucune sorte : il y a gagné l’aura de celui qui ne s’adapte pas à la réalité mais qui la façonne.

Bien sûr, l’indépendance d’esprit est réversible : ce que l’on gagne ici, on le perd là. Mécontents des commentaires d’un journaliste sur la performance de Benzema contre l’Allemagne (0-1) en quart de finale de Coupe du monde en juillet 2014 au Brésil, l’agent du joueur et un ami de ­longue date de l’attaquant, un dénommé ­Karim Zenati, font le tour des boîtes de Ribeirão Preto (où étaient stationnés les Bleus et les suiveurs durant la compétition) pour casser la gueule du reporter : l’altercation aura lieu mais une sorte d’intérêt général (le ripolinage de l’image des tricolores avant l’Euro 2016, organisé dans l’Hexagone) étouffera l’écho de ­l’affaire.

For intérieur

Deux mois plus tard, à Clairefontaine, Benzema reviendra indirectement dessus : vous n'êtes personne pour juger mes matchs, je ne dis pas que ce qui s'est passé est bien, je ne dis pas non plus le contraire. Mes amis, c'est moi, et moi, c'est mes amis. Le 5 novembre, la star est mise en examen pour complicité de tentative de chantage et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ­délit (en l'espèce, le chantage) puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement dans l'affaire de la sextape de Mathieu ­Valbuena. La révélation par Europe 1 des écoutes téléphoniques de conversations entre Benzema et un Zenati se proposant d'arranger les bidons dans cette histoire, et notamment le «il [Valbuena, ndlr] ne nous prend pas au sérieux», dira une fois de plus la chose suivante : Benzema adore le foot, celui-ci a fait de lui un millionnaire (8 millions d'euros annuels estimés), mais s'il faut choisir entre un coéquipier et son ami d'enfance Karim Zenati, par ailleurs condamné pour braquage et go-fast (convoyage de drogue à toute vitesse pour éviter la police), ce sera ­Zenati.

L’absence de compromission, toujours. Indépendamment de la malignité qu’on lui prête ou non, elle l’aura emmené hors zone. On jurerait que lui, jusqu’au bout, y verra en son for intérieur une forme de courage. Le fait que celui-ci soit suicidaire ne change bien entendu rien à l’affaire.